Chapitre 15 : La chapelle
Son maître le poussa gentiment dans le dos pour le diriger vers le château. Au lieu de rentrer dans le bâtiment, ils le contournèrent. L'arrière était plus sauvage avec une multitude d'arbres et de l'herbe haute. Un chemin serpentait au milieu et c'est là que Gordon s'engagea. Un bâtiment de marbre qui faisait un tiers du château s'élevait au milieu de cette nature plus indomptée. Il était d'une blancheur éclatante, presque irritante pour les yeux. Les murs étaient percés d'imposants vitraux colorés, plus beaux encore que celui dans la salle d'armes.
- C'est notre chapelle, expliqua Gordon. Je viens prier ici lorsque je suis perdu ou abattu.
Ils entrèrent dans l'édifice où il régnait un silence religieux. Il faisait plus frais qu'à l'extérieur et l'endroit était vide. Des rangées de bancs s'alignaient de part et d'autre d'une allée centrale. Le sol était de marbre blanc veiné de gris, gravés de mots en lettres d'or. L'enfant se pencha : il s'agissait de noms.
- Tu as sous les yeux tout ceux qui ont été adoubés ici. Un jour ton nom sera inscrit sur ces pierres aussi, déclara Gordon.
Aymeric ouvrit de grands yeux émerveillés et détacha son regard des dalles lisses avec peine. Les piliers qui soutenaient la voûte étaient sculptés de dragons ailés qui rampaient sur la pierre. Le plafond représentait le ciel et ses constellations. Un globe doré signalait l'emplacement de chaque étoile et scintillait sous la lumière qui filtrait à travers les vitraux. Tout au fond de la chapelle se dressaient deux statues de dragons entremêlés : l'un en pierre noire et l'autre en pierre blanche. Une multitude de bougies brillaient autour d'eux.
- Ce sont les dragons démiurges ? demanda Aymeric.
- Oui. Tu sais comment ils se nomment ?
- Le sombre c'est Noximence et le blanc Phosphoméra, non ? dit-il en fouillant dans sa mémoire.
- Exact. Les dragons des ténèbres et de la lumière, les êtres à l'origine du commencement et qui nous précipiterons tous vers notre fin.
Une source jaillissait entre les pattes des démiurges et faisait le tour de la chapelle en coulant dans un petit canal creusé dans la pierre. Gordon s'en approcha et plongea sa main dans l'eau fraîche pour en boire une gorgée.
- C'est pour te purifier avant de t'adresser aux divinités.
Aymeric l'imita sans trop savoir de quoi il devait se purifier. Son mentor déambula ensuite sous les vitraux. Sur tous figurait un dragon différent et l'apprenti ne connaissait pas la plupart d'entre eux. Des coussins épais étaient posés en dessous, en arc-de-cercle. Le chevalier s'arrêtait sous la représentation d'un dragon marron aux cornes et aux griffes dorés, qui déchirait la terre noire pour révéler une cascade de pierres et de métaux précieux. Derrière lui se dressaient des montagnes aux cimes enneigées et des dunes de sable fin.
- Voici celui que je prie le plus : Agradios. Le dragon primordial lié à la terre.
Il s'assit à genoux sur l'un des coussins sous le vitrail, les mains à plat sur les cuisses. Avant de clore les yeux, il dit :
- Tu peux t'installer à côté de moi si tu le désires ou faire le tour de la chapelle pour voir si un dragon t'inspire plus. Tu te sentiras peut-être plus proche d'Aquibos, le dragon primordial de l'eau. Quelque soit ton choix, confie-leur ce que tu as sur le cœur.
- Ils écouteront ?
Gordon haussa les épaules, pensif.
- Allez savoir. Peut-être les dieux prêtent-ils une oreille distraite aux mortels et s'intéressent parfois à leurs plaintes. S'ils existent.
L'enfant fronça les sourcils. Quel intérêt de prier des forces supérieures si on doutait de leur existence ? Il laissa son maître s'adresser à Agradios et fit le tour de la chapelle en admirant les différent dragons. Il se figea brutalement devant l'un d'entre eux, au fond de la chapelle, dans un large renforcement sombre. Aymeric le trouva stupéfiant. En dépit de son isolement il restait magnifique, voir plus que les autres. L'enfant compris rapidement que le dragon était le même que celui dans la salle d'armes mais plus gros et, fait incroyable, bien plus détaillé.
Les yeux glacés de la créature semblaient l'observer, froids comme de la glace. Sous ses griffes noires ruisselait du sang. Le ciel gris au-dessus du reptile géant étaient zébrés d'éclairs lumineux. Des lances et des corps gisaient autour de la bête qui écartait les ailes comme pour les recouvrir. Le petit garçon avisa un crâne humain enroulé dans la queue du dragon. Loin de l'effrayer, cette scène le fascinait. Il s'installa en tailleur face au vitrail, sans quitter l'image des yeux. Il réfléchit à ce qu'il allait dire puis ferma les yeux en chuchotant d'une voix inaudible :
- Je ne sais pas si vous existez vraiment mais c'est à vous que j'ai envie de m'adresser. Je pense que je vous dois beaucoup et vous êtes le premier dragon primordial que j'ai vu en arrivant ici. Peut-être que vous m'écoutez ou peut-être pas mais ce n'est pas grave.
Il marqua une courte pause car il se sentait parfaitement idiot à parler seul devant un vitrail. Il reprit néanmoins :
- Merci de m'avoir permis de survivre dans la rue et de m'avoir donné la force de me défendre chaque jour. Comme vous êtes le dragon lié aux arts guerriers, je suppose que c'est à vous que je dois dire ça. Merci aussi pour la nuit où nous avons été attaqué par les brigands parce que vous m'avez offert la force et le courage de les combattre pour protéger le roi, Welson, Roland et Hydronoé. Et surtout je vous remercie car c'est avec votre aide que j'ai pu vaincre Gordon et l'empêcher de boire. Si vous écoutez vraiment, j'aimerais encore abuser un peu de votre générosité et vous demandez de continuer à veiller sur moi. Le roi dit que j'ai ma place ici et je le crois mais si je faisais un faux pas ? Si je commettais une erreur et qu'il changeait d'avis ? Je ne veux pas trahir sa confiance ni nuire à Hydronoé à cause de ma conduite. Je vais faire de mon mieux pour prouver qu'il n'avait pas tort de me faire confiance. C'est tout ce que j'avais à dire.
Il ouvrit les paupières et examina le vitrail. Rien n'indiquait si Praeslia l'avait écouté ou non. Comme Gordon n'avait pas fini son entretien privé avec Agradios, Aymeric continua d'observer la représentation du dragon durant de longues minutes. Il sentit qu'il ne s'en lasserait jamais. Il remarqua que des restes de bougies fondues occupaient le pied du mur en dessous de Praeslia. Durant sa ronde dans la chapelle il avait vu des cierges brûler sous certains vitraux ainsi que des fleurs et des petits gâteaux. C'était sans doute des offrandes aux dragons primordiaux pour s'attirer leurs faveurs ou les remercier. Des bougies neuves s'empilaient sur une table cachée derrière un pilier juste derrière lui.
Il se leva pour en prendre une rouge foncée qu'il alluma à l'aide d'une torche qui brûlait à côté. Il la déposa sous le vitrail du dragon de la guerre puis retourna au centre de la chapelle pour attendre son maître. Celui-ci revint après quinze minutes.
- Vous aviez beaucoup de choses à confier à Agradios, déclara Aymeric.
- Figure-toi que oui. C'est une entité à laquelle j'aime beaucoup m'adresser car au moins elle ne me contredit jamais ! Et toi, à qui sont allées tes prières ?
- Praeslia.
Gordon haussa un sourcil, un peu surpris. - Praeslia, vraiment ? Tu sais à quoi est lié ce dragon ?
- Hydronoé m'a dit que c'était à la guerre.
- Oui et pas uniquement. C'est aussi elle qui insuffle les sentiments violents aux Hommes, les massacres, la création des armes. C'est une divinité considérée comme sombre, d'où son emplacement dans la chapelle. Peu de gens font appel à elle, excepté en temps de guerre pour la supplier d'apaiser sa fureur. Tu ne voudrais pas t'adresser à un autre dragon primordial la prochaine fois ?
Aymeric fit la moue et répliqua :
- A quoi bon la représenter si c'est pour l'ignorer ? Moi je l'aime bien et puis elle ne peut pas être si redoutable que ça car il y a une chance qu'elle n'existe pas. C'est bien ce que vous avez dit, non ?
- Certes mais...
- Alors il n'y a pas de raison de s'inquiéter, le coupa le petit garçon. Et puis ce n'était que pour cette fois.
- Petite tête de mule. Assez bavassez sur les divinités, c'est l'heure de s'entraîner !
Ils retournèrent dans la cour et firent les mêmes exercices que la veille, le seau d'eau en moins. Gordon augmenta simplement le temps de course ou de répétitions des mouvements. Aymeric ne s'en plaignit pas, bien au contraire ! Le chevalier semblait plus impliqué que la veille et le voir ainsi le motiva.
Ils continuèrent dans la salle d'armes. Son maître lui enseigna différentes manières d'attaquer et d'esquiver à l'épée et il laissa Aymeric essayer chaque coup sur lui jusqu'à ce qu'il y arrive à la perfection. Il trouva que c'était un jeu d'enfant, simple et intuitif. Comme il n'avait aucun mal à reproduire le moindre mouvement à la perfection, son mentor corsa l'exercice en essayant de parer. Ils s'exercèrent jusqu'à l'heure du dîner. Cette fois Hydronoé était présent avec Sandor. Aymeric se précipita vers lui avec son assiette pour lui raconter sa matinée. Il lui parla notamment de l'épisode de la chapelle et de l'étonnement de Gordon à propos de sa décision de prier Praeslia.
- Elle n'est pas si méchante que ça, tempéra son frère en agitant sa cuillère. Tous les dragons primordiaux, même nous, ont une face sombre et une plus lumineuse. Nous le devons à Phosphoméra et Noximence, les démiurges. Praeslia peut se montrer violente mais elle a aussi des aspects plus positifs ! Par exemple, c'est elle qui fait naître le courage dans les cœurs pour surmonter une épreuve difficile ou se défendre. Elle inspire également les stratèges et prend soin de mener ceux qui sont tombés au combat près des étoiles, pour que leurs âmes puissent contempler cette terre qu'ils ont défendu au péril de leur vie. Je pense qu'elle mérite d'être priée, même si nous sommes en paix.
Les mots de son frère rassurèrent Aymeric. Il décida de ne pas tourner le dos au dragon primordial, quoi qu'en dise son maître. Il pouvait bien prier qui bon lui semblait, il ne faisait de mal à personne ! Une fois son repas engloutit, il s'installa dans la bibliothèque avec Gordon. Il récita l'alphabet sans buter sur la moindre lettre et se sentit fier de lui. Il les traça même sous l’œil approbateur du chevalier qui lui donnait de temps à autre des conseils pour mieux faire ses boucles ou écrire avec plus de fluidité.
Satisfait, il déroula devant le petit garçon une liste de mots courts et l'entraîna à les déchiffrer. Aymeric se concentra autant que possible pour prononcer chaque lettre sans se tromper. S'il faisait une faute, Gordon le reprenait calmement, sans son ton grognant. Son attitude encouragea l'apprenti à faire toujours mieux. Alors qu'il ne lui restait que deux mots à décrypter, Venerika et Alaman entrèrent dans la bibliothèque.
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