Chapitre 12 : Alaman
Ils se rendirent dans la bibliothèque et Gordon éplucha les rayons un par un en prenant parfois un ouvrage. Une fois sa sélection effectuée il les posa sur une table de lecture. Aymeric en compta huit. Son maître les feuilleta et les laissa ouverts aux pages intéressantes avant de lire les passages répondant aux questions de son élève. Le petit garçon écouta avec attention. Gordon lui expliqua certains mots et lui en montra d'autres. Il ne comprenait rien aux caractères qui s'étalaient sous ses yeux.
- Ce mot signifie rivière, expliqua son mentor. La première lettre est un r, celle d'après un i, puis un v, un autre i, un e, un second r et...
- Un e ! s'exclama Aymeric en comprenant à cause de leur forme. Comme ici !
- Tu comprends vite. Regarde, je vais te tracer l'alphabet.
Le chevalier dénicha un bout de papier, un encrier et une plume dans une étagère tout au fond de la bibliothèque et montra à Aymeric comment s'en servir tout en griffonnant les lettres.
- Tu es gaucher ou droitier ? l'interrogea son maître.
- J'utilise mes deux mains.
- Essaie avec les deux alors. Imite les lettres autant que possible.
Il tendit la plume et la feuille à son élève qui s'en sait avec hésitation. Il traça maladroitement les symboles de la main droite et tout autant de la gauche. Alors qu'il commençait à être frustré, Gordon dit :
- Tu es encore un peu tremblant mais ce n'est pas si atroce. Avec de l'entraînement tu y arriveras parfaitement. Maintenant écoute-moi te lire chaque lettre et répète-les après moi.
Ils s'exercèrent ainsi jusqu'à ce qu'Aymeric soit capable de les restituer de mémoire.
- Pas mal. Prend cette feuille et entraîne-toi à les prononcer ce soir, avant de dormir. Nous continuerons demain et les jours suivants jusqu'à ce que tu saches lire sans buter sur les mots et écrire des phrases simples.
Rien ne pouvait faire plus plaisir à Aymeric. Il était heureux qu'on le félicite pour ses progrès et que son maître comprenne la nécessité pour lui d'apprendre ces fondamentaux. Zolan disait souvent que savoir lire et écrire était la clé vers une vie meilleure. C'était le premier grand pas qu'il rêvait de franchir depuis tout petit et il était à portée de main !
- Arrête de sourire bêtement et viens plutôt m'aider à ranger les livres.
Le petit garçon attrapa une partie des ouvrages et prêta main-forte à son maître et ils remirent tout en place ce qui offrit l'occasion à Gordon d'expliquer la classification de la bibliothèque :
- Chaque étagère correspond à une section. Par exemple géographie, histoire, mythe, magie ou religion...A partir de là les livres sont classés selon le nom de l'auteur par ordre alphabétique puis, pour un même écrivain ayant rédigé plusieurs livres, une nouvelle fois de A à Z mais en fonction du titre. Ça paraît un peu compliqué au départ mais tu verras que c'est en réalité d'une simplicité enfantine.
- D'accord. Et maintenant qu'est-ce qu'on fait ?
- Quartier libre gamin. Va t'amuser un peu et révise ce que nous venons de voir.
- C'est déjà fini ? se plaignit Aymeric.
- Oui : ce n'est pas bon de voir trop de choses à la fois en un court laps de temps. Nous devons y allez progressivement si tu veux être capable de tout assimiler.
L'enfant comprenait le raisonnement de Gordon mais il restait un peu sur sa faim. Il aurait aimé apprendre encore un peu plus.
- Arrête de faire cette tête de martyr, on dirait que je te maltraite ! ronchonna son mentor. Fais comme tous les enfants de ton âge : profite de ton insouciance. Nous nous retrouverons ce soir dans les bains puis pour le dîner. En attendant essaie de ne pas être trop turbulent.
Aymeric leva les yeux au ciel. Comme s'il allait se mettre à hurler, courir dans les couloirs ou frapper aux portes et disparaître pour faire des blagues ! Ce n'était pas son genre. Il regagna sa chambre, s'installa en tailleur sur son lit puis répéta les lettres de l'alphabet une dizaine de fois avant de se lasser. Il n'y avait rien de plus palpitant à faire ? Il avisa un encrier, une plume blanche et une liasse de papier posés sur son bureau. Sans doute un nécessaire pour écrire déposé en son absence. Son regard alla de son papier d'entraînement au bureau et il s'installa confortablement face à ce dernier. Il trempa sa plume dans l'encrier et commença à s'exercer.
Il remarqua qu'il avait plus de facilité avec la main droite mais que le résultat avec la gauche était loin d'être mauvais. Il noircit une feuille recto-verso de petits caractères plus ou moins lisibles et précis. Il se sentit fier de lui et arrêta quand sa main commença à le faire souffrir. Il se demanda ce que faisait Hydronoé et comment il s'en sortait. Sandor semblait être un bon maître donc il ne devait pas s'inquiéter.
Aymeric sortit de sa chambre où il commençait à s'ennuyer et se rendit au rez-de-chaussé. Les autres gardes vaquaient à leurs occupations et il se sentit gênant au milieu de toutes ces personnes qui se pressaient autour de lui pour faire leur travail. Il ne pouvait pas aller dehors : la pluie tombait à verse. Par dépit, il retourna dans la salle d'armes. Venerika et son élève n'étaient plus là et personne d'autre ne l'occupait. Il prit une épée d'entraînement et la brandit avant de l'abattre pour fendre l'air aussi vite que possible. Il répéta le geste à la fois pour renforcer les muscles de ses bras mais aussi son endurance et sa précision. Il continua tantôt d'un bras tantôt de l'autre jusqu'à ce qu'ils crient grâce. Il essuya son front couvert de sueur en reprenant son souffle. Une voix enfantine s'éleva dans son dos :
- Tu aimes te battre à l'épée, pas vrai ?
Aymeric laissa Alaman venir vers lui. Il ne semblait pas agressif comme la veille mais plutôt curieux.
- Moi c'est Alaman Sparx, dit le rouquin en lui tendant la main. Et toi ?
- Aymeric.
- Et ton nom de famille ?
- Je n'en ai pas.
- Comment ça ? Tu n'es pas fils de noble ou quelque chose comme ça ? demanda l'apprenti de Venerika.
- Non, qu'est-ce qui te fait penser ça ? rétorqua Aymeric.
- Je ne sais pas...la maîtrise déjà avancée de l'escrime, ton charisme ou ce ne-je-sais-quoi d'arrogant et de suffisant dans le regard.
- Désolé de te décevoir mais j'ai toujours vécu dans la rue.
- Dans la rue ?! s'exclama Alaman. Mais comment tu sais aussi bien te battre à l'épée ?
- J'ai appris à me débrouiller.
- Ce n'est pas de la débrouillardise à ce niveau-là ! C'est du génie ! Il faut que tu m'apprennes pour que j'impressionne Venerika !
- Si tu veux mais tu es apprenti depuis plus longtemps que moi donc tu as sans doute plus d'expérience.
- Pas assez pour botter le derrière de mon maître comme tu l'as fait !
- C'était facile : il était ivre.
- Quelle fausse modestie tout bonnement insupportable ! Tu peux le dire honnêtement : tu as été meilleur que lui. Qu'il soit ivre ou pas n'est qu'un petit désavantage pour lui alors que toi tu étais plus petit, moins fort et au commencement de ton apprentissage !
- Sans doute...
- Tu n'es pas très bavard, hein ? Tant mieux ! Venerika dit toujours que je suis un vrai moulin à parole et qu'il est impossible de me faire taire. Mais au banquet ça l'arrange bien, elle ne fait jamais la conversation aux autres gardes pour avoir la paix donc je m'en charge pour elle !
Aymeric le croyait sur parole : il avait plus de débit que l'eau coulant dans une rivière.
- Ma dragonne non plus n'aime pas trop discuter : elle a toujours le nez dans les bouquins et elle ignore royalement tout ce que je lui raconte ! D'un côté je ne lui en veux pas. Elle est tellement érudite, contrairement à moi ! Comme je n'arrive pas à lire elle me fait la lecture le soir, avant de dormir, expliqua t-il.
- Tu n'arrives pas à lire ?
- Non. Les mots bougent sous mes yeux et les textes deviennent incompréhensibles ! Venerika dit que je joue la comédie pour ne pas avoir à lire mais c'est faux ! J'essaie encore et encore mais c'est toujours pareil ! Quand je commence à me concentrer ils tanguent !
Aymeric n'avait jamais entendu parler d'un tel phénomène mais Alaman ne semblait pas mentir. Il avait vu de nombreux marchands rouler les autres dans la farine et savait reconnaître le visage d'un menteur . Celui de l'apprenti face à lui n'y ressemblait pas. Au contraire : il voulait qu'on le croit.
- Il y a des domaines dans lesquels on excelle pas toujours. Lire n'est peut-être pas ton point fort mais tu dois avoir des facilités ailleurs.
- Hum...Venerika n'arrête pas de me rabâcher que je suis un bon comédien baratineur et manipulateur. Tu crois que ça compte ?
- Heu...Je ne sais pas. Il faudra que tu lui demandes !
- Finalement je t'ai mal jugé. T'es un type sympa, pas le genre d'enfant pourri gâté que j'imaginais ! déclara Alaman en lui donnant une claque dans le dos.
- Il faut apprendre à connaître les gens avant d'émettre un jugement sur eux, dit Aymeric.
- Apprendre à connaître avant de juger, marmonna le rouquin. C'est un bon conseil !
- Oui, c'est mon grand frère qui m'a dit ça un jour.
- Tu as un frère ?
- Pas de sang mais de cœur. Il compte beaucoup pour moi ! Et toi, tu as de la famille ?
Le visage d'Alaman se crispa et il répondit :
- Très loin d'ici et je n'ai aucune envie de la retrouver.
Aymeric ne posa pas plus de questions à ce sujet. Lui-même n'avait pas de souvenirs de ses premières années de vie. Pourtant un doute subsistait en lui : pourquoi, s'il était de basse extraction, avait-il un pendentif aussi précieux autour du cou ? Il évitait de se le demander pour ne pas compliquer les choses. C'était plus simple de s'imaginer fils d'un paysan, né dans une famille nombreuse et pauvre, que de remettre cette réalité en question et chercher la vérité ailleurs. Il ne voulait pas gaspiller son temps dans une quête des origines qui n'aboutirait probablement à rien. Oui, c'était plus facile ainsi : ce qu'on ignore ne peut pas nous nuire. Il préféra demander pour changer de sujet :
- Et tes marques sur les joues ? Qu'est-ce que c'est ?
Alaman ne parut pas enchanté par la question mais il fit l'effort d'apporter une réponse :
- Ce sont des tatouages. Tous les enfants mâles de mon peuple sont marqués sur le visage le jour de leur naissance. Ils ont tous un motif différent qui grandit avec eux. Ils sont tracés en injectant un pigment noir directement sous la peau à l'aide d'une aiguille en fer très fine.
- Ça doit faire mal !
- Comme j'étais bébé je n'en garde aucun souvenir mais je suppose que oui. J'ai déjà vu des hommes adultes se faire tatouer et certains criaient et pleuraient.
Ils continuèrent de parler et leur discussion dériva sur l'entraînement. Alaman expliqua à Aymeric ce que Venerika lui enseignait mais aussi ce que sa dragonne apprenait. Ils parlaient justement d'elle quand le rouquin s'exclama :
- Ah ! Elle arrive !
- Comment tu le sais ?
- Grâce à notre lien. Tu verras, le tien et celui de ton dragon se renforcera aussi. A la fin tu pourras savoir où il se trouve, ce qu'il ressent et, dans les cas les plus fusionnels, partager vos pensées et échanger des conversations à distance.
- A ce point ?
- Oui. Venerika me l'a assuré et je commence à le ressentir : je suis de plus en plus proche de Firenza.
La porte de la salle s'ouvrit et une petite fille entra. Ses yeux jaunes aux pupilles fendues étaient semblables à ceux d'Hydronoé, tout comme la délicatesse de son visage mais la ressemblance s'arrêtait là. Là où le dragon d'eau avait les cheveux, les cornes, la queue et les ailes bleues, ici tout était rouge, comme des flammes ardentes. Sa peau était aussi plus foncée. Elle tenait des livres dans ses bras et lança à Alaman :
- J'ai terminé.Tu veux qu'on lise ensemble jusqu'à l'heure du bain ?
- J'adorerais mais je ne vais pas laisser Aymeric seul : c'est mon nouvel ami.
- Il ne sera pas seul. Hydronoé a fini aussi et le rejoindra sous peu. Mais c'est gentil de te préoccuper de lui, pour une fois.
- Comment ça pour une fois ?! se vexa Alaman. Dis tout de suite que je suis un monstre sans cœur !
- Mais non, tu sais bien que je ne le pense pas. Allez viens, j'ai trouvé des histoires intéressantes à te raconter.
- Désolé Aymeric. Elle va cracher du feu si je le fais attendre trop longtemps, plaisanta Alaman.
- Va, ne t'inquiète pas pour moi, l'encouragea le petit garçon. Nous nous verrons plus tard.
Le duo s'en alla en se chamaillant et Aymeric rangea l'épée avant de retourner dans sa chambre.
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