Chapitre 3.1 : Yume
Les mains dans les poches de son pantalon de kimono pour homme qu’il avait mis un temps interminable à dénicher, le blondinet, la tête basse, arpentait les rues de la cité inconnue dans laquelle l’illusion l’avait plongé. Yume n’avait aucune idée de l’endroit où il devait se rendre ; où il se rendait réellement, en toute honnêteté. Tout ce qu’il avait voulu faire en quittant le domicile familial, c’était s’éloigner le plus vite possible de toute cette concentration de rancœur malsaine qui était parvenue, il ne savait par quel maléfice, à trouver une place jusqu’à son âme. Le jeune homme serra son vêtement à cet emplacement précis, percevant son organe vital encore palpiter de haine à travers sa cage thoracique.
Quand il se sentit un petit peu plus léger, son cœur ayant calmé ses pulsations endiablées, Yume redressa enfin des yeux embués de larmes qu’il avait retenues bien trop longtemps. Pour une raison qu’il ignorait, les paroles de ce père illusoire l’avaient sincèrement marqué. Mais pourquoi ? Tout, ici, n’était que fabulation. Même cet homme, même cette femme, et surtout Anthéa. Le jeune homme savait bien que tout ce qui l’entourait était loin d’être réel. Mais, pourtant… Est-ce que son cœur avait tellement languit la présence de figures parentales à ses côtés qu’il avait associé ces deux êtres factices comme étant ses véritables parents ?
Yume s’en voulut d’avoir été si naïf. Ces trois personnages devaient être ici pour tester ses réflexes et ses agissements, rien de plus, il le savait. Mais… pourquoi… avait-il si mal ?
Soupirant pour tenter de chasser les derniers résidus de colère, Yume analysa l’espace dans lequel il venait d’atterrir d’un regard circulaire, ignorant si ses pas l’avaient conduit ici purement par hasard, ou si la petite Déesse y était pour quelque chose dans cette entreprise. Au point où il en était… Plus rien ne l’aurait étonné, ni même dérangé.
Yume remarqua la présence d’un banc de cristal parfaitement clair un peu à l’écart de la foule d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards tous vêtus de la même manière. Notant que ses pieds le faisaient souffrir dans ces sandales bien trop inconfortables pour lui — sérieusement, qui avait eu l’idée d’inventer ces chaussures à talon à porter avec des chaussettes ? —, Yume prit place sur le banc. Ainsi en retrait, le jeune homme songea qu’il n’y avait pas de meilleur moyen que celui-ci pour étudier plus en profondeur son environnement. Qui savait ? Peut-être en découvrirait-il plus sur la raison de sortir de ce piège d’illusions une fois qu’il aurait appris à mieux connaître les lieux ?
Yume pensa qu’il devait en premier lieu essayer d’analyser les environs avant tout. Alors, tout naturellement, ses yeux d’un bleu aussi pur que la surface d’un lagon au zénith de l’été se posèrent sur les bâtiments qui le cernaient de part et d’autre, exactement comme s’il se trouvait dans la Capitale d’Onyrik. D’ailleurs, cette ressemble avec Fikternand ne s’acheva pas à la grandeur de la ville ! En effet, les bâtisses semblaient avoir été construites dans cette identique pierre bleu-turquoise que celle qui constituait les murs de la cité portuaire. Mais le jeune homme était positivement certain de ne pas se situer dans la commune qui l’avait vu grandir. Il ne reconnaissait pas la place sur laquelle il avait décidé de s’arrêter. Et Yume avait eu largement le temps d’explorer Fikternand de long en large, et même en travers, grâce à ses nombreuses patrouilles en tant que jeune recrue, quand il avait débuté son service dans l’Élite comme Milicien.
Fronçant les sourcils, une main déposée en visière sur ses paupières, Yume grimaça quand son regard se posa plus en détail sur les hauteurs, les vitres de verre lui renvoyant les rayons du soleil en pleine figure. Quelque chose clochait. Les bâtiments qui lui faisaient face ne lui paraissaient pas bien haut, peut-être devaient-ils compter entre trois et cinq étages, alors comment se faisait-il… qu’ils parvenaient à chatouiller les nuages ? Certains plus téméraires que les autres avaient même la tête dans les cieux cotonneux !
Essayant de passer outre l’éblouissement du soleil, l’ancien Épéiste redressa le menton. Derrière les nuages, il lui avait semblé entrevoir quelque chose, une épaisseur à peine discernable à l’œil humain — peut-être que si Fileya avait été à ses côtés, elle s’en serait aperçue bien plus rapidement, avec ses sens magiques ! Yume était presque persuadé de voir comme une sorte de membrane diaphane, dont il était difficile de cerner les contours, recouvrir toute la Cité tel un dôme protecteur. Même s’il n’était pas toujours très futé, Yume s’autorisa un peu de fantasie : se pouvait-il que la ville flottât dans les airs ? Cela expliquait plus ou moins la présence des nuages malgré la petite hauteur des immeubles… !
Mais à quoi pouvait bien servir cette sphère ? À prémunir des vents violents et du manque d’oxygène à une attitude aussi haute que celle-ci ? Ce fut la seule explication logique que put lui trouver Yume. À moins que la bulle de protection ne remplissait en réalité une fonction bien plus sinistre, comme défendre la ville d’attaques ennemies…
Les yeux toujours levés vers les cieux, le blondinet remarqua, après avoir déplacé ses iris à gauche puis à droite, la présence de deux tourelles de pierres. De ces amas de roches particuliers partaient un faisceau de lumière, encore une fois à peine perceptible à l’œil nu, qui rejoignait la sphère protectrice au-dessus de la commune illusoire. Ce devaient être ces espèces de tour qui alimentaient le dôme de protection. Yume ne connaissait pas la dimension de la Cité dans laquelle il se trouvait piégé, mais quelque chose lui confirmait que la bulle devait être approvisionnée par d’autres amas de roche comme celle-ci, dispersés un peu partout à travers la ville.
Sentant que sa nuque commençait à lui faire mal, Yume baissa le menton, pour perdre son regard sur ses paumes qu’il ferma et ouvrit à de nombreuses reprises, laissant ses pensées voguer au loin. Il ne reconnaissait pas la ville dans laquelle il était. Le jeune homme se souvenait pourtant vaguement qu’il existait effectivement une cité flottante à l’instar de celle dans laquelle il se trouvait probablement. Mais… pourquoi ne parvenait-il pas à se remémorer quoique cela soit à ce sujet ? Ah, il aurait dû mieux écouter Fileya quand elle s’extasiait comme une enfant devant toutes les légendes et autres absurdités que comportait le Royaume, peut-être aurait-il pu davantage cerner l’endroit où il se trouvait enfermé aujourd’hui !
Néanmoins… Et s’il… Yume n’avait jamais cru en l’existence des Dieux, contrairement à Fileya qui y avait toujours voué une sorte de culte, à cause de son statut d’Invoqueur. Mais, après les événements de ces derniers jours, le jeune homme n’aurait même pas été étonné d’apprendre qu’il séjournait en réalité dans leur résidence !
Deux enfants passèrent à toute vitesse devant le Yume en riant à gorge déployée, ce qui acheva de sortir Yume de ses pensées. Conscient qu’il s’était muré dans ses idées un peu trop longuement, faisant complètement abstraction de la vie qui l’entourait, l’ancien Épéiste se redressa sur son banc. Les poings serrés sur ses cuisses, Yume porta un regard circulaire sur la foule autour de lui qui ne lui accordait aucune forme d’attention. Il fallait dire qu’il se fondait parfaitement dans la masse, parce qu’il arborait exactement la même mode que les autochtones d’ici.
Tout comme Fileya — et lui désormais —, les habitants de cette étrange ville surnaturelle étaient habillés de kimono, à la différence près que la couleur des tenues variait suivant les personnes. Par exemple, les deux enfants qui venaient de passer à toute vitesse devant lui portaient des costumes de nuance vert foncé. Quand il posa son regard sur de nouvelles silhouettes qui parsemaient la grande place, le jeune homme remarqua alors que d’autres citadins arboraient toutes sortes de teintes. Yume ne savait pas vraiment ce qu’elles signifiaient, s’il s’agissait d’un simple goût de couleur, ou bien si les coloris symbolisaient en réalité quelque chose comme la classe sociale. Certains citoyens portaient du vert, d’autres du rose, d’autres encore du rouge — la teinte la plus répandue, par ailleurs — et, et peut-être était-ce la couleur la moins représentée, certains kimonos étaient dorés.
Complètement perdu, Yume se laissa tomber dos contre le banc de cristal, ses paumes recouvrant l’entier de son visage tandis qu’il soupirait longuement de lassitude. Qu’est-ce qu’il fichait là, sincèrement ? Qu’était-il censé faire ? Qu’était-il censé comprendre ? Nul doute qu’il n’avait pas sa place ici. Pourquoi Fileya n’avait-elle pas pu franchir la barrière, contrairement à lui ? Il était évident que cette épreuve devait lui être entièrement réservée ! La Déesse n’avait-elle réellement pas fait d’erreur dans ses calculs ? Plus il se torturait l’esprit, plus la réponse semblait prendre un malin plaisir à lui filer entre les doigts, comme un enfant qui s’amusait à jouer à cache-cache. Dépité, Yume en vint même à penser qu’Astrid, la moins débrouillarde de toute l’équipe, aurait certainement pu trouver la solution pour sortir de cette illusion depuis longtemps.
Inspirant à nouveau pour se donner plus de courage au souvenir de son amie venue d’ailleurs, Yume croisa ses paumes sous son menton, avant de poser celui-ci sur le dos de ses mains, et enfonçant ses coudes dans ses cuisses.
Bon. Cette ville avait peut-être un lien avec Fileya, n’est-ce pas ? Était-ce cela que le jeune homme devait comprendre ? Ses sourcils froncés de concentration, le blondinet fit appel à toutes ses connaissances sur les Invoqueurs pour tenter de saisir ce que ces couleurs pouvaient bien exprimer. Il savait que le rose et le vert étaient un moyen de distinguer les Invoqueurs novices entre eux, le rose se référant aux apprenants sans Maître, à la différence de ceux arborant du vert qui suivaient un parcours plus compliqué et strict sous la tutelle d’un Invoqueur plus expérimenté. Cependant… que signifiaient les dernières couleurs ? Certes, l’ancien Épéiste se souvenait avoir souvent vu River exhiber une écharpe dorée lors des grandes représentations de l’Élite, donc… Le doré correspondait aux Maîtres ? Cela expliquerait leur faible pourcentage. Mais qu’en était-il du rouge ?
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