Chapitre 3.4 : Yume
Yume se redressa à son tour du banc de cristal, gravement. Ses poings serrés le long de son corps et ses sourcils froncés témoignaient d’une certaine détermination. Il sauverait sa famille, aussi factice soit-elle. Il avait une chance d’aider cette famille qu’il n’avait jamais eue, une possibilité de profiter un dernier instant des moments envolés qu’il ne pourrait jamais récupérer avec sa véritable famille. Alors, il le ferait. Peu importait la façon dont il allait s’y prendre, il secourrait ces gens. Pour soulager sa conscience…
Baissant les yeux sur ses mains, Yume nota que celles-ci brillaient d’une lumière singulière, presque aveuglante. Il dressa les iris sur la silhouette vêtue de noir, qui lui souriait toujours, attendant plus d’explications quant à cet étrange phénomène. Mais la Mage resta de marbre. Le jeune homme souffla du nez, résigné. Il devait faire confiance à cette jeune femme, même si, il était vrai, elle avait tenté de l’envoûter. Comme il y avait déjà réfléchi un peu plus tôt, cette curieuse Mage ne lui était pas apparue pour rien. La Déesse l’avait mise sur son chemin pour une raison précise. Avait-il effectué le bon choix en recourant à son aide ? Seul l’avenir le lui dirait. Peut-être avait-il déjà échoué en acceptant cet étrange pouvoir. Peut-être que le but de cette épreuve était de résister à la tentation ? Yume s’en fichait. Tout, depuis qu’il était entré dans cette illusion, n’avait pas de sens. À tel point que le jeune homme en vint à la conclusion que pour réussir sa mission, il devait faire exactement l’inverse de ce qui était réellement attendu de lui.
Même s’il ne vouait pas une grande empathie pour les Dieux qui n’avaient jamais été présents pour lui, en particulier lors de l’attaque abrupte de son village, Yume décida de placer ses espoirs en la Déesse. Non pas car il éprouvait une quelconque compassion envers cette fillette. Mais plutôt parce qu’il savait que Fileya, elle, lui conférait une confiance aveugle. Alors, pour une fois, en l’honneur de sa meilleure amie, Yume se soumettrait, lui aussi, à l’exigence d’une Déité. En priant secrètement pour ne pas le regretter par la suite…
Jetant un dernier coup d’œil à ses mains, Yume hocha la tête avec conviction. Les poings serrés près de son corps tremblant d’excitation à l’idée de faire enfin une bonne action utile, le jeune homme s’apprêta à emprunter les ruelles dans le sens inverse, faisant confiance à l’illusion pour guider aveuglément ses pas, lorsqu’il se stoppa brutalement dans sa marche. Une réalisation venait de le frapper en pleine poitrine. Il effectua un rapide volte-face en direction de la mystérieuse Mage, et découvrit avec chance que celle-ci ne s’était pas volatilisée aussi vite qu’elle était apparue.
― Je ne vous ai même pas demandé votre nom, réalisa Yume, avec un léger sourire en coin gêné.
La réaction de la jeune femme ne se fit pas attendre. Contrairement à ce à quoi il s’était préparé, la magicienne inconnue ne sembla même pas s’en accommoder ni s’en fâcher. Au lieu de cela, la Mage retroussa une manche noire près de ses lèvres pour dissimuler un rire, mais ses pommettes relevées sur ses yeux déjà fortement plissés ne passèrent aucunement inaperçues. L’éclat dans ses iris bleus cristallins avait adopté une lueur plus malicieuse qui, une fois n’était pas de coutume, rappelait considérablement quelque chose à l’ancien Épéiste.
― Je suis Shamyso, se présenta-t-elle sans modestie, la Mage la plus puissante que le continent n’est jamais porté.
Yume fronça les sourcils, faisant preuve de son plus grand sérieux — chose dont il était très rarement capable. Ce nom… Tout comme son visage, il l’avait déjà entendu. Et, pour une fois, il était persuadé qu’il ne venait pas de l’une des histoires de Fileya, bien qu’il était pourtant certain de l’avoir entendu de la bouche de sa meilleure amie.
Shamyso… devait-il s’en méfier ? Ce prénom faisait remonter en lui de drôles d’émotions, dont une qui le suppliait de prendre ses jambes à son cou.
Le jeune homme essaya de faire le lien, de recoller toutes les pièces du puzzle entre elles. Un visage qui lui paraissait familier, le prénom de Shamyso, la race des Mages…
C’en était bien trop pour lui. Yume avait l’impression que son cerveau allait exploser s’il n’arrêtait pas de se remuer les méninges maintenant. Et puis, y avait-il réellement matière à s’en faire ? Il était dans une illusion, ici, rien de grave ne pouvait lui arriver, n’est-ce pas ? C’était comme faire un horrible cauchemar : les émotions et les sensations vous paraissaient certes bien trop réelles, à tel point qu’il était difficile d’en opérer la différence avec la réalité, mais, une fois au réveil, on se rendait compte qu’il y avait, comme toujours, eu plus de peur que de mal.
Se réconfortant dans l’idée qu’il en discuterait avec ses amis avant d’en venir à des conclusions trop hâtives, Yume s’engouffra dans une ruelle, bien décidé à user de son nouveau pouvoir sur sa famille.
― Quel petit être chétif et insignifiant, cracha Shamyso, désormais seule sur la place, alors que les habitants tout autour d’elle s’évaporaient comme neige au soleil.
La Mage à la chevelure de jais leva la tête en direction des cieux, un sourire mesquin étirant ses lèvres généreuses.
― Mais si cela fait partie du plan de mon Maître, et qu’il souhaite en faire son réceptacle de colère, alors soit.
Shamyso marqua une pause, tandis que ses yeux, toujours rivés vers les nuages qu’elle pouvait presque toucher, se plissèrent pensivement. Lentement, ses iris se déplacèrent en direction de la tourelle de roche la plus proche, qui produisait un faisceau lumineux presque imperceptible pour des Humains. Elle reprit son monologue, toute trace de joie ayant disparu de son visage :
― Le Monde est sur le point de vivre son Renouveau. Mais… Combien de temps cela nous prendra-t-il… ?
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