Chapitre 4.1 : Yume
Exactement comme Yume s’y était attendu, l’illusion guida ses pas pour le ramener jusque devant la maison de ses parents imaginatifs. Depuis qu’il avait quitté la place centrale de la Cité des Invoqueurs, les mains du jeune homme n’avaient rien perdu de leur éclat. Il ignorait combien de temps le sort de Shamyso allait tenir. Peut-être juste la durée d’une utilisation sur les trois membres de sa famille, pas plus longtemps. L’ancien Épéiste ne savait toujours pas non plus comment il devait se servir de ce nouveau pouvoir ni les impacts qu’il aurait sur ses parents et sa sœur illusoires. Peut-être n’allait-il rien se passer de bien spécial, tout au plus, les membres de son foyer ressentiraient des effets d’adrénaline dans l’entièreté de leur être, comme lui lorsqu’il avait reçu la magie salvatrice de la mystérieuse jeune femme. Ou bien, dans le pire des cas, le jeune homme espérait que, si répercussions négatives il y avait, alors ils seraient les plus minimes possibles, comme de simples maux de tête ou de ventre.
D’une paume tremblante d’émotion jubilatoire, Yume se décida enfin à ouvrir la porte de la demeure de ses parents, après avoir patienté sur le seuil pendant des minutes à réfléchir à ce qu’il devait faire ou pas. Avait-il d’autre choix, désormais ? Non. Le jeune homme n’avait que cette option sur les mains pour pouvoir en finir avec cette épreuve, même si ce n’était pas cela que la Déesse escomptait de sa part. Et si la petite fille lui réservait un sermon pour ne pas avoir rempli la mission qu’elle attendait véritablement de lui, et bien, le blondinet n’allait pas se gêner pour lui faire savoir le fond de sa pensée !
« La prochaine fois, tu pourrais faire quelque chose de plus compréhensif, aussi ! Pense à lâcher des indices, je sais pas moi, n’importe quoi ! Des petits bouts de papier, ce genre de trucs… » avait-il réfléchi tout le long du chemin pour ne plus songer à ses mains luisantes qui avaient attiré les regards de tous les curieux sur lui.
Le tableau qui s’offrit à lui quand il ouvrit la porte lui déchira étonnamment le cœur. Assise à genoux sur un tapis de basse qualité en face de la table en cèdre sur laquelle Yume n’avait même pas eu le temps de manger, sa soi-disant mère tricotait quelque chose avec vigueur. Cela devait faire des jours, si ce n’était des semaines, que la femme devait travailler sur son ouvrage, car celui-ci était bientôt achevé. Mais ce qui fit réellement baisser les sourcils du jeune homme de tristesse, ce fut de l’entendre marmonner quelque chose dans sa barbe, des paroles que Yume ne parvint pas entièrement à saisir — il comprit, cela dit, quelques mots comme « mère indigne », « tout seul dans la rue », « peut lui arriver n’importe quoi » — à cause des sanglots qui la déchiraient. Sa mère ne prenait même pas la peine d’essuyer les grosses larmes qui lui coulaient sur les joues telles des fontaines inversées. Certaines perles salées vinrent se perdre sur son ouvrage, sur ses vêtements, ou sur la table en cèdre.
Yume porta son regard plus en détail sur le meuble pour ne plus avoir à supporter le portrait pathétique de sa mère qui se trouvait dans cet état par sa faute, il le savait. Là, il nota la présence d’une tasse en argile qui comportait un liquide encore fumant qui embaumait la pièce. L’odeur était forte, un peu piquante d’ailleurs, à tel point que le jeune homme ne parvint même pas à en deviner son contenu avec exactitude.
Décidant qu’il était temps de faire savoir sa présence à sa possible mère qui ne semblait pas l’avoir remarqué tant elle était concentrée sur son travail de couture, Yume pénétra dans la maison en prenant bien le soin de claquer violemment la porte derrière lui. Son entrée en trombe porta ses fruits, comme il s’y était attendu : sa mère sursauta, surprise. Une fois l’étonnement passé, cette dernière, avec une main apposée au niveau du cœur dans l’espoir d’en calmer les battements précipités, se tourna brusquement en direction de son fils. Les grands yeux bleus de sa mère illusoire s’écarquillèrent curieusement. N’avait-elle pas anticipé de le voir rentrer à la maison aussi tôt ? Ou bien était-ce car elle attendait en vérité quelqu’un d’autre… ? Dans tous les cas, elle paraissait surprise de son apparition sur le pas de la porte.
― Yume ! s’exclama finalement la femme à la chevelure blond platine nouée sur son épaule droite, alors que de nouveaux sanglots, heureux cette fois-ci, coulèrent sur ses joues. Tu es enfin là… J’ai cru que tu ne… jamais…
N’y tenant plus, la mère laissa tomber volontairement son ouvrage, qui s’écrasa avec un fracas métallique sur la table en cèdre. Puis, à la vitesse de l’éclair, la femme inconnue se dressa sur ses jambes et vint entourer ses deux petits bras autour des épaules de son fils, qui la dépassait largement d’une tête, voire plus. Celui-ci ne sut véritablement quelle attitude il devait adopter. D’abord réticent, Yume serra la mâchoire, tout en reculant d’un pas, craintif par cette drôle d’étreinte auquel il n’était aucunement habitué, puisque seule Fileya avait l’autorisation de lui en accorder, en de rares occasions, cependant. Mais, finalement, quand il sentit une curieuse chaleur chasser les derniers résidus de colère dans son cœur, le jeune homme se laissa aller à l’accolade de sa génitrice. Certes, cette jeune femme n’était pas sa véritable mère, mais jamais personne ne l’avait ainsi réconforté avec des bras aussi puissants.
Parce qu’il n’avait jamais connu un geste d’amour aussi pur et passionnel que celui-ci, Yume enfouit sa tête dans le creux que formait l’épaule et le cou de la femme, se répétant, au fond de lui, que ses parents, ses véritables bien qu’il ne les avait jamais rencontrés, lui manquait. L’espace d’un instant, ainsi perdu dans les bras de sa fausse génitrice, le jeune homme aurait voulu rester dans cette illusion pour l’éternité. Ne jamais rejoindre la réalité, une vie où il lui manquait la présence rassurante de ses parents… et de sa sœur. Oui, il était même prêt à supporter l’influence d’Anthéa jusqu’à la fin de son existence, s’il le fallait, parce qu’il aimait leur relation de chamaillerie qu’ils entretenaient. Comme de véritables frères et sœurs, après tout.
― Je suis désolé, déclara subitement Yume, pleurant désormais lui aussi à chaudes larmes, ne comprenant pas comment il pouvait faire autant preuve de faiblesse pour une femme qui n’était rien d’autre qu’une illusion.
― C’est du passé, désormais, décida la mère en secouant sa tête contre le torse de son fils. Quel soulagement !
Doucement, la femme se détacha de l’étreinte du blondinet, tout en écrasant les derniers résidus de larmes d’une main tendre sur ses paupières. Elle agrippa alors fermement les avant-bras de son enfant, pour plonger son regard parfaitement identique dans celui de son interlocuteur. Un sourire bienheureux trouva lentement mais sûrement sa place sur les lèvres fines de sa mère.
― Je vais prévenir immédiatement ton père et ta soeu-
Mais, les paupières grandes ouvertes d’effroi, la femme à la chevelure aussi blonde que l’or ne put jamais achever sa phrase. Sans comprendre ce qui avait véritablement ordonné ce geste impromptu et immoral, Yume sentit son avant-bras droit se lever avec une lenteur abominable qu’il scruta avec des yeux écarquillés d’effarement. Puis, ses doigts se crispèrent comme pour former un crochet, alors que sa paume brillante d’une lumière surnaturelle s’aventurait beaucoup trop près de l’organe vital de sa mère illusoire.
Avec un rictus de dégoût, le jeune homme enfonça alors complètement sa main dans la poitrine de son interlocutrice, bien trop sonnée pour réagir. Quand ses doigts se refermèrent sur quelque chose de curieusement doux et chaleureux, Yume leva ses yeux turquoise embrumés de larmes en direction de la femme, qui avait laissé échapper quant à elle ses perles salées. Cependant, ce ne fut pas ni aversion ni haine que l’ancien Épéiste capta dans son regard, mais bien de l’incompréhension envers ce geste.
Réalisant qu’il n’avait véritablement plus aucune maîtrise des événements, ni même de son propre corps, ses membres ayant perdu tout libre arbitre, Yume retira lentement ses mains, comme on extrayait quelque trésor précieux tombé au fond d’une eau peu profonde pour ensuite le garder pour soi et soi seul. Alors que sa paume se rétractait paresseusement de sa poitrine, la jeune femme, la bouche entrouverte, laissa échapper une gerbe de sang tout en gémissant de douleur.
Dérouté par ses propres actions qu’il ne contrôlait plus, Yume fixa sans comprendre la boule lumineuse qui irradiait désormais dans la paume de sa main, qui elle-même avait perdue légèrement en intensité.
Le jeune homme s’était servi du sort de Shamyso. Mais jamais… Jamais il n’aurait cru en arriver en de telles extrémités ! Certes, cette femme n’était même pas réelle, mais elle ne méritait pas pareil destin ! Yume n’était pas du genre à faire du mal à autrui, jamais ! Cette Mage l’avait très certainement trompé ! Ce n’était pas non plus l’illusion qui guidait des gestes, mais bien la magie noire de cette peste sans cœur !
« Son énergie vitale… réalisa Yume en son for intérieur, sans savoir comment il avait réussi à deviner ce dont il s’agissait. Mais qu’est-ce que… Pourquoi… ? Qu’est-ce que je suis en train de… »
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