Chapitre 6.3 : Fileya

7 minutes de lecture

Plus elle s’enfonçait dans cette épreuve, plus la jeune fille nageait dans la confusion. Tout, ici, lui semblait si réel qu’il était difficile d’affirmer avec exactitude qu’elle se trouvait dans une illusion. Fileya avait pleinement conscience de toutes ses sensations. Son odorat, sa vue, et même le toucher. Tout lui semblait si réel. Elle se demanda également si c’était dans cet état d’extrême désarroi que se sentait Astrid, à chaque moment passé à leur côté, elle qui soutenait qu’Onyrik n’était rien de plus que le fruit de son imagination. La jeune Invoqueur tressaillit à cette pensée. Différencier les rêves de la réalité n’était pas aussi aisé qu’elle se l’était représenté… Ce qui l’angoissa plus que de mesure. Et si c’était cela, ce que la Déesse essayait de leur faire comprendre ? Que leur Monde n’était qu’une immense chimère invoquée par les songes d’une adolescente dont la vie monotone avait épuisé ?

Fileya sentit son teint devenir subitement plus blême. Quelle autre raison que cette horrible fatalité pouvait cacher ces épreuves ? Yume revendiquait que les illusions provoquées par la petite Déité étaient ici pour tester leur pire faiblesse, mais, et s’il se trompait sur toute la ligne ? Et si, à travers ces examens, la Déesse leur montrait simplement comment aurait pu être leur vie si Astrid l’avait imaginée autrement ? Fileya ne s’interrogea que davantage. Certes, son amie était la prétendue héroïne qui sauverait le Royaume voire le Monde tout entier, mais ce pouvait-il que ses pouvoirs étaient encore plus puissants et importants qu’ils ne le pensaient ? Astrid était presque l’équivalent d’une Déité… Après tout, les légendes disaient bien qu’Onyrik avait été façonné à partir du sang et des larmes de la Déesse, cette même enfant qui s’amusait à les persécuter depuis un sacré long moment… Mais si… Astrid et elle avaient un lien de divinité insoupçonné ?

Empruntée par ces réflexions qui partaient bien trop dans tous les sens au goût de la jeune fille, cette dernière secoua vivement la tête pour se remettre les idées en place.

« Impossible. Astrid n’a jamais fait montre d’aucun pouvoir. Et si j’avais mis le doigt sur la vérité, l’épreuve se serait déjà arrêtée. Je devrais rester sur la théorie de Yume, et songer plus sérieusement à ma pire faiblesse. »

Balançant ses jambes dans le vide dans un mouvement de va-et-vient incessant, Fileya posa ses yeux sur la petite silhouette courbée de son mentor. La majeure partie du temps devant ses fourneaux, il lui arrivait de temps à autre de se tourner pour farfouiller un moment dans sa besace en toile sur la table bancale pour en tirer quelque ingrédient nécessaire à la préparation de sa concoction avant de retourner à celle-ci. Était-ce réellement River, sa pire faiblesse ? Son attachement à lui, peut-être, car il était le dernier lien familial qu’il lui restait ? De cœur, tout du moins. Alors, son épreuve était-elle censée graviter autour de l’Ancien ? Ou bien Fileya faisait-elle une fois encore fausse route ?

Dépitée par toutes ces questions sans réponses, la jeune fille soupira bruyamment. Elle passa ensuite la pièce au peigne fin à l’aide d’un regard circulaire. Se pouvait-il que celle-ci cachât un objet, n’importe lequel, qui serait la clef pour lui indiquer la suite de son épreuve ? Ses iris vairons ternes et fatigués se fixèrent malgré elle sur la bibliothèque aux livres de cuir précieux qui l’attiraient indéniablement depuis qu’elle avait posé les yeux sur eux, à son réveil. Ce devaient forcément être eux, la solution de l’énigme.

Déterminée à mettre un terme à toute cette mascarade, Fileya tenta de se sortir du lit. Elle chancela légèrement lorsque ses pieds se posèrent sur le sol pavé, mais elle tint bon en s’équilibrant à l’aide de ses bras. Gênée, la jeune fille lança un discret regard en direction de River, priant intérieurement pour que celui-ci ne l’ait pas remarquée. Fort heureusement, le vieil homme était trop occupé avec la préparation de son breuvage pour avoir noté quoi que ce soit à l’attitude vacillante de sa pupille. Rassurée, la jeune Invoqueur se dirigea d’un pas décidé vers les étagères.

Une fois qu’elle se trouva enfin face à la bibliothèque tant convoitée, Fileya plissa des paupières, luttant contre les étoiles qui dansaient devant ses yeux. Pourquoi son esprit était-il aussi embrumé et ses jambes aussi cotonneuses ? Son état avait-il un quelconque rapport avec le fait qu’elle se situait dans une illusion, ou bien était-ce un malus lié à son épreuve ? Mais la jeune fille était bien loin d’être au bout de tous ses tourments. Peu importait où ses iris bicolores se posaient, tout ce qu’elle parvint à déchiffrer des merveilleux ouvrages de cuir devant elle fut des symboles incompréhensibles, qu’elle reconnaissait pourtant sans peine : de l’Ancien Elfique. Quelque part, la meilleure amie de Yume n’en fut étonnée que le temps d’un battement de cœur. Si cette épreuve avait réellement été façonnée par la Déesse, alors, il n’y avait rien d’étonnant à ce que cette dernière l’ait transportée dans une dimension où les anciens écrits étaient encore monnaie courante.

― Beaux ouvrages, n’est-ce pas ? intervint subitement River avec un sourire rêveur au coin des lèvres. Je les ai acquis quand je suis passé au rang d’Ancien.

Cette soudaine prise de parole eut l’effet de sortir la magicienne de ses pensées. Toujours penchée sur les étagères, Fileya pivota une tête intriguée en direction de celui qu’elle considérait comme son grand-père. Celui-ci était encore affairé à faire tourner une cuillère en bois dans une casserole qui dégageait une merveilleuse odeur sucrée et rafraîchissante, peut-être de la cannelle. Même s’il ne semblait au premier abord ne pas avoir remarqué le mouvement de son interlocutrice, River poursuivit pourtant son monologue, comme s’il avait compris que la jeune fille l’interrogeait en réalité du regard :

― Ah, oui, tu dois ignorer ce que sont les Anciens.

River poussa un long soupir qui acheva de faire éclater le cœur de Fileya de curiosité. Plus le temps passait, plus cette épreuve semblait étrange. Fileya avait un drôle de pressentiment, un ressenti, une émotion qui n’avait pas sa place ici. Elle savait que la Déesse était responsable de toute cette situation, que le vieil homme en face d’elle récitait les mots que la petite fille lui susurrait à l’oreille. Mais quelque chose, dans ses paroles, sonnait comme une part de vérité. Fileya ne comprenait pas encore où la Déité cherchait à la mener, ce qu’elle devait tirer des informations lancées par bribes par River, mais elle avait l’intuition qu’elle ne devait pas en perdre une miette, au risque de manquer une pièce du puzzle une fois face à la résolution de son problème. Comme un élément d’une complexe énigme qu’il ne fallait pas omettre, au risque de tourner en rond pendant des heures.

― Et bien, comme leur nom l’indique, ce sont les êtres les plus vieux de toute la Cité des Invoqueurs, expliqua calmement le vieux personnage. Et donc, comme tu t’en doutes aussi, nous ne sommes composés que de vieilles peaux qui ne sont plus que bonnes à jeter par-dessus la Cité volante, ha ! ha !

Fileya sentit son cœur éclater. Elle qui était toujours avide d’informations, avide d’histoires, avide de savoirs, voilà que l’être en qui elle avait le plus confiance dans tout Khazasfä lui annonçait une vérité qu’on lui avait que trop longtemps cachée. La magicienne connaissait déjà le rôle des Anciens au sein de l’Élite, ainsi que les membres qui les composaient. Mais… La Cité des Invoqueurs, une ville volante ?!

La jeune fille fronça ses sourcils à l’extrême, tandis qu’un affreux mal de tête s’empara de sa boîte crânienne sans y avoir été invité. Non. Trop de choses n’allaient pas. Jamais on ne lui avait parlé de la Capitale des Invoqueurs de cette façon. Tout comme… Jamais personne dans l’Élite ne se désignait comme « Ancien de la Cité », mais plutôt comme « Ancien des Invoqueurs ». Ils ne se présentaient jamais en mentionnant la ville, privilégiant le peuple, la seule chose qu’il demeurait de leur ancienne glorieuse métropole.

Le doute laissa cependant rapidement la place à un sentiment bien plus léger, bien plus agréable. De l’espoir. De la jubilation. Les pièces du puzzle commençaient enfin à s’imbriquer entre elles, maintenant qu’elle avait un peu plus d’informations. Ne restait désormais qu’à vérifier ses théories.

« La Déesse… Elle m’a menée à la Cité des Invoqueurs. La vraie. Telle qu’elle était autrefois, bien avant ma naissance. Je comprends qu’elle ait voulu réaliser le plus beau de mes rêves, mais… Pourquoi y avoir placé River ? Que dois-je faire ? Sauver la ville, empêcher sa destruction ? Ce serait trop demander pour une seule personne. Je dois chercher à en savoir plus, avant de tirer des conclusions trop hâtives. »

― M’enfin, reprit River devant le profond mutisme de sa petite protégée qu’il avait sans doute dû mal interpréter. Notre rôle est de guider les Maîtres Invoqueurs lorsque ceux-ci viennent nous demander conseils pour gérer leurs jeunes Apprentis Invoqueurs.

Fileya acquiesça d’un hochement de tête. Pour le moment, rien ne lui paraissait suspect. Les Anciens de Fikternand possédaient également pareille tâche.

― C’est également nous qui gérons la prospérité de la ville, et qui maintenons la sphère de protection sur la Cité. Sans ses piliers… La Cité pourrait tomber sur Khazasfä. Et, au vu de la hauteur à laquelle nous flottons, je n’ose imaginer l’impact que pourrait avoir une telle collision sur la terre sous nos pieds !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Blanche Plume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0