Chapitre 6.4 : Fileya

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Encore de nouvelles informations sur la mythique ville des Invoqueurs… Plus la conversation avec River avançait, plus Fileya aimait cette autre version de son vieux mentor !

Son menton coincé entre son pouce et l’index, ses sourcils froncés de concentration, Fileya analysait ce quelque nouveau flux de renseignements. La surprise avait pris le dessus sur ses émotions, à tel point qu’elle se trouvait bien incapable de prononcer le moindre mot ! River avait bien confirmé le fait que la Cité des Invoqueurs flottait dans les cieux, chose dont elle n’avait jamais pris conscience jusqu’à maintenant. Et, en sus de cela, les Anciens, autrefois, avaient pour rôle de protéger la ville, en plus de la diriger.

Une seule question demeurait, pourtant : pourquoi toutes ces informations s’étaient-elles perdues avec le temps ? Les savoirs s’étaient-ils érodés par les années à cause de la déchéance de l’Elfe Ancien, qui composaient la plupart des livres savants de la Cité ? Ou alors ces livres avaient-ils simplement été détruits lors de l’attaque qui avait ravagé la Capitale des Invoqueurs ? Mais, quoi qu’il en soit, la mémoire collective des Invoqueurs ayant survécu au massacre aurait dû être un précieux puits de connaissances qui aurait dû se perpétuer à travers les âges. Qu’est-ce qui avait bien pu se dérouler pour qu’on efface intégralement cette vérité de l’Histoire ? Était-ce pour masquer aux Anciens actuels leurs véritables pouvoirs ? Que se passerait-il si, par hasard, les Invoqueurs décidaient de former à nouveau un peuple, se détachant complètement de l’Élite, voire du continent entier, comme autrefois ?

― Ah, je suis désolé, chère enfant, apostropha subitement le vieux River, sa voix teintée d’inquiétude. Dès que je me mets à parler, je suis un vrai puits de sagesse dont l’eau coule à torrent : je suis inarrêtable, haha !

Gênée à l’idée que son silence fût mal interprété par le vieil Invoqueur, Fileya entrouvrit les lèvres dans l’espoir de s’expliquer, mais son interlocuteur ne lui en lassa jamais l’occasion. Amusée, la jeune fille préféra se taire et ne pas interrompre son grand-père de cœur. Entendre la voix rauque et usée par le temps de River lui avait tellement manqué qu’elle ne se sentait pas le courage de lui demander de s’arrêter, et encore moins de lui couper la parole. Ce fut donc le cœur léger qu’elle l’écouta continuer à se confondre en excuses :

― J’oublie toujours que ce Monde doit sincèrement vous troubler. Mais n’ayez crainte, vous y serez très bientôt accoutumée, j’en suis certain !

Tandis que River repartait dans sa besogne, Fileya en profita pour se tourner à nouveau vers les livres de cuir, songeuse. Le regard dans le vague, un petit rictus encore flottant sur ses fines lèvres et une paume délicate posée tout près de son cœur, la jeune fille se questionna sur toutes les émotions qui l’assaillaient. Du doute, de l’incompréhension, mais avant tout beaucoup de curiosité insatiable. Elle se demanda alors si c’était ainsi qu’Astrid ressentait les choses depuis quelques jours, quand elle s’était réveillée au beau milieu de Fikternand. Après tout, leurs situations étaient similaires, n’est-ce pas ? En retournant ainsi dans le passé, Fileya avait, en quelque sorte, redécouvert un Monde perdu. Mais la jeune fille venue d’ailleurs et la meilleure amie de Yume avaient cependant des différends quant à la façon d’analyser et de concevoir les éléments qui les entouraient. Peut-être son amie avait-elle ressenti d’autres émotions, bien moins agréables. La peur, entre autres.

Lentement, Fileya sortit de ses songes. De nouveau en contact avec la réalité de son illusion, la première chose sur laquelle ses iris se posèrent fut les nombreuses rangées de livres disposés sur les étagères. Ses sourcils froncés de concentration, la jeune Invoqueur tenta d’en déchiffrer les runes elfiques, avant de finalement renoncer. Elle avait pensé, comme elle se trouvait dans un univers artificiel, que la Déesse avait pu lui inclure la connaissance de cet ancien alphabet par elle ne savait quelle prouesse magique dans son cerveau pour lui permettre de lire les symboles.

Malheureusement, la Déité avait vu les choses autrement. Peut-être que les indices quant à sa mission ne se trouvaient finalement pas parmi ces ouvrages. Bien que ceux-ci ne manquaient pas d’intriguer la jeune fille ! Après tout, elle avait passé la majeure partie de son enfance et de son adolescence à éplucher les livres de la bibliothèque de Fikternand, et également celle de son vieux mentor, et jamais elle n’était tombée sur des bouquins en Ancien Elfique ! Ceux-ci devaient renfermer des secrets incroyables, peut-être même contenaient-ils des formules magiques oubliées de sorts destructeurs qui pourraient leur être utiles pour la suite de leur quête !

Sur sa droite, Fileya perçut du mouvement, ce qui l’arracha à la contemplation de ses précieux. River avait fini de touiller sa spatule de bois et l’avait posée avec vélocité sur le plan de travail de sa minuscule cuisine. Avec précaution, il agrippa fermement le manche de sa casserole à deux paumes. Son front plissé par les rides était bridé par une expression de profonde concentration qui fit sourire sa pupille, lui rappelant tant avec douceur qu’avec assidité les nombreuses après-midi passées en compagnie du vieil Invoqueur à siroter des tasses de thé en parlant des derniers petits potins du quartier.

― Là ! s’exclama-t-il avec une once de fierté dans le fond de sa voix. Voilà, tout est prêt ! Venez donc vous asseoir, un thé vous fera le plus grand bien !

Avec des gestes tremblant d’effort — Fileya devina que l’eau bouillante devant être à ras bord du récipient —, River s’approcha avec lenteur de la table bancale, comme si le moindre pas en avant lui demandait une vigueur inconcevable pour ses vieux muscles. Là, il déposa la précieuse boisson sur une manique toute calcinée, sans doute des marques dues à une ou plusieurs séances de cuisine particulièrement désastreuses. Fileya ne sentit même pas ses lèvres s’étirer en un sourire en coin. La Déesse avait réussi à recréer un River maladroit en cuisine comme elle s’en souvenait si bien !

Sa besogne achevée, River tourna un visage bienveillant en direction de Fileya, qui n’avait presque pas ouvert la bouche depuis qu’elle s’était réveillée. Puis, remarquant enfin l’endroit de la pièce où elle se trouvait, son front se plissa de concentration, ce qui augmenta son nombre pourtant conséquent de rides. Mais cette expression sérieuse ne dura que le temps d’un bref battement de cils, car le vieil homme lâcha finalement un rire franc.

― Oh ! Oh ! Oh ! Pas la peine d’essayer de comprendre ce qu’il y ait écrit ! prévint-il avec toute la bonne volonté de l’univers. Cette langue n’existe pas dans votre Monde ! Et fort heureusement… Je n’ose imaginer les pires immondices dont votre espèce serait capable avec un tel joyau entre les mains.

Il s’arrêta un instant, sans doute car Fileya devait faire une moue réprobatrice qui le força à ajouter :

― Sans… vous offenser, chère enfant.

La jeune Invoqueur aurait aimé trouver quelque chose à dire, mais lui affirmer qu’elle ne comprenait pas pourquoi il refusait de la traiter comme si elle était elle aussi de son espèce lui semblait curieusement inapproprié. Il était vrai que River avait déjà sous-entendu que, dans cette réalité-ci, Fileya n’appartenait pas à l’ethnie des Invoqueurs. Alors, elle affronterait le jeu jusqu’au bout.

Mais, tout de même, la Magie était monnaie courante dans leur Royaume, et même dans le Royaume voisin… Quel peuple pourrait essayer de s’en accaparer pour en abuser et répandre le mal ? La jeune fille n’avait pas souvenir que, dans les livres d’Histoire, il n’ait jamais été mentionné l’identité d’un tel peuple cherchant à s’emparer de la Magie pour commettre des immondices. Mais, comme on avait caché la nature volante de la Cité des Invoqueurs, que l’on avait effacé un pan entier du passé ne l’étonnerait guère. Et si c’était cela que la Déesse souhaitait leur faire comprendre ? Que leur Histoire n’était que des simagrées, et qu’ils devaient, grâce à son savoir, rétablir la vérité ? Seules des théories naissaient dans l’esprit de la meilleure amie de Yume, pour l’instant. Elle n’avait toujours aucune idée concrète de la solution à son épreuve, et celle-ci commençait par ailleurs à bien trop s’éterniser à son goût.

Il y avait une raison pour laquelle Fileya n’avait pas osé ouvrir la bouche pour exprimer ses doutes et ses incertitudes. Retrouver le River souriant et chaleureux de son enfance avait ravivé une flamme d’espoir et de bien-être dans son cœur qu’elle avait imaginé éteinte à jamais. Depuis qu’elle avait quitté les cachots de Fikternand, cette emblématique nuit fatidique du premier sauvetage de Yume, sa vie avait pris un tournant dramatique dont elle n’aurait jamais pensé être un jour l’actrice. Depuis ce fameux soir, la jeune fille ne se sentait plus elle-même. Elle interrogeait constamment son Royaume, son savoir, ses compétences, ses émotions… Et pire que tout, Fileya ne se connaissait plus. Elle se cherchait, elle se découvrait. Mais plus les heures passaient, plus elle s’éloignait de la tendre enfance qu’elle avait toujours vécu aux bras de River, cette douce période de l’innocence où tout ce qu’il lui importait était de décider quel nouveau livre elle allait étudier.

Mais Fileya était aussi loin d’être dupe et naïve. Des épreuves, elle en avait déjà surmonté beaucoup, depuis le début de sa quête, et elle en aurait très certainement des nouvelles à affronter. La jeune fille devait prendre garde à ne pas se laisser berner par ses émotions. Elle se souvenait bien des avertissements que lui avait lancés Yume avant qu’elle ne pénétrât dans son illusion. Elle devait faire preuve de prudence, et ne pas laisser ses sentiments lui faire croire que ce qu’elle vivait était la stricte vérité. Ce River-ci, malgré le vouvoiement et le décor dans lequel il évoluait, n’était pas le River tel qu’elle l’avait toujours connu. Celui-ci n’était rien d’autre qu’une apparition que la Déesse avait créée en lisant le manque qu’il avait jeté dans son cœur et s’en servait maintenant pour la mettre dans l’embarras, dans une pâle copie de la réalité. Fileya devait faire attention à ses émotions, pour qu’ils ne prennent pas le dessus sur sa raison. Et peut-être même que là résidait son épreuve : résister à ses besoins et ne pas laisser la douceur et la naïveté avoir l’ascendant sur ses intentions.

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