Chapitre 7.1 : Fileya

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Complètement paralysée sur sa chaise, incapable d’agir, Fileya soupira pour évacuer le stress qui faisait réaliser des bonds spectaculaires à son pauvre cœur dans sa poitrine.

« Ce doit être dans les plans de la Déesse, tenta de se rassurer la jeune fille, tout en fermant les yeux pour s’efforcer d’apprécier son thé pomme cannelle. Je dois lui faire confiance, même si je sais… Que je vais avoir mal. Mais c’est dans ses plans, alors je m’y soumets. De toute façon, rien de tout cela n’est réel, je ne dois surtout pas l’oublier… Ne pas céder à mes émotions. Rester calme. »

Fileya lâcha un profond soupir, ne pouvant lutter contre les larmes amères qui lui montèrent aux yeux et qui lui nouèrent la gorge. La Déesse pouvait parfois être bien cruelle. Quel intérêt de la faire ainsi souffrir en lui rappelant qu’elle était inutile et pire que tout incapable de secourir les personnes qui était dans le besoin ? Était-ce un avertissement ? Un moyen de lui faire comprendre qu’elle n’arriverait jamais à sauver qui que ce soit lors de la suite de leur quête, et que si la Mort venait frapper à leur porte, alors la jeune Invoqueur devait tout simplement la laisser emporter un être cher ? Mais qui serait le prochain sur sa liste ? Astrid ? Thandon ? River ? … Yume ? De tous, peut-être était-ce justement son frère de cœur qu’elle refusait de voir partir.

Doucement, comme si cette action lui en coûtait, Fileya posa son regard sur les hautes tours qui se dressaient derrière la minuscule lucarne, au-dessus de la cuisine. Elle laissa volontairement ses pensées se perdre vers d’autres horizons, comme pour oublier la terrible réalité de son illusion. Pourquoi les bâtiments de la Cité des Invoqueurs et ceux du Royaume Onyrik étaient-ils façonnés dans le même matériau ? Certes, la meilleure amie de Yume n’avait jamais été véritablement une grande amatrice d’architecture, mais il lui était arrivé, lors de recherches sur la création du Royaume, de lire des passages entiers sur la genèse de la conception de Fikternand et de ses autres villages. Jamais il n’avait été mention d’une quelconque inspiration venant de la mythique Cité des Invoqueurs. Mais plus le temps passait, plus Fileya en apprenait sur ses origines et celles de son peuple, et plus les vérités cachées ne la surprenaient plus. Quelqu’un avait forcément tenté de masquer toutes ces réalités à propos des Invoqueurs, et la jeune fille ignorait dans quel but, ni qui voulait les effacer. Serait-ce les Invoqueurs eux-mêmes ? Ou bien une personne extérieure à ce conflit ? Quoi que fût la vérité dissimulée derrière ces mystères, la magicienne avait l’intime conviction que démasquer le ou les coupables était mission impossible, aujourd’hui.

Ses yeux bicolores uniques se posèrent alors par inadvertance sur le fameux pilier mentionné par River un peu plus tôt. Bien qu’il ne ressemblait qu’à une lance en cours de forgeage, Fileya constata que celui-ci était composé principalement de pierre et de roche. La jeune fille sentit son cœur bondir de terreur quand elle nota que, effectivement, de la fumée s’échappait de celui-ci. Comme l’avait si bien douté River — puis sans doute vu par la même occasion — un malheur s’était abattu sur ce pilier. La magicienne tenta de se convaincre qu’il ne s’agissait rien de vraiment très grave, et que son mentor s’était juste alarmé pour trois fois rien. Peut-être n’était-ce qu’un incident technique ?

Les espoirs de Fileya tombèrent pourtant rapidement à l’eau quand elle remarqua que le flux magique qui s’échappait de la pointe du pilier de roche comme une fontaine inversée perdait en puissance de secondes en secondes. Lentement, ses pensées analytiques se firent une raison dans son esprit tandis qu’elle laissait ses idées noires de côté pour se concentrer à nouveau sur son épreuve. Elle y avait déjà songé plus tôt, de sa motivation d’être ici, mais si la jeune fille avait tout bonnement vu juste ? Et si les plans de la Déesse étaient véritablement de lui mettre sur les épaules la responsabilité de la survie de son peuple ? Mais quelles pourraient-être les intentions cachées derrière une telle tâche ? Qu’espérait-elle d’elle pour l’avenir ? Était-ce simplement un moyen de lui faire comprendre que, plus tard, lors de sa quête, son rôle serait en effet de parvenir à sauver les Invoqueurs d’une nouvelle menace ? De Seven ? Ou bien quelque chose d’encore plus grand, comme l’avait sous-entendu les trois drôles de personnages dans son rêve ?

Mais une autre pensée bien plus cruelle s’insinua dans son esprit. Si Fileya se trouvait effectivement à l’époque de la gloire de la Cité des Invoqueurs, la ville de ses ancêtres, cette antique capitale qu’elle rêvait de visiter depuis qu’elle avait pris conscience de son destin tragique, alors, se pourrait-il que… qu’elle assistait, même en illusion, à ce qu’avait été sa chute ?

À cette réalisation qui prenait de plus en plus de consistance, comme si elle avait enfin mis le doigt sur la nature de son épreuve, Fileya se sentit le cœur au bord des lèvres. Elle tenta d’avaler une nouvelle gorgée de thé, mais le liquide manqua de l’étouffer quand il passa avec difficulté dans sa trachée. Son regard ne pouvait se détacher du pilier de pierre et de roche en arrière-fond. La jeune fille laissa son horrible mauvais pressentiment grandir dans son for intérieur.

Non. Elle n’aimait pas la tournure que prenaient les événements, et encore moins l’idée de savoir qu’une responsabilité aussi grande reposait sur ses épaules. Sauver tout un peuple… En avait-elle seulement le pouvoir, elle, petite Invoqueur qui avait tout appris du Monde dans lequel elle évoluait à travers les livres ? Certes, Fileya avait vécu et survécu à bon nombre d’aventures depuis sa première fuite de Fikternand en compagnie d’Astrid et Yume, elle avait bien failli y laisser sa propre peau à de nombreuses reprises, batailler pour sa survie, mais lui demander de porter secours aux Invoqueurs tout entiers… C’était bien au-delà de ses capacités. Jouer le bouclier de l’Enfant aux Yeux Rouges passait encore. Mais Fileya avait horreur des responsabilités, par peur de ne pas parvenir à les assumer.

La jeune fille ferma puissamment les yeux, tentant de calmer les violents tremblements dans ses mains. Elle se concentra sur sa respiration, pour retrouver un rythme cardiaque plus agréable. Et réfléchir posément. Là était la clef. Si la jeune Invoqueur se lançait dans son épreuve sans penser aux conséquences, elle risquait de faire bon nombre de faux pas. Fileya devait trouver un moyen de se reposer, de se détendre, de voir les choses de façon plus positive. De se faire confiance, tout simplement.

« Je vais y arriver, se répéta-t-elle en son for intérieur tandis qu’elle ouvrait les yeux pour avaler l’ultime gorgée de thé qu’il restait au fond de son verre. Ce n’est rien de plus qu’une illusion. Même si je me trompe… Ce n’est pas grave. Cela voudra simplement dire que la Déesse s’est trompée sur mon compte, et elle enverra quelqu’un d’autre pour sauver notre peuple. J’ai confiance en elle. »

Déterminée, Fileya plaqua deux mains sur la table branlante dans le but de se donner un meilleur élan pour se redresser, priant pour que, maintenant que sa boisson chaude était terminée, la Déesse lui autorisât à nouveau tout mouvement. Ravie d’avoir retrouvé l’usage de ses membres, la jeune fille se dirigea alors d’un pas confiant vers le seuil, s’empara de la poignée, tenta de la faire coulisser… Mais cette dernière bloqua en plein mouvement. Passablement énervée, la meilleure amie de Yume força sur le bouton de porte avec l’intention de le faire céder par la force, mais rien ne sembla faire effet. River avait fermé la porte à clef en sortant. Il avait décidément mis tous les moyens en place pour éviter que sa petite protégée ne se mette en danger inutilement !

Déçue de ne pas parvenir à trouver une solution pour s’échapper de façon conventionnelle, Fileya recula de deux pas, ses sourcils froncés de contrariété. Elle n’avait plus le loisir de réfléchir. Le temps lui était compté. La jeune fille pouvait presque voir un compteur stressant au-dessus de sa tête qui lui indiquait la durée restante avant la destruction finale de la Cité des Invoqueurs, si chère à ses yeux.

Aussi vive que l’éclair, comme commandé par l’adrénaline ou un simple réflexe de survie, une idée germa dans l’esprit de Fileya. Elle pouvait toujours tenter d’invoquer son bâton d’Invoqueur ! Certes, elle ne connaissait pas de sort pour déverrouiller les serrures, mais peut-être parviendrait-elle à se sortir de cette prison douillette à l’aide d’une magie de Brasier, en calcinant l’unique sortie de la bâtisse… Avant de lancer un sort de glace pour limiter les dégâts ! Même si cet endroit n’était rien d’autre qu’une illusion, la jeune fille avait le souci du détail, et ne se voyait pas expliquer à River qu’elle avait volontairement mis le feu à la porte d’entrée juste dans l’expectative de lui venir en aide !

Consciente du geste qu’il lui restait à faire, la magicienne leva une paume droit devant elle, ses doigts écartés, prêts à se refermer sur le manche de son arme mystique lorsque celui-ci arriverait. Cependant… Jamais Fileya n’aurait pensé que ce geste lui demanderait un jour autant d’effort ! Alors qu’elle avait appris depuis son plus jeune âge à stocker puis ressortir son bâton d’Invoquation depuis sa Réserve, espace magique présent dans l’âme de tout un chacun, être surnaturel ou non, c’était aujourd’hui comme si elle avait complètement oublié comment faire ! Ou plutôt… C’était comme si son arme n’y était plus.

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