Chapitre 7.2 : Fileya
Paniquée par cette absence, Fileya écarquilla les yeux, tandis qu’elle sentit son cœur s’affoler dans sa cage thoracique. La Déesse était-elle aussi cruelle pour l’avoir ainsi privée de l’utilisation pourtant primordiale de son bâton ?! Comment pouvait-elle espérer sauver tout un peuple sans avoir recours à la Magie, l’une des rares choses que la meilleure amie de Yume pensait maîtriser un minimum ?
Il semblait pourtant à Fileya avoir remarqué une petite lueur, très pâle, dans l’espace dédié à sa Réserve. Fermant les yeux pour plus de concentration, la jeune fille décida de centrer son esprit autour de cette faible lumière. Lentement, avec difficulté néanmoins, presque comme si elle invoquait depuis sa Réserve pour la première fois, la jeune Invoqueur avança en direction de cette lueur. Plus elle s’en approchait, plus elle sentait son halo se faire plus vif, plus intense. Elle débordait d’énergie magique. Cette arme, quelle qu’elle soit, rayonnait comme au premier jour, comme vierge de toute utilisation. Elle n’avait jamais servi jusqu’à présent.
Alors, Fileya se concentra davantage sur cet espoir éblouissant. Une fois que son esprit parvint à se représenter la lumière de façon plus vive, elle arriva à distinguer avec plus de netteté les contours de la nouvelle arme qui avait été placée dans sa Réserve à son insu, sans doute par la Déesse en personne. Et qu’elle ne fut pas son soulagement en découvrant qu’il s’agissait d’un autre bâton d’Invoquation !
Même si celui-ci se trouvait encore dans son esprit, la jeune fille parvint à en saisir visuellement tous les détails, élément essentiel pour pouvoir à faire sortir l’objet de son espace privé. Cette nouvelle arme mystique était moulée dans de l’argent, à l’instar de son propre bâton d’Invoquation. En revanche, celui-ci comportait des reliefs de plantes sur son manche, deux tiges pour plus d’exactitude, qui se rejoignaient à l’extrémité de l’arme pour se terminer en deux radieuses ailes d’ange. Pleinement déployées, celles-ci entouraient, à l’instar d’un cocon protecteur, un précieux cristal aux teintes turquoise qui brillaient avec plus d’éclat qu’un diamant brut. Au centre de la pierre, comme pour toutes ses armes sœurs, tourbillonnait une galaxie blanchâtre, à peine perceptible, qui témoignait de ce que Fileya avait senti de prime abord : ce bâton d’Invoquation n’avait encore jamais été utilisé jusqu’à présent.
Quand elle rouvrit les yeux, Fileya perdit le contact mental avec son nouveau bâton. Mais désormais qu’elle réussissait à se figurer l’arme mystique sous toutes ses coutures, elle n’avait plus besoin de la chercher dans tous les recoins de sa Réserve. Y penser lui suffirait largement. Ou plutôt… C’est ce qu’elle croyait. La jeune fille n’était pas au bout de ses peines. Bien qu’elle parvenait à se représenter mentalement la nouvelle arme mystique dans ses moindres petits détails, celle-ci refusait catégoriquement de se montrer à elle. Passablement irritée face à ce raté, Fileya fronça les sourcils. Elle réitéra l’opération à de nombreuses reprises, mais toutes ses tentatives se soldèrent par de cuisants échecs. À bout d’idée, la jeune fille sentit la fureur monter doucement dans son cœur pour en faire trembler l’entièreté de ses membres de rage.
« Non, raisonna-t-elle en son for intérieur pour apaiser sa colère sourde. Je dois rester positive. Il doit bien y avoir un moyen d’arranger les choses… Si cette arme est là, c’est bien pour une raison. La Déesse l’a placée ici… Mais pourquoi… ? »
Pensive, Fileya plongea son regard vairon unique dans la paume de sa main grande ouverte. Elle la ferma, l’ouvrit.
La ferma.
L’ouvrit.
Rien.
Le bâton d’Invoquation refusait toujours de se montrer à elle.
« Qu’est-ce que je fais de travers ? Réfléchis, Fileya, réfléchis ! »
À court d’idées lumineuses, la jeune Invoqueur ne trouva d’autre solution que de balayer la salle d’un regard circulaire. Y avait-il quelque chose dans cette pièce qu’elle n’avait pas encore remarquée ? Peut-être que l’arme mystique qu’elle avait vue apparaître dans sa Réserve était en réalité celle de River, qu’il avait malencontreusement oubliée en sortant dans la précipitation pour se porter au secours de son collègue coincé dans le Pilier de Roche.
Ses iris se posèrent en premier lieu sur les livres. Inutiles, puisqu’elle n’avait aucun moyen de les lire. Puis, elle passa son regard sur la petite cuisine, sur la casserole qui n’échappait plus aucune volute de fumée, sur les tasses de thé silencieuses, l’une encore tout à fait pleine, avant de se concentrer finalement sur le lit dans lequel elle s’était réveillée. Alors, la réponse lui sauta aux yeux comme le nez en plein milieu d’une figure. Depuis son réveil dans cette pièce épurée, River n’avait eu de cesse de la considérer comme une jeune fille originaire d’ailleurs, d’un autre Monde. Une jeune demoiselle inexpérimentée, qui ne savait rien de la Magie et des Hybrides. Et si le problème à son incapacité venait de là ? Parce que son rôle était de jouer les petites filles candides, alors son bâton, qui lui avait paru vierge de toute utilisation, n’avait effectivement jamais servi, et dormait en réalité, depuis sa naissance, dans le creux de son cœur.
Le seul moyen de faire venir l’arme mystique à elle était de se remémorer de la façon dont un Invoqueur se liait avec son bâton pour le faire jaillir au-dehors de sa réserve pour la première fois. Fileya devait maintenant faire remonter à sa mémoire tous les souvenirs d’autrefois — ses propres souvenirs — au moment d’invoquer son bâton personnel. Toutes les sensations, toutes les émotions.
Fileya ferma doucement les yeux, à l’instar de si elle avait eu envie d’entrer en état de méditation. Un moment de calme, un moment de remembrance et de psychanalyse privilégié, intime. Un court instant pour elle, et elle seule, sans pensées parasites comme elle n’en avait plus eu depuis ce qui lui semblait être une éternité.
Alors, Fileya commença à ressentir quelque chose. Une sensation de chaleur au creux de son estomac, qui monta rapidement au niveau de son cœur et qui fit rosir ses joues et dessiner un sourire satisfait aux lèvres. Bientôt, cette chaleur donna la pulsation nécessaire à son organe vital pour battre plus fort. Toujours plus vite. De l’allégresse. De la puissance. De la fierté.
Comme guidée par son instinct, à l’instar d’un marionnettiste qui jouait avec les fils de sa destinée, Fileya sentit son bras droit se lever lentement. Puis, une fois que sa main se trouva parfaitement droite devant elle, ses doigts s’écartèrent. Tout à coup, dans un flash lumineux qui aurait pu éclairer la nuit comme en plein jour, quelque chose de long et fin se matérialisa.
Fileya, un sourire satisfait aux lèvres, agrippait désormais dans sa main le manche d’argent aux ailes d’ange qui était resté coincé dans sa Réserve. La jeune fille rouvrit les yeux, et empoigna son nouveau bâton d’Invoquation à deux mains. Les lianes en reliefs étaient encore plus douces au toucher que ce qu’elle avait pu en penser au premier regard, et le cristal entouré d’ailes brillait d’un éclat si puissant que Fileya put sentir son sang magique bouillonner de plaisir dans ses veines. Elle ignorait à qui appartenait en réalité cette arme, mais quelque chose était certains la concernant : son propriétaire devait être quelqu’un d’incroyablement redoutable, sans doute le plus grand Invoqueur que le Monde n’ait jamais porté.
Son bâton désormais entre les mains, Fileya serait enfin capable de se servir de la Magie. Elle s’approcha de la porte dans le but de mettre à exécution son plan de fortune, mais se stoppa net quand elle entendit la serrure émettre plusieurs petits « clic », comme si quelqu’un venait d’y insérer une clef. Bien qu’elle doutât qu’il s’agît en réalité de River, Fileya opta tout de même pour une position de défensive. Peut-être le vieil homme avait-il confié les clefs à quelqu’un d’autre, une personne qu’il jugeait digne de confiance, mais qui n’en possédait pourtant pas le mérite ? Ou bien, peut-être était-il arrivé malheur à l’Ancien, et quelqu’un l’aurait alors détroussé ? Toutes les suspicions étaient permises, dans des temps de crises comme celui qu’elle vivait aujourd’hui.
Fileya, déglutissant avec difficulté, resserra sa prise sur son arme mystique, prête à dégainer le premier sort qui lui viendrait en tête si la personne derrière le seuil était douée de mauvaises intentions. Cependant, son esprit défensif se calma lorsqu’elle reconnut le crâne chauve et tacheté de River se dessiner dans la porte désormais complètement ouverte. Mais son répit ne fut que de courte durée, car si River avait paru paniqué quand il avait quitté l’habitation quelques minutes plus tôt, son visage était tiré en un masque de frayeur d’autant plus déroutant. Jamais la jeune fille n’avait vu pareille expression horrifiée sur son faciès. Quelque chose de terrible avait dû se produire au Pilier de Roche, et sa respiration haletante ainsi que la sueur perlant sur son front témoignaient de la course particulièrement rapide et éreintante qu’avait dû effectuer son vieil ami pour afin de rejoindre sa petite protégée le plus promptement possible.
― Fileya… débuta ce dernier, pantelant, tandis qu’il se servait de son bâton d’Invoquation comme d’une canne pour rester campé sur ses deux pieds. Il faut… Partir… ! Vite… !
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