Chapitre 8.1 : Fileya

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Malgré la haine qui alourdissait chacun de ses pas, Fileya prit tout de même un certain moment pour admirer, les larmes débordant de ses yeux divins, l’état déplorable de la ville qu’elle avait toujours rêvé de connaître. Il n’avait fallu qu’un temps relativement misérable pour que la grandiose Cité des Invoqueurs se transformât en un véritable brasier infernal qui n’épargnait rien ni personne. Les flammes s’étiraient si haut vers les cieux qu’elles auraient très bientôt fait de percer la couche d’atmosphère pour dépasser la surface terrestre respirable. Fileya avait par ailleurs ramené un bras sur sa bouche, pour empêcher le gaz rejeté par les brasiers d’infecter ses poumons. La jeune fille avait beau se répéter que tout ceci n’était pas réel, la douleur qu’elle ressentait dans sa poitrine lui semblait pourtant bien vivace. Ses yeux la piquaient, la démangeaient avec férocité, et les larmes de colère mélangées aux fumées des incendies n’arrangeaient en rien sa cécité.

Fileya revint à la raison quand elle esquiva in extremis un bloc de pierre, sans doute les restes d’un malheureux bâtiment qui avait succombé aux assauts du feu. La jeune fille avait très clairement entendu un éclat inquiétant au-dessus de sa tête. À peine avait-elle eu le temps de lever ses yeux larmoyants vers les hauteurs qu’elle vit un objet tout d’abord non identifié fondre sur elle. Ses instincts de survie refirent immédiatement surface, et la jeune Invoqueur bondit en arrière pour s’éloigner du point d’impact, qui se trouvait être — comme de par pur hasard — son emplacement initial. En s’écrasant au sol dans un fracas assourdissant, le bloc de pierre dégagea un nuage de poussière aveuglant qui eut tôt fait d’achever la vue de la magicienne, qui s’accroupit au plus près de la terre pour reprendre son souffle.

Après une quinte de toux salvatrice, la meilleure amie de Yume leva les yeux vers l’endroit d’où était tombé le bâtiment. Elle avait espéré y trouver quelqu’un, peut-être le fameux adversaire mentionné par la Mage qui avait assassiné River. Mais il n’y avait personne. Et puis, toute cette fumée lui obstruait la vue. Il lui fallait dénicher un site plus dégagé. La ville devait être immense, sans doute n’avait-elle pas encore eu le temps de s’effondrer en entier, n’est-ce pas ?

De nouveau un bras sur les lèvres et un autre dressé au-dessus de sa tête pour se protéger de la chaleur cuisante, Fileya poursuivit son bonhomme de chemin, incertaine de la voie à emprunter pour trouver son adversaire. Pendant son ascension, la jeune fille se fit une remarque fort désagréable. Combien étaient-ils, exactement, responsables de la chute de la Cité des Invoqueurs ? Il y avait cette Mage et son complice, celui qui la cherchait, semblait-il. Certes. Mais était-ce réellement ces deux seuls personnages qui étaient coupables de la catastrophe qui s’était abattue sur la ville natale de son peuple ? Ainsi, la magicienne et son partisan étaient-ils les seuls à semer la discorde dans la Cité des Invoqueurs, ou bien avaient-ils d’autres subordonnés, d’autres alliés, tapis dans l’ombre pour alimenter la commune en flammes ardentes ?

Inquiète, et cette pensée radicalement ancrée dans son esprit, Fileya se mit à analyser plus en profondeur le terrain accidenté qui aurait dû être sa ville natale. La jeune fille avait conscience que le danger rôdait partout tout autour d’elle, occulté dans les Ténèbres, à l’abri du brasier, et qu’il pouvait lui sauter dessus à n’importe quel moment, tels les loups patientant pendant l’endormissement des craintes de leurs proies. Mais la jeune Invoqueur se tenait prête. Maintenant qu’elle savait où il était caché, elle n’aurait plus aucun mal à faire apparaître son bâton d’Invoquation depuis sa Réserve pour s’en servir pour se défendre face à toute menace, quelle qu’elle soit.

L’esprit attentif au moindre bruit, sursautant au moindre fracas l’environnant, Fileya entendit des éclats de voix de façon plus prononcés.

Des cris.

Son sang se glaça dans ses veines, tandis qu’elle se stoppa, inerte. La peur commença à jouer avec ses entrailles alors que son cœur s’accéléra et que sa tête blêmit.

Ces cris, ces hurlements… Elle les avait déjà entendus. Ils étaient identiques à ceux qu’Astrid et elle avaient perçus en ouvrant les portes de la Flèche de Cristal. Une boule de colère se forma finalement dans la gorge de la jeune fille, qui déglutit avec difficulté dans l’espoir de s’en dégager. Ces cris de terreur étaient ceux de son peuple.

Les dents serrées et les membres tremblants, Fileya laissa une larme couler le long de sa joue. Elle avait l’impression de vivre un véritable cauchemar, de ceux qu’il suffisait de s’en rendre compte pour rapidement s’éveiller, avant que le pire n’arrivât. Mais que quoi qu’elle tentât de faire, même si elle en avait conscience, ses yeux refusaient de s’ouvrir sur la réalité, car une partie d’elle, plus malsaine, voulait connaître la suite et fin du songe démoniaque.

Le cœur lourd, Fileya puisa dans son âme le courage de poursuivre son avancée. Elle se répétait inlassablement pour se donner la force nécessaire à sa progression qu’elle allait trouver le complice de la Mage, et lui faire payer pour tous les cris qu’il avait fait pousser aux siens.

Guidée par ces effusions de terreur et de souffrance, la jeune Invoqueur accéléra le pas autant que ses pieds et ses poumons en feu le lui permirent. Plus elle avançait, plus elle sentait son souffle se raréfier, alors que chaque bouffée lui donnait la sensation qu’il s’agissait de la dernière qu’elle prendrait de sa vie. Fileya avait l’affreuse impression que son épreuve pouvait prendre fin à tout moment, s’achevant par manque d’air. Elle se doutait, quelque part, que là n’étaient pas les plans véritables de la Déesse, et que si elle voulait réellement lui faire comprendre quelque chose avec cette illusion, la Déité ferait tout pour qu’elle puisse surmonter des petits problèmes de ce genre.

Tout à coup, les quelques fragments de rues qui ne ressemblaient plus qu’à un champ de ruines laissèrent peu à peu place à un espace plus grand, comme deux bras d’une rivière menant à l’entrée d’un lac. L’air se fit modérément plus respirable, tandis que la fumée, quoique toujours bien présente, se dissipait elle aussi petit à petit. Fileya, guidée par les cris de ses semblables, avait atteint une zone légèrement plus sécurisée, de par son étendue. Les yeux écarquillés d’effroi, la jeune fille analysa rapidement ce qui avait dû être autrefois un très joli square.

La rue qu’elle avait empruntée avait débouché en face d’un énorme édifice qu’elle ne saurait qualifier. Son architecture détonnait par rapport au reste des bâtiments qu’elle avait connus jusqu’à présent, qu’il s’agisse de ceux de la Cité des Invoqueurs qu’elle avait vaguement aperçus, ou encore ceux — ressemblant de façon troublante — de Fikternand. La construction, toujours parfaitement droite, n’était pas très haute. Son toit en triangle était couvert de tuiles rouges, comme de celles utilisées pour les habitations de type méditerranéennes, pour protéger des rayons écrasants du soleil. Le monument en demeurait pourtant encore très imposant, par son volume notamment. En réalité, il rappelait à Fileya ces petits édifices qu’elle avait pu voir seulement en peinture dans les grimoires qu’elle avait feuilletés étant jeune, quand elle avait effectué quelques recherches sur les Dieux des Royaumes voisins. Les deux immenses portes du bâtiment étaient ouvertes en grand, sans doute par les Invoqueurs qui avaient dû évacuer les lieux en toute hâte. Avaient-ils bien fait de prendre une telle décision ? Peut-être que les habitants auraient été plus en sûreté dans un édifice comme celui-ci, plutôt que de parcourir les rues à tout hasard, au petit bonheur la chance, au risque de croiser l’un des malfrats qui avait mis leur Capitale à feu et à sang.

Ce ne fut qu’après son étonnement de trouver un bâtiment aussi atypique dans un tel endroit que Fileya remarqua enfin le spectacle d’horreur qui se déroulait sous ses yeux épuisés. Les habitants, sans doute tous des Invoqueurs, prenaient la fuite en hurlant. La plupart couraient sans savoir où ils pouvaient réellement se réfugier. De loin, la jeune fille avait l’impression que quelqu’un avait simplement mis un coup de pied dans une fourmilière. Mais n’était-ce pas ce qui était justement en train de se produire ? La Mage et son complice avaient secoué la ville par des incendies et la destruction des Piliers de Roche qui maintenaient la barrière protectrice au-dessus de la tête des Invoqueurs. Désormais, complètement perdus, déboussolés, inquiets, inconscients, les habitants cherchaient à fuir, à se mettre en sûreté par tous les moyens. Certains, plus courageux, essayaient tant bien que mal de retenir les flammes qui prenaient de plus en plus de terrain sur la mythique Cité, mais même leur Magie d’Invoquation ne pouvait empêcher le brasier de la Mage de reculer.

Fileya ravala sa salive avec difficulté. La magie des Mages était, tout comme le racontaient les livres, véritablement au-dessus de celle des Invoqueurs. Il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’Elfes et Invoqueurs aient décidé d’éradiquer ce peuple, pendant la Grande Guerre, il y a de cela plusieurs siècles en arrière, car ils les jugeaient trop dangereux pour le Monde. Pas simplement à cause de leur magie à la puissance hors du commun, mais également à cause de leur capacité à prendre des vies pour se les approprier et ainsi allonger la leur.

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