Chapitre 8.4 : Fileya

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Un premier timide éclair fendit les cieux pour venir se ficher dans l’ancien sol pavé qui n’était plus qu’un amas de ruines et de cendres. Mais, promptement, cette première flèche de lumière fut suivie par tant d’autres, tellement nombreuses et rapides, qu’elles semblaient balayer le terrain d’un même rythme, telles de véritables lances de lumière lancées par un quelconque dieu céleste. Les éclairs tombaient désormais sur la Cité des Invoqueurs comme s’il s’agissait d’un rideau de pluie meurtrier. Impossible pour le Chevalier d’Argent de parvenir à les esquiver, à moins d’avoir fui le champ de bataille. Mais Fileya sentait encore son aura magique. Il était encore là.

Par miracle, l’une des flèches de foudre fondit sur son adversaire. Fileya le comprit quand elle entendit tout d’abord un puissant râle de douleur, puis lorsqu’elle vit, une fois tous les éclairs dissipés, que le corps de son ennemi était de nouveau visible. Un genou à terre, le Chevalier d’Argent se tenait le crâne à deux mains, alors enfermé dans son affreux masque de fer. Celui-ci, par ailleurs, avait perdu sa brillance argentine, et tout le haut de son heaume fumait rageusement, son sommet complètement noirci par l’impact de l’éclair. Son casque avait au moins eu le mérite de sauver la vie de son propriétaire, mais la Foudre magique avait annulé, par enchantement, son sort de dissimulation.

Complètement sonné par cet éclair qui avait bien failli lui ôter la vie, le Chevalier d’Argent décida de retirer ce casque qui ne lui servait plus à rien, si ce n’était de lui infliger que de souffrances supplémentaires. Fileya nota, lorsqu’il souleva celui-ci, que des petits serpents électriques couraient de part et d’autre à l’intérieur du crâne de fer, résidus de son sort de Foudre. Mais la jeune fille n’eut pas le temps de s’en impressionner. Le cœur battant follement dans sa poitrine à lui en faire mal aux côtes, elle espérait, impatiente, d’enfin pouvoir dévisager l’Invoqueur qui lui avait soustrait sa patrie, sa maison, sa famille. Quand son faciès se dévoila finalement à la meilleure amie de Yume, seule la confusion passa dans son regard rubis.

Cet homme, un genou à terre, possédait de longs cheveux argentés et brillants, tombant telle une cascade dans son dos et ses épaules. Bien qu’il avait l’un de ses yeux clos, son autre iris, d’ambre, frissonnait de souffrance. Cependant, ce ne fut pas ces caractéristiques typiques des Invoqueurs qui laissèrent Fileya pantoise, mais plutôt les traits anguleux, fins et charmants de son visage. Malgré le masque de douleur qui étirait son faciès, la jeune fille le reconnut, et son corps entier trembla d’un mélange d’incompréhension et de haine. Mais elle saisissait, maintenant, pourquoi la voix de cet homme ne lui était pas inconnue.

Devant ses yeux rouges estomaqués, était accroupi Seven, grand dirigeant de l’Élite et Souverain d’Onyrik.

― Mais… Je ne comprends pas… C’est… C’est impossible… Pourquoi… balbutia Fileya, la confusion l’empêchant de s’exprimer convenablement. Vous ne pouvez pas être vivant à cette époque…

Fileya fronça les sourcils de concentration, tandis qu’elle perçut, au loin dans sa mémoire, une voix grave et caverneuse, ni trop vieille ni trop jeune, s’adresser à elle. Comme si un souvenir s’était tout à coup réveillé dans ses pensées, la jeune Invoqueur se remémora l’étrange discussion avec le Roi du Village de Cristal, et de sa façon dont il avait réagi quand on lui avait fait la mention de sa fille.

― Mais oui… raisonna-t-elle à voix haute, ignorant le fait qu’elle se trouvait en plein combat contre Seven. Le Roi de Cristal… Il ne semblait pas au courant de la chute de la Cité des Invoqueurs, et pourtant, il connaissait Seven, Iakyndy, et Shamyso, à n’en pas douter…

Doucement, alors que les pièces du puzzle le plus complexe auquel elle avait été confrontée se mettaient en place dans son esprit, Fileya dressa ses yeux couleur du sang en direction de Seven, dont un sourire sarcastique étirait les lèvres. Un éclat de défi brillant dans ses iris d’ambre.

― Alors, c’est vous… continua-t-elle d’une voix blanche. Le complice de Shamyso, mais aussi…

Cette fois-ci, ses sourcils se froncèrent de colère, tandis que ses doigts se refermèrent vivement sur son bâton d’argent. Au même instant, sa Barrière magique décida qu’il était temps pour elle de voler en éclat, comme ne supportant plus la vague de haine et de Ténèbres en provenance de la jeune fille.

― Vous êtes l’un de ceux qui ont provoqué la chute de la Cité des Invoqueurs ! L’Invoqueur devenu fou, qui a tué toute sa famille, c’était donc vous ! Depuis le début ! Et vous continuez à regarder les vôtres en face, aujourd’hui, après toutes les horreurs que vous avez commises autour de vous ?!

Fileya sentit pour la première fois le goût du dégoût dans sa bouche. C’était une sensation âcre, dont il était impossible de se débarrasser, malgré de nombreuses régurgitations. Elle réalisa aussitôt, horrifiée, qu’elle avait servi pour le compte d’un assassin depuis qu’elle était en âge d’intégrer l’Élite, à savoir ses huit ans. Elle avait travaillé pour ce monstre, ce dégénéré, qui avait en réalité organisé, à l’aide d’une Mage sans cœur et sans âme, le génocide de son propre peuple. Pire encore, se dire qu’ils avaient tous deux du sang en commun la répugnait. Ce sentiment nouveau ne cessa d’alimenter toujours plus la flamme de Ténèbres qui dévorait déjà son cœur, comme si on l’avait agrémentée d’huile.

― Je ne peux décemment pas vous laisser vous en tirer à si bon compte, décida Fileya, plus sérieuse et déterminée que jamais, alors qu’elle pointa l’embout cristallisé de son arme en direction de Seven.

Ce dernier, appréciant sans doute la tournure que prenaient les événements, se redressa aussitôt sur ses deux jambes, une grimace étirant ses lèvres, cependant. Son corps tremblait encore de l’électricité magique qu’il s’était reçue sur la tête.

― Je sais que tout ceci n’est qu’une illusion, poursuivit la jeune Invoqueur, la tête légèrement penchée, mais je peux changer les choses. J’ai compris. C’est une expérience. La Déesse me teste pour savoir si je serais capable de vous résister, le jour du grand affrontement ! Et bien soit ! Je vous affronterai, et je vous vaincrai ! Je ne vous laisserai pas emporter ma belle Cité une fois de plus, tout comme je ne vous laisserai plus vous servir des terres d’Onyrik comme de votre terrain de jeu morbide ! Vous allez payer ! Pour la torture, pour Yume, pour River… Et pour tous les pauvres innocents dans vos cachots !

Face à Fileya, le Chevalier d’Argent réagit d’une façon dont la jeune fille n’en fut surprise qu’à moitié. Bien qu’elle s’attendait à voir son visage se décomposer d’incompréhension car ce Seven-ci du passé n’avait aucunement conscience des actes futurs qu’il allait commettre, il sourit tout de même machiavéliquement, nullement impressionné par le discours héroïque de la jeune Invoqueur.

― Voilà enfin des paroles dignes d’une grande héroïne, complimenta le grand homme, les bras écartés de part et d’autre de son corps, comme pour démontrer une vérité pourtant évidente. Malheureusement pour toi, et même si je ne comprends pas un traître mot de tout ce que tu racontes, tu vas périr ce soir de ma main avant que tes idées trop pures ne puissent voir le jour !

Fileya comprit qu’elle devait agir la première quand elle vit Seven avancer dangereusement sa paume vers le sol dans le but de quérir son épée, qu’il avait fait tomber lorsqu’il s’était reçu un éclair sur la tête. Sachant pertinemment qu’un Invoqueur, malgré ses grandes compétences magiques, était presque incapable de se débrouiller seul, la jeune fille approcha vivement sa main du cristal turquoise qui ornait son bâton d’Invoquation. Elle avait senti, quand elle l’avait déniché dans le fin fond de sa Réserve, qu’un Hybride habitait le Monde de Kristal de l’Invoqueur à qui avait très certainement appartenu cette arme par le passé. La meilleure amie de Yume devait maintenant trouver un moyen de se lier avec cette créature mystique, dans l’espoir de quérir son aide pour la suite du combat. Et cela, le plus promptement possible.

Fileya laissa sa main suspendue au-dessus du cristal, tandis qu’elle ferma doucement les paupières pour plus de concentration. Alors, un vent magique commença à léviter autour de la jeune fille, faisant voler en tous sens ses longues manches blanches et roses ainsi que sa robe. Le ruban dans ses cheveux fut également secoué par ce vent magique sorti de nulle part. Enfin, la silhouette tout entière de la Fileya se recouvrit d’un voile orangé, semblable à la couleur des flammes.

Quelques secondes plus tard, alors que l’esprit de la jeune Invoqueur était parvenu à toucher une conscience étrangère, le temps sembla comme figé, comme pour laisser aux deux êtres magiques la possibilité de discuter librement entre eux aussi longtemps que nécessaire.

« Qui es-tu ? » questionna Fileya dans son for intérieur, interrogeant l’Hybride avec lequel elle avait réussi à obtenir une connexion.

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