Chapitre 10.1 : Fileya

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Fileya comprit d’instinct que Brazéra était parvenu à esquiver l’impact avec le bâtiment constitué de roche de justesse quand elle sentit son cœur rester sur place, alors que son corps, lui, avait fait un saut prodigieux en direction des cieux.

Quand elle eut retrouvé ses esprits, Fileya se risqua un regard en contrebas, dans le but d’observer son adversaire. La jeune fille eut tout juste le temps de le voir s’infiltrer dans la structure que son Hybride et elle avaient bien failli détruire. Surprise par cette initiative de la part de Seven, la meilleure amie de Yume dressa ses yeux vers les hauteurs de l’édifice. Elle comprit immédiatement qu’il devait s’agir de l’une des Tours de Roche qui maintenaient la Barrière de la Cité des Invoqueurs intacte lorsqu’elle vit partir, depuis le sommet, un faible flux d’énergie.

Inquiète à l’idée des idées noires qui devaient alimenter la tête du futur dirigeant d’Onyrik, Fileya leva les yeux en direction de Brazéra. Depuis qu’ils avaient atteint le bâtiment constitué de roche, le dragon avait stoppé son avancée dans les cieux. Il ne battait plus que des ailes à un rythme lent, dans le but de garder leur position dans les airs. Sans doute attendait-il les nouveaux ordres de sa Maîtresse, maintenant que Seven n’était plus à la portée de ses flammes. Peut-être n’osait-il pas non plus s’attaquer directement à la Tour de Roche, car la Cité des Invoqueurs avait déjà suffisamment souffert sous les assauts magiques de Shamyso et Seven.

Brazéra… débuta la jeune fille dont une boule de panique commença à naître dans le creux de sa gorge. Cette Tour… Comment est-elle alimentée ?

Malheureusement, River était mort de la main de cette affreuse Mage avant qu’il ne puisse lui en apprendre davantage sur le fonctionnement de la Cité des Invoqueurs. Mais Fileya se fit un devoir, une fois de retour dans sa réalité et que les choses seront revenues au calme, de rétablir l’Histoire de sa Cité et de son peuple, pour que tous sachent les vérités qui leur ont été si injustement voilées depuis des années, des siècles même. Le souvenir du pauvre River, l’Énergie Vitale arrachée par Shamyso, remonta dans l’esprit de la jeune fille aussi rapidement qu’un torrent de lave sortant du foyer d’un volcan. Cette remembrance lui était si insupportable qu’elle se sentit défaillir. Si Brazéra ne l’avait pas soutenue, sans doute se serait-elle laissée effondrée au sol.

Il existe autant de Tours que d’Anciens dans la Cité des Invoqueurs, informa le Dragon après un énième battement d’ailes. Qu’est-ce que tu en conclus ?

Qu’il reste encore des Anciens en vie, et que Seven cherche à les anéantir… comprit aussitôt la magicienne, les yeux écarquillés d’effarement.

Fileya ne sembla réaliser qu’au moment où les mots étaient sortis de sa bouche de l’impact qu’ils avaient réellement. La Cité des Invoqueurs tombera si tous les doyens succombaient de la main de Seven, ou bien de Shamyso. Et si une Tour représente un vieil Invoqueur, et si chaque flux qui partait de ces mêmes Tours métaphorisait la vie d’un Ancien, alors… Tous n’étaient pas encore morts ! La jeune fille devait trouver un moyen d’entrer elle aussi dans cette structure de roche, et tenter de freiner Seven dans ses plans, avant qu’il ne soit trop tard !

Sais-tu où se trouve cet Ancien qui alimente la Tour ? questionna Fileya, de peur de manquer de temps.

Elle ignorait combien d’Ancien il restait toujours en vie. Mais si elle parvenait à en secourir ne serait-ce qu’un seul, alors elle avait encore des chances de sauver la ville de la destruction !

Les craintes de Fileya revinrent malheureusement à la charge quand elle vit le large cou de Brazéra se baisser doucement, sans doute dans une position de désespoir, tandis que ses paupières se fermèrent en même temps que sa tête dodelinait de droite à gauche, à la négative. Inquiète, la jeune fille dressa le regard en direction du flux d’énergie améthyste qui se battait tant bien que mal pour maintenir alimentée ― peut-être même à lui seul ― la barrière protectrice de la Cité des Invoqueurs. La magicienne espéra qu’il ne s’agissait que d’une impression, mais le trait parfaitement droit qui se dégageait du haut de la Tour semblait encore avoir drastiquement faibli.

Seven ne s’est sans doute pas réfugié dans cette Tour par hasard, dit-elle, les sourcils froncés de concentration, puis, elle reprit, les yeux levés en direction de son Hybride : Brazéra, tu crois que tu pourrais me déposer au sommet de la Tour ? J’aimerais essayer quelque chose.

Fileya n’avait pas le loisir de faire part de son plan à Brazéra, car le temps jouait probablement contre eux. Elle avait pour idée de surprendre Seven par les hauteurs. Après tout, peut-être que l’Invoqueur Renégat pensait que sa semblable s’était lancée à sa poursuite sans réfléchir, empruntant la même entrée terrestre que lui. La jeune fille le savait : seule la surprise serait à même de venir à bout du Chevalier d’Argent, qui avait une large longueur d’avance sur elle à cause des nouveaux pouvoirs qu’il avait absorbés de ses victimes. La meilleure amie de Yume déglutit de travers. Le Seven de son époque possédait-il des privilèges identiques ? Si tel était le cas, la Déesse avait donc bien fait de leur confier ces épreuves. Ses compagnons et elles seraient ainsi bien mieux préparer à l’ultime affrontement contre le dirigeant d’Onyrik et son armée démentielle !

Sans questionner davantage sa Maîtresse sur ses intentions, Brazéra brassa puissamment les airs de quelques coups d’aile. En moins d’une minute, Invoqueur et Hybride se trouvèrent tout en haut de la Tour de Roche. Fileya profita d’être toujours maintenue à plusieurs centimètres du sol pour sonder le nouvel espace d’un regard analytique. Il n’y avait pour l’instant aucune trace de Seven, ce qui était une très bonne nouvelle. Mais il n’y avait pas non plus la moindre présence d’un Ancien. Se pouvait-il que le vieux personnage ne se trouvât pas dans sa Tour ? Ou, pire scénario envisageable : demeurait-il encore à l’intérieur ? Se pouvait-il même que Seven lui ait déjà mis la main dessus ? Le faible flux d’énergie magique lui prouvait pour le moment le contraire. La jeune fille priait intérieurement pour que sa première hypothèse fût la bonne.

Quand ils se trouvèrent enfin près du sol, le dragon ouvrit le poing pour laisser sa Maîtresse descendre. Cette dernière ne perdit pas un seul instant. À peine les griffes furent-elles suffisamment desserrées qu’elle bondit sur la surface métallique. Fileya vacilla un petit moment. Le contact avec la terre ferme lui parut bien étrange, puisque ses pieds balançaient dans le vide depuis un certain temps déjà. Mais la jeune fille parvint rapidement à reprendre contenance. Une fois qu’elle dénicha un bon équilibre, la magicienne tendit vivement un bras sur le côté et, dans une gerbe d’étincelles turquoise, son nouveau bâton d’Invoquation trouva sa place dans son poing. Maintenant qu’elle était habituée à sa présence, l’appeler depuis sa Réserve ne lui causait plus aucun souci. Le contact avec l’arme magique lui parut presque aussi familier que son propre bâton d’Invoquation, dans sa réalité.

Instinctivement, le regard de Fileya vint s’accrocher au flux d’énergie, comme on contemplerait une horloge pour s’assurer que notre temps n’était pas encore tout à fait écoulé. La source magique continuait à briller, mais plus les secondes passaient, plus l’énergie devenait faible. De temps en temps, de petits crépitements faisaient éclater des gerbes d’électricité psychique. La jeune fille savait tragiquement ce que ce phénomène représentait.

Le flux était en train de mourir.

Le cœur battant la chamade dans sa poitrine à l’idée qu’il soit déjà trop tard pour sauver l’Ancien et ainsi échouer dans la précieuse mission confiée par la Déesse en personne, Fileya coupa net tout contact avec l’afflux magique, qui ne faisait que grandir son angoisse. Ses yeux vairons uniques au monde parcoururent plus en détail l’étrange structure sur laquelle son Hybride et elle reposaient. Jamais elle n’avait vu quelque chose de semblable. Malgré la matière rugueuse de la Tour de Roche, tout son toit était en réalité constitué de métal. Les pas de la jeune Invoqueur sonnaient creux sur le sol d’acier froid. Il lui semblait aussi que ce dernier vrombissait drôlement, comme si quelque chose bourdonnait à l’intérieur même de la Tour, comme une sorte de ruche en action. Fileya en vint à se demander si cette curieuse activité n’était pas due au flux magique qui maintenait difficilement la Barrière Protectrice de la Cité des Invoqueurs en place. Par ailleurs, l’afflux d’énergie reposait également sur un piédestal de fer, dont un large pas aurait été suffisant pour l’atteindre. Mais la meilleure amie de Yume se promit de ne pas risquer de s’en approcher pour y toucher, au risque de laisser plus qu’un doigt !

Ne pouvant plus demeurer en place, Fileya décida de faire le tour du toit. Elle comprit qu’elle avait réussi à trouver l’entrée extérieure de la Tour de Roche lorsque son pied se posa sur une surface qui sonnait moins creux que le reste du sol. La jeune fille baissa les yeux, et ceux-ci lui renvoyèrent alors l’image d’une trappe marronée, légèrement rongée par la rouille sur les côtés et la poignée. Fileya n’attendit même pas l’approbation de Brazéra pour s’emparer à pleine main de l’ouverture et de soulever le couvercle d’un geste précipité. Ce mouvement lui avait pourtant demandé un petit effort, la plaque métallique étant plus lourde que ce qu’elle avait envisagé à l’œil nu.

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