Chapitre 11.1 : Astrid

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Le cri déchirant poussé par Yume avait suffi pour que le cœur d’Astrid bondisse avec plus de véhémence dans sa poitrine. La vue de Fileya gisant dans les bras de son meilleur ami, les yeux fermement clos et le visage marqué par le chagrin et la souffrance, lui fit comme l’effet d’une bombe atomique en plein dans le poitrail. La jeune fille devint alors pâle, tandis que l’entier de son corps se mit à trembler. La jeune Invoqueur n’était pas… morte, tout de même ?

Léterno, qui était resté bien calme jusqu’à présent, s’accroupit au côté des deux meilleurs amis. Il apposa deux doigts au niveau de la gorge de Fileya pour palper son pouls. Astrid sentit nettement le sien s’accélérer. Puisque le grand homme ne laissait transparaître aucune émotion, il était difficile de déterminer la conclusion à laquelle il en était arrivé. L’Enfant aux Yeux Rouges pria de toute son âme pour que le diagnostic de Léterno ne révélât rien de grave…

Elle s’est simplement évanouie, informa-t-il, d’un ton platonique qui le caractérisait si bien.

Déjà à genoux, le samouraï errant ne demanda aucunement l’autorisation à Yume pour passer ses deux bras sous les genoux et le dos de Fileya, avant de la transporter dans les airs. Ainsi calée contre son torse, la jeune fille, avec un bras pendant dans le vide et l’autre reposé sur son abdomen qui se soulevait ― fort heureusement ! ― au rythme de sa respiration devenue plus calme, avait l’allure d’une véritable princesse de conte de fées. Il fallait dire qu’elle en avait déjà la sublime beauté. Cette marque d’attention envers la magicienne n’échappa pas non plus aux deux autres jeunes hommes, qui fixaient Léterno avec des yeux ahuris. Thandon abandonna bien rapidement son air surpris pour renvoyer un regard de glace au grand homme, qui ne broncha même pas, même quand leurs iris se croisèrent. Ce fut par ailleurs le jeune Buxihen qui détourna les pupilles le premier, sans doute trop gêné d’être ainsi dévisagé par ce grand et fier guerrier, qui ne laissait absolument personne de marbre.

Les émotions l’ont emporté sur son esprit, poursuivit Léterno, tout autant pragmatique, mais n’ayez crainte, elle se réveillera.

Astrid, inquiète pour son amie, s’approcha du grand homme, malgré le malaise qu’il provoquait en elle. Elle posa doucement son regard sur la silhouette inconsciente de Fileya. Sa bouche se tordit bien contre elle en une grimace de douleur. Son teint, déjà fortement blafard, ne fit que se renforcer davantage. De multiples pensées commencèrent à s’embrouiller dans son esprit et, avant même qu’elle ne puisse parvenir à faire de l’ordre dans sa tête, la brune dit, à voix haute :

Dites… Est-ce que vous souhaitez vraiment continuer… ?

Après cette question, Astrid dressa son regard rouge rubis en direction des escaliers de cristal qui brillaient d’une lueur froide. Les marches montaient toujours plus haut vers les cieux, tellement loin au-dessus de leur tête qu’il était impossible d’en déterminer la fin, enfoncée quelque part dans la pénombre. La jeune archère savait également que si elle regardait vers le bas, un phénomène semblable l’attendait. Mais son vertige lui recommanda de ne même pas penser à contempler les profondeurs ne serait-ce que le temps d’un battement de cils, au risque de s’effondrer à son tour, inconsciente. Elle tremblait déjà assez de peur pour s’en ajouter une supplémentaire.

Non, parce que… poursuivit-elle, hésitante, constatant que personne ne souhaitait prendre la suite de la conversation. J’ai jamais eu autant la trouille de toute ma vie.

L’idée m’enchante pas non plus, déclara Thandon, les poings serrés le long de son corps, ce qui n’empêcha pas ses membres de trembler, à lui aussi. Je serai d’accord pour qu’on s’en aille d’ici au plus vite. Déesse ou pas, ces épreuves nous rendent complètement fous.

Justement. C’est le but, argumenta à son tour Yume, d’une voix si grave qui fit se rendre compte de la situation sérieuse dans laquelle ils se trouvaient tous imbriqués. J’ai pas souffert autant pour que dalle. Et Fileya non plus. Vous dites simplement ça parce que vous avez peur.

Astrid déglutit avec difficulté. Certes, elle ne connaissait pas le jeune homme depuis longtemps, mais elle ne se souvenait pas de l’avoir vu autant en colère que maintenant. Tout du moins, pas envers ses amis. Le regard froid qu’il leur lançait, en particulier à Thandon, lui donnait envie de se jeter à ses pieds pour s’excuser. Ah… Qu’est-ce qu’elle ne donnerait pas pour retrouver leurs chamailles d’antan ?

Et toi, poursuivit-il en se tournant cette fois-ci vers Astrid, qui lâcha un hoquet de surprise devant ce regard si dur à son égard, me dis pas que t’as pas envie de savoir qui tu es vraiment.

Si… bien sûr que si… approuva la jeune fille, la tête basse de honte, tandis que ses doigts vinrent s’emmêler, stressée. Mais… n’y aurait-il pas un autre moyen… ? À Fikternand, River a dit que les Elfes pourraient m’aider à y voir plus clair. Peut-être qu’on pourrait simplement…

N’y compte pas, intervint subitement Léterno, d’une voix tranchante. Les Elfes détiennent certes la sagesse, mais ils ne sont pas aussi érudits qu’une Déesse. Croyez-moi.

Blessée par des paroles aussi dures, Astrid ne trouva d’autres réponses que de simplement fermer les poings, une boule d’émotion coincée dans le fond de sa gorge. C’était facile pour eux de dire de telles choses, puisqu’ils n’étaient pas à sa place. Ce n’était pas eux qui provenaient d’un Monde extérieur, arraché à un quotidien simple et presque sans soucis, où la mort ne les guettait pas à chaque coin de rue parce que vous représentiez l’espoir du Royaume. Ce n’étaient pas eux qui étaient les héros d’une Prophétie dont personne n’avait véritablement entendu parler, pas eux à qui on plaçait beaucoup d’attentes alors que vous aviez passé le plus clair de votre vie assise devant une chaise de bureau, à attendre inlassablement que la journée s’écoule, harassée d’ennui.

Comme s’il avait compris la tempête d’émotion qui faisait rage à l’intérieur du cœur de la jeune fille, Thandon vint tout à coup placer une main réconfortante sur l’épaule de cette dernière. Surprise par ce contact incongru et inattendu, Astrid sursauta brièvement, avant de déplacer lentement ses yeux couleur de rubis en direction du regard émeraude de celui qu’elle pouvait maintenant définir comme étant son ami. Le jeune garçon lui souriait chaleureusement et, effectivement rassurée par cette marque d’attention, la brune ne put empêcher un maigre sourire de venir déformer ses lèvres.

Moi aussi, ça me fout les jetons, avoua-t-il d’une voix compatissante, son regard se déplaçant lentement en direction du corps inanimé de Fileya. Mais on n’a pas le choix. On doit continuer.

Démoralisée, Astrid lâcha un profond soupir qui n’échappa à personne. Mais aucun ne lui fit une quelconque remarque, pour son plus grand plaisir. La jeune fille lança ensuite ses iris en direction des escaliers qui s’enfonçaient toujours plus dans l’obscurité. Une boule de stress commença à compresser ses entrailles, venant jouer avec ses nerfs comme un chat avec une pelote de laine.

Pour s’altérer les idées, l’Enfant aux Yeux Rouges tenta de lancer un regard suppliant en direction de Yume, qu’elle espérait encore pouvoir faire changer d’avis. Cependant, Astrid se ravisa bien assez tôt quand elle remarqua que les pupilles lagon du jeune homme brillaient d’une lueur inquiétante. La lumière dans ses yeux, aussi dure que s’il se trouvait face à Seven en personne, ne fixait non pas quelqu’un en particulier, mais bien la main de Thandon toujours agrippée à l’épaule laiteuse de la jeune fille…

Ouais… Vous avez raison… capitula finalement Astrid, abaissant ses épaules comme si elles supportaient tout le poids du monde. Mais sachez juste que je flippe à mort. Si Yume ressort perturbé de son épreuve et Fileya inconsciente… Mon cœur va pas survivre, c’est moi qui vous le dis !

T’en fais pas. À ton retour, je serai là, affirma tout à coup Yume, qui vint apposer une main sur l’épaule encore libre de son amie. Et je passerai même au-dessus de ton odeur de putréfaction pour te faire un câlin. Promis.

Autrefois, peut-être que cette pique gratuite l’aurait-elle fait totalement sortir de ses gonds. Mais, dans une situation aussi grave et dangereuse dans laquelle elle était actuellement plongée, Astrid sentit une vague de chaleur partir de son bas du ventre, pour envahir tout son être. Rapidement, elle trouva que la main chaude de Yume encore sur son épaule doublée à ses paroles pleines de sincérité était celle qui avait causé cet effet.

Sentant ses joues devenir rouges, d’autant plus se sachant soutenue dans cette dure épreuve par deux garçons charmants, Astrid joua rapidement des épaules pour se dégager de leur contact, aussi rassurants et revigorant soient-ils. Puis, ses yeux se dressèrent, bien malgré elle, en direction des escaliers de cristal qui n’attendaient qu’une chose : que les héros continuaient à les gravir.

Quels desseins la Flèche de Cristal et sa propriétaire lui réservaient-ils ?

*

* *

Quelques marches supplémentaires plus tard, et l’agencement de la Flèche de Cristal avait drastiquement changé. En effet, les escaliers avaient fini par déboucher sur une nouvelle plateforme complètement inédite. Le groupe des héros venait d’atteindre une espèce de plateau lisse, au sol aussi frigorifié et cristallisé que le reste du bâtiment. Plusieurs piliers de glace soutenaient le plafond près des murs, ce qui laissait l’espace devant les compagnons entièrement vide. Cet endroit avait quelque chose de changé, cela, Astrid en était persuadée. En effet, au fond de la salle résidait une immense porte turquoise à doubles battants aux reliefs finement travaillés dans la glace. Même les poignées des portes semblaient faites de cristal. Cependant, malgré leur beauté royale, la jeune fille n’éprouvait pas une véritable envie de franchir son seuil. Son regard rouge sang refusait de se détacher de cette porte, alors que son cœur dans sa poitrine effectuait des bonds prodigieux. Elle savait ce que cette sensation signifiait vraiment : une nouvelle épreuve les espérait derrière ces deux portes graves et silencieuses.

Cherchant à cacher son mal être devant ces deux simples portes, Astrid préféra reporter son attention sur ses amis, qui avaient atteint l’espace circulaire vide bien avant elle. Comme elle s’y attendait, la jeune archère ne trouva aucune lumière émanant des silhouettes de Thandon et Léterno. Yume et Fileya ne pouvaient pas voir leur corps scintiller, puisque leurs épreuves avaient déjà eu lieu.

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