Chapitre 11.2 : Astrid
Astrid soupira timidement, cherchant à se faire la plus discrète possible. Son regard descendit lentement au niveau de ses mains… Elle regretta immédiatement d’avoir voulu assouvir sa soif de curiosité. Exactement comme elle l’avait craint, une aura dorée entourait ses doigts, ses paumes, ses poignets, ses avant-bras, pour finalement recouvrir l’entièreté de sa silhouette. Ravalant difficilement sa salive, la jeune fille préféra taire ce phénomène pour l’instant. Elle n’était pas encore prête à se plonger corps et âme dans son épreuve et, pour l’heure, aucun de ses compagnons n’avait sollicité son pronostic. Alors, Astrid décida de garder ses pensées pour elle, et de simplement espérer qu’on lui demande de prendre la parole. C’était mieux ainsi. Au plus elle prenait son temps, au mieux elle pouvait s’apprêter mentalement à ce qui allait suivre… Si tant était qu’il était capable de se préparer à ce qui allait l’attendre derrière ces portes, quoi que cela puisse être !
Finalement perturbée par cette aura qui émanait de l’entièreté de son corps, Astrid croisa ses mains sous ses aisselles, tandis que ses yeux se posèrent quelque part à l’opposé de la direction de ses amis. Son geste était purement insignifiant, puisque personne d’autre à part elle n’était capable de voir la lueur dorée ! Cependant, ne pas être confrontée aux regards de ses compagnons d’infortune avait curieusement un quelque chose de… réconfortant.
― Bien ! s’exclama tout à coup Yume un peu trop fort, ce qui eut pour effet de faire sursauter tout le monde ― à l’exception de Léterno, comme toujours. Je sais pas depuis combien de temps exactement on gravit cette Tour de malheur, mais je suis d’avis qu’on s’arrête là pour reprendre des forces.
Réalisant qu’il avait parlé pour tous sans leur demander leur avis, le jeune homme, alors au centre de la pièce déserte, les deux mains sur les hanches, effectua un volte-face pour s’adresser à leurs amis, sur un ton plus bas :
― Vous en pensez quoi ?
― Excellente idée, salua le premier Léterno avec un hochement de tête, Fileya toujours dans ses bras. Installez les sacs de couchage. On va y déposer Mademoiselle.
Les deux plus jeunes garçons se lancèrent un regard entendu, avant d’approuver tous deux l’ordre d’un signe de tête. Yume, qui était l’officiel détenteur du sac sans fond des Falkies, décrocha ce dernier de sa ceinture. Là, il le posa à terre, puis il s’accroupit face à la besace à son tour. Il fourra sa main dans la bourse, les sourcils froncés de concentration comme s’il cherchait quelque chose qu’il ne parvenait pas à trouver, afin d’en sortir un sac de couchage ainsi qu’une couverture en fourrure, qu’il jeta pêle-mêle au sol.
Thandon prit ensuite la relève. Tandis que Yume sortait d’autres sacs de couchage et d’autres couvertures ― parce qu’il faisait tout de même drôlement frais dans cette Tour, malgré les murs qui empêchaient le froid mordant au-dehors de pénétrer dans l’enceinte de la bâtisse ― dans l’expectative de monter à nouveau un camp de fortune. Le jeune garçon originaire de Buxih se démena autant qu’il put pour installer un lit douillet pour l’élue de son cœur, en dépit des protestations de Khomas qui le suivait partout, s’accrochant à sa jambe en répétant que lui aussi avait froid et que lui aussi voulait dormir. Ce ne fut que lorsqu’il acheva de préparer la couche de la magicienne que le grand frère s’occupa enfin des caprices du plus jeune.
Quand il vit la place enfin libre, Léterno s’approcha du sac de couchage. Ne tenant plus que Fileya à l’aide d’un bras ferme contre son torse, le grand homme découvrit la couverture de fourrure d’un geste sec, puis, il déposa le corps endormi de la belle dans son espace douillet. Lorsqu’il s’assura que la jeune fille était allongée dans une position confortable, le samouraï errant recouvrit sa silhouette frêle et froide du drap revigorant. La respiration de la jeune Invoqueur s’était fort heureusement calmée, et son sommeil n’avait pas l’air agité, non plus.
Au loin, Astrid observa son amie profondément endormie, rassurée de la savoir loin du cauchemar qu’elle avait dû vivre. Un frisson d’effroi la parcourut tandis qu’elle se persuada que si elle passait les portes au fond de la salle, il y avait en réalité très peu de chance pour qu’elle s’en sorte aussi bien que la magicienne. Après tout, elle n’avait pas ses compétences magiques, ni même sa détermination.
Sans un mot, Léterno s’assit à côté de Fileya, les jambes en tailleurs, et les bras croisés sur son torse, tel le gardien du sommeil de la jeune fille. Son unique iris améthyste était braqué droit devant lui, fixant un point invisible au loin. À moins qu’il ne toisât en réalité Yume terminer de dresser leur camp de fortune. Cette action ne manqua pas à l’œil vigilant de Thandon, qui lança un regard de glace en direction du colosse aux muscles saillants, nullement impressionné par ceux-ci. Mais Léterno ne sembla même pas avoir remarqué cette ire de la part du jeune garçon à son égard, qui lui était pourtant toute destiné.
Les sourcils légèrement froncés sous sa frange châtaine, le grand frère de Khomas, qui avait enfermé ce dernier dans ses draps douillets, trouva une place de l’autre côté de la belle endormie. Ainsi assis sur le sol qui paraissait pourtant froid, Thandon avait ramené une jambe contre son torse, sa main gauche suspendue à son genou. Puis, de sa paume libre, le jeune garçon originaire de Buxih agrippa avec douceur mais fermeté la main gelée de l’élue de son cœur, et vint la porter à son front, les yeux clos. Astrid, un peu à l’écart de la scène, vit ses lèvres remuer, mais aucun son ne sortait de sa bouche. C’était comme si Thandon priait pour le sommeil réparateur de la jeune fille en silence.
― Ça va. Elle est pas au bord de la mort, non plus, bougonna tout à coup Yume, dont le petit manège de Thandon et Léterno n’avait pas manqué.
Bien trop absorbé par le visage endormi de la belle Fileya, Thandon, s’il avait entendu la boutade lancée par son homonyme masculin à son encontre, ne la releva même pas.
Astrid, de son côté, se pinça les lèvres, interdite, se demandant si elle avait le droit d’ajouter son grain de sel. Fileya lui avait avoué, le soir précédent, être de plus en plus dégoûtée par le contact physique avec Thandon, bien malgré elle, depuis les horreurs que Seven lui avait fait subir dans sa salle de torture. Cependant, la jeune Invoqueur avait fait promettre à son amie de ne rien dévoiler de tout cela à Yume, car elle souhaitait le faire d’elle-même. Astrid savait, malgré tout, que si la magicienne avait été pleinement conscience de toute cette situation, elle aurait demandé à Thandon de s’éloigner, ou tout du moins de ne pas la toucher, pour éviter des jalousies. Après tout, pourquoi accorder la présence de Léterno à ses côtés mais pas celle du grand frère de Khomas ? Mais tout ceci n’était que superstitions de la part d’Astrid.
― C’est ça, marmonna Yume, hors de lui, les dents serrées d’amertume. Fais comme si tu m’entendais pas, surtout.
Astrid suspectait son ami de ne pas lancer ces piques à l’intention de Thandon à la légère. Après tout, le jeune homme avait conscience de la résonance de la salle, et aucun ici ne pouvait prétendre ― à part Fileya, la malheureuse endormie ― n’avoir rien saisi. Malgré tout, le châtain avait fait le choix, plutôt sage venant de sa part, de ne toujours pas réagir. Néanmoins, ce manque de réaction suffit à faire monter la rage dans le creux de l’estomac de l’ancien Épéiste, qui serra les poings. Il lâcha finalement un râle guttural, avant de détourner le regard. Fermant puissamment les paupières, il poussa un profond soupir puis, quand il rouvrit les yeux, ses iris aussi bleus qu’un lac miroitant au zénith se posèrent sur la silhouette d’Astrid, qui s’était volontairement mise à l’écart.
Le cœur de la brune se mit à bondir dans sa poitrine quand Yume s’approcha d’elle à grands pas. L’expression sur son visage ne trahissait aucune émotion, aussi ne parvint-elle pas à deviner la raison pour laquelle il s’avançait ainsi dans sa direction, dans l’espoir de l’aborder.
― Je sais ce que tu ressens, dit Astrid la première, pour éviter que ce ne soit le jeune homme qui engageât la conversation sur un sujet qui risquait de la mettre fortement dans l’embarras, mais calme-toi.
Comme touché par ces paroles, Yume fixa ses yeux brillants dans ceux, bien plus inquiets, de son amie. Il ouvrit la bouche, à l’instar de s’il avait souhaité dire quelque chose, mais se ravisa finalement à la dernière minute. Les regards et le silence prirent la place des mots, comme si contempler les iris de l’un et de l’autre était suffisant pour lire dans les pensées secrètes du cœur de son interlocuteur.
De rester ainsi dans cette position sans oser dire la moindre parole, Astrid, qui avait l’impression que le jeune homme avait saisi la tempête d’émotion qui faisait rage dans son cœur, sentit ses joues la piquer. D’abord timidement, puis la chaleur se répandit jusqu’à ses oreilles. La jeune fille fut la première à détourner les yeux, ne supportant plus le regard de Yume plongé dans le sien. Ce n’était pas le fait qu’il ait compris qu’elle était la désignée pour la prochaine épreuve qui la mettait terriblement mal à l’aise, mais plutôt le fait d’être fixée avec tant… Qu’est-ce que c’était, d’abord, qui brillait ainsi dans les iris de l’ancien Épéiste ? De la compassion ? De l’encouragement ? Ou bien… une émotion plus profonde, quelque chose que l’Enfant aux Yeux Rouges n’avait jamais expérimenté… ? Personne ne l’avait jamais regardée avec cette lueur dans les yeux, cette lueur si singulière et perturbante qu’elle en devenait attirante, fascinante.
Astrid avait peur de comprendre.
Elle se mordit la lèvre inférieure. Ses pensées, tellement embrouillées, ne vinrent même pas se poser une question qui pourtant lui aurait paru évidente quelques jours plus tôt : qu’est-ce que Yume, un « beau gosse » comme on l’aurait appelé dans son Monde, lui trouvait-elle ?
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