Chapitre 11.3 : Astrid
Yume parut sentir la gêne de la brune. Il se passa une main dans les cheveux, tandis qu’il plaça sa paume libre sur sa hanche. Puis, lentement, son regard remonta en direction des deux immenses portes au fond de la salle, qui n’avaient pas manqué de l’intriguer depuis leur entrée dans l’espace désert.
― Désolé, bafouilla-t-il, tout bas.
― C’est pas… débuta Astrid, désemparée, avant de reprendre, après s’être raclé la gorge : C’est pas grave.
Un silence s’installa entre les deux jeunes gens. Astrid ne savait plus où elle devait se placer. Devait-elle fuir la présence de Yume, qu’elle trouvait pourtant si réconfortante, pour rejoindre le camp de fortune ? Ou bien devait-elle rester en sa compagnie, dans l’espoir que le jeune homme se confiât enfin sur l’épreuve qu’il avait enduré ? Peut-être qu’en apprendre plus sur ce que lui seul avait vécu serait un moyen pour elle de subir son épreuve avec plus de sérénité ?
Astrid ouvrit les lèvres dans l’espoir de poser ses questions, mais Yume la devança le premier :
― T’as vu une aura sur quelqu’un ?
Les battements de cœur de l’intéressée s’intensifièrent de manière croissante. La jeune fille sentit son teint devenir blafard, tandis que sa tête se mit à tourner violemment, comme si son esprit ne parvenait plus à se maintenir en place. L’espace de quelques secondes, le monde tout autour d’elle se mit à tournoyer, prête à sombrer dans le coma. Mais par une incroyable force du destin, Astrid parvint à rester mystérieusement campée sur ses deux jambes, tenant bon. Personne ne devait savoir qu’elle était la destinataire de cette épreuve. Pas même Yume, en qui elle plaçait pourtant une immense confiance, presque autant qu’en Fileya, si ce n’était même plus.
La seule solution pour ne pas se faire démasquer fut de secouer négativement du chef. Astrid se pinça la lèvre inférieure, tandis que sa main gauche vint empoigner son bras droit, s’empêchant ainsi de trembler, pour ne pas trahir son mensonge. Elle n’osait même pas regarder Yume en face, de peur de faire tomber son plan à l’eau.
― Super, maugréa ce dernier, irrité, tout en laissant ses bras tomber le long de son corps, découragé. Si même ton superpouvoir marche plus…
― Désolée… murmura Astrid, penaude.
― Quoi… ? réagit immédiatement le jeune homme à ses côtés, les yeux exorbités, se rendant compte de son erreur. Non, non, non ! C’est pas toi, c’est cette Tour qui… Raaaah, laisse tomber !
Sans crier gare, Yume passa tout à coup un bras autour des épaules d’Astrid, pour l’attirer tout près de lui. Étonnée par ce geste transpirant de complicité, la jeune fille sentit son souffle se raidir, tandis que ses joues prirent une teinte adorablement rouge. Elle était si proche de l’ancien Épéiste qu’elle pouvait définir son odeur, auquel elle n’avait jamais fait attention jusqu’à présent. Et le jeune homme… Ne sentait pas particulièrement la rose, avec sa légère exhalaison de transpiration. Mais, curieusement… Astrid se surprit à l’apprécier tout de même. Cette simple pensée lui suffit à lui faire de nouveau tourner la tête. Pourquoi ne parvenait-elle plus à penser décemment en présence de Yume ?!
Ce qui surprit néanmoins le plus la jeune fille fut sans aucun doute la spontanéité de ce geste. Jamais plus, depuis leur rencontre à Fikternand, où ils s’étaient attrapé la main avec une délicatesse ineffable. En vérité, les deux amis ne s’étaient jamais retrouvés aussi proches l’un de l’autre.
― Je sais que t’es terrifiée… susurra Yume au coin de son oreille, qui fit se dresser les poils de la nuque d’Astrid. Mais on va s’en sortir.
Tout à coup, il lui conféra une petite tape dans l’estomac. Trop empruntée par ce geste à la fois viril, mais doux pour ne pas lui faire de mal, Astrid ne parvint pas à aligner ses pensées correctement pour lui ordonner de se détacher d’elle. Quelque part… Elle souhaitait que ce moment durât pour l’éternité.
― Après tout, t’es une superhéroïne, non ? plaisanta-t-il pour détendre l’atmosphère.
Encore trop sonnée malgré cette réplique réconfortante, Astrid ne trouva de prime abord aucune réponse autrement satisfaisante qu’un sourire crispé. Mais, au bout de quelques secondes où elle remarqua que Léterno et Thandon étaient tant concentrés sur Fileya endormie qu’ils n’eussent pas noté la proximité entre leurs deux autres compagnons, elle lâcha, du bout des lèvres pour tenter de se faire entendre que par son ami le plus proche :
― Ça… Y a que toi pour le croire.
― Mais non ! rassura le jeune homme, tout en serrant un peu plus son bras autour du cou de l’Enfant aux Yeux Rouges. On le croit tous ! Fileya, Léterno… Et même cet abruti de Thandon.
Astrid pensait que Yume avait volontairement terminé sa tirade en augmentant le volume sonore de sa voix, pour se faire entendre de l’intéressé dont il se moquait ouvertement. Ce dernier, d’ailleurs, réagit cette fois-ci à la pique lancée par le meilleur ami de Fileya, puisqu’il redressa enfin la tête dans leur direction, pour dévisager le blondinet d’un œil noir. Astrid n’aurait su expliquer pourquoi, tout à coup, elle se sentit en danger devant cette lueur bestiale dans le regard du jeune garçon, alors que toute cette ire n’était même pas dirigée contre elle.
Yume aussi comprit qu’il était allé un peu trop loin. Il répondit à Thandon par une grimace sincèrement désolée. Cette déformation des lèvres, peu habituelle chez son compagnon de voyage, fit légèrement sourire Astrid, qui sentit ses problèmes devenir tout à coup beaucoup moins lourds. Mais pas encore tout à fait envolés.
― Tu vois ? reprit alors le jeune homme, de nouveau très sérieux. C’est ce sourire-là qui…
Yume se stoppa brutalement dans sa phrase, ce qui fit froncer les sourcils d’Astrid d’interrogation. Puis, lentement, il retira son emprise sur le cou de la jeune fille, comme s’il venait de se rendre compte de la situation dans laquelle ils se trouvaient bloqués depuis plusieurs minutes. Complètement perdu, le meilleur ami de Fileya enfouit alors ses mains dans les poches de sa veste, tandis que son regard vint se perdre en direction des deux colossales portes au fond de la salle.
Astrid sentit une boule de stress se former dans sa gorge et son estomac. Se pourrait-il qu’il ait compris… ?
―… qui me fait me rendre compte que je suis fatigué et que je dis que de la merde, lâcha-t-il finalement, avec des joues légèrement rosies qui n’échappèrent pas à l’œil vigilant de son interlocutrice. Allez, moi aussi je vais me coucher ! Mine de rien, cette épreuve et cette Tour en général, ça m’aura cassé !
Yume osa dresser ses yeux en direction d’Astrid. Il lui fit un clin d’œil mystérieux, avant de rejoindre Thandon et Léterno, qui ne lui prêtèrent même pas une toute petite forme d’attention, beaucoup trop concentrés sur Fileya. Sans un regard en arrière pour la jeune fille qu’elle avait laissée totalement pantoise, l’ancien Épéiste, dos tourné à la brune, partit se réfugier sous une couverture de fourrure, un peu à l’écart de sa meilleure amie, sans doute pour ne pas sentir la présence beaucoup trop insistante des deux autres hommes du groupe.
Toujours sonnée par cette conversation à cœur ouvert avec Yume, Astrid le fixa encore quelques instants, interdite, avant de se rendre compte que plus les secondes s’étiraient, plus son attention à son égard devenait incommodante. Réalisant qu’elle avait un comportement digne de « Pot-de-Colle » qui la répugnait autrefois au lycée, la jeune fille s’empressa de détourner vivement les yeux.
« Yume… réalisa-t-elle dans le fond de sa pensée, parce qu’elle avait compris que les murs de cette salle résonnaient beaucoup trop anormalement à son goût. Merci. Sans toi… J’aurai jamais eu l’occasion ou même le courage de faire ça. »
Sans un mot ni un regard en arrière pour ses amis car elle savait que la moindre marque de faiblesse aurait été capable de la freiner dans son élan de courage, Astrid fonça à toutes jambes en direction de deux portes fermement closes au fond de la salle. Ses pas, qui se répercutent en un fort écho tels des martèlements inquiétants, eurent tôt fait d’attirer l’attention de Yume et Thandon sur elle, qui lui lancèrent un regard interdit. Même Yume, surpris par cette course hâtive, s’était immédiatement redressé dans ses draps pour comprendre quelle mouche avait piqué son amie.
― Astrid ?! réagit-il le premier, tandis qu’il amorçait un geste pour se redresser promptement sur ses jambes. Mais tu fais quoi, reviens ou tu vas…
La jeune fille n’eut jamais le loisir d’entendre la fin de son avertissement. À peine avait-elle enroulé ses doigts autour des deux poignées glacées, qu’elle les tira vers elle d’un geste sec, brusque, et hâtif, de peur de voir son élan de courage s’envoler aussi rapidement qu’il lui était venu. Aussitôt les deux battants ouverts, une vive lumière vint lui agresser les rétines, avant de s’étendre à l’entier de la salle, qui força toute l’assemblée de héros à fermer puissamment les paupières pour ne pas se retrouver aveuglée par elle.
Lorsque l’éclat s’estompa enfin, après des secondes qui avaient paru être des éternités entières, Yume constata le premier, terrorisé, qu’Astrid avait disparu…
… mais aussi qu’elle lui avait délibérément menti.
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