Chapitre 12.2 : Astrid

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Astrid n’eut jamais le temps d’achever ces théories mentales. À peine s’était-elle écriée qu’elle ne saisissait plus rien à rien à tous les desseins secrets de la Déesse qu’une forme au lointain se distingua parmi les flammes. D’abord une ombre noire inquiétante, celle-ci finit par grandir au fur et à mesure qu’elle s’approchait. La silhouette, juchée sur un cheval, tenait fermement la bride de celui-ci tandis qu’elle s’avançait d’une allure sereine, un brin au trot, en direction de la jeune fille et de l’enfant. Comme dans son rêve, le Chevalier d’Argent était toujours aussi impressionnant, ainsi perché sur son équidé à la robe de même teinte, sans mentionner toutes ses plaques d’armure qui produisaient un tintamarre assourdissant à moindre mouvement. Le pire résidait sans doute dans le fait que seuls ses deux yeux jaunes étaient visibles derrière son casque, uniques points lumineux démoniaques dans les ténèbres.

N’éprouvant aucune forme de confiance envers ce chevalier sorti des ombres et des flammes ardentes, Astrid resserra un peu plus Fileya contre son cœur. Pas question de confier cette enfant à cet individu !

Ce dernier ne sembla par ailleurs pas saisir le mouvement de recul de la brune. Il s’avança sereinement tout près d’elle, à tel point que la jeune fille put sentir le souffle chaud et putride exhaler des naseaux du cheval argenté. L’individu casqué tendit une main gantée en direction d’Astrid, qui la dévisagea d’un regard dur.

NON ! rugit-elle, déterminée, tandis qu’elle trouva la force, elle ne savait comment, de soutenir ses deux perles ambrées. Je sais pas qui vous êtes, mais j’aime pas votre regard !

Le cœur battant la chamade dans sa poitrine, Astrid prit quelques infimes secondes pour réaliser son changement drastique de comportement. Jadis, même dans des situations aussi dramatiques et injustes comme celle-ci, jamais la jeune fille n’aurait trouvé le courage ou même les mots pour s’opposer ouvertement comment elle venait pourtant de le faire. Autrefois, la brune se serait simplement contentée d’observer en silence.

Cette enfant… poursuivit-elle, la voix tremblante. C’est mon amie ! Et vous l’aurez pas !

Astrid n’attendit même pas la réaction de son interlocuteur, dont elle aurait par ailleurs préféré ne jamais avoir croisé le chemin. Ne souhaitant pas voir s’égrener le peu de courage qu’elle avait réussi à trouver caché tout au fond d’elle-même, la jeune fille avisa rapidement la place sur laquelle elle se trouvait, en recherche d’une issue pour s’enfuir. Foncer tête baissée en direction du Chevalier d’Argent serait pure folie : si elle passait trop près de lui, l’homme n’avait plus qu’à tendre le bras pour la cueillir par le col, et le tour serait définitivement perdu, et son épreuve dans la foulée. Cependant, un bref regard en arrière suffit à lui montrer une rue déserte, s’enfonçant dans les ténèbres. L’entrée de cette ruelle était à moitié barrée par une poutre en bois, mais celle-ci laissait à peine un passage pour une personne de petite taille comme Astrid. C’était son unique chance de survie.

Déglutissant avec difficulté, Astrid ne perdit plus une seule seconde. Elle prit ses jambes à son cou et s’enfuit en direction de la brèche, unique voie salvatrice parmi les flammes infernales. La jeune fille sentit son cœur battre et ses membres trembler de frayeur quand elle entendit son poursuivant lancer son cheval au galop dans l’espoir de rattraper ses deux proies. Astrid usa de toute la force de ses jambes pour courir le plus promptement possible. Elle s’essouffla rapidement par manque de pratique et à cause de l’environnement incendiaire, mais elle tenta de passer outre ce manque d’air. L’Enfant aux Yeux Rouges devait donner priorité à la survie de Fileya !

Astrid, dans un bond certes mal contrôlé, parvint à franchir in extremis la barrière formée par les poutres encore en flammes comme un lion passait par un cercle de feu dans un numéro de cirque. Une fois en sécurité de l’autre côté, la jeune fille serra le nourrisson contre son cœur, tentant de le bercer dans le but de calmer ses pleurs affolés qui avaient repris.

À bout de souffle, la brune se laissa choir contre un mur, sa poitrine se soulevant et s’abaissant à un rythme affolant. Ses poumons cherchaient de l’air avec difficulté. Elle avait si mal que des larmes roulèrent sur ses joues. Mais, devant assouvir une soif de curiosité obligatoire pour sa survie et celle de la version bébé de Fileya, Astrid trouva la force de déplacer ses yeux en direction de l’entrée de la ruelle. Derrière les poutres effondrées, le Chevalier d’Argent faisait faire les cent pas à son cheval, cherchant certainement un moyen de passer. Quand elle entendit l’homme pousser un cri pour lancer sa monture quelque part sur la droite, Astrid comprit qu’elle n’avait plus de temps à perdre : elle devait trouver une technique pour semer cet individu, et vite !

S’enfoncer à l’autre bout de la ruelle serait pure folie. Le Chevalier d’Argent avait dû partir en quête d’un passage pour rejoindre l’autre extrémité, et ainsi les coincer en revers. Non, le seul moyen pour Astrid de s’échapper de cette prison de flammes et d’obscurité était de sortir par l’entrée, au risque de subir quelques brûlures au passage. Ce ne fut qu’après avoir réalisé cela que la jeune fille osa baisser les yeux sur ses avant-bras, qui la faisaient drôlement souffrir. Elle grimaça alors de douleur. Sur ses deux bras, plusieurs petites plaques rouges étaient apparues, qui viraient rapidement vers une couleur plus vive. Elle s’était brûlée en passant les poutres enflammées.

« Quelle conne ! se réprimanda-t-elle en son for intérieur, la situation dangereuse lui faisant perdre toute bienséance. J’aurais dû prendre des Sphères de Soin à Yume avant de partir ! »

Sachant cependant qu’elle ne pouvait pas rester dans cette rue indéfiniment si elle souhaitait venir à bout de l’épreuve imposée par la Déesse, Astrid prit son courage à deux mains. Elle ravala sa salive avec difficulté, tandis que ses yeux de sang fixaient les flammes, déjà moins bien impressionnantes, qui lui faisaient barrage. Un soudain craquement de bois attira son attention : les poutres commençaient à s’effondrer sur elles-mêmes, risquant de lui barrer toute issue !

Bon ma grande, s’encouragea-t-elle à voix haute, tandis qu’elle fit rouler sa tête sur ses épaules pour chauffer ses articulations. Il semblait que t’as pas vraiment le choix. Va falloir sauter, au risque d’y laisser des plumes, ou tu vas finir empalée sur l’épée du Chevalier !

Serrant fermement Fileya tout contre son cœur dont les pleurs n’avaient toujours pas cessé, Astrid ferma puissamment les paupières, tandis qu’elle se concentra sur sa respiration. Contrairement à ce qu’elle aurait souhaité, les douleurs dans cette épreuve étaient bien réelles. Yume et Fileya avaient-ils subi des dégâts physiques, eux aussi, avant de revenir à leur réalité ? La jeune fille se raccrocha à cette idée : tout ce qu’il se déroulait dans cet univers parallèle et fictif n’avait aucun impact sur le monde réel — enfin, le Royaume Onyrik. Et puis, pour l’avoir déjà expérimenté à de nombreuses reprises dans ses propres rêves, tout ce qui se passait ici n’aurait aucune répercussion sur son propre corps, encore à l’hôpital, dans son Monde, le vrai. Alors, elle n’avait pas à avoir peur de ces flammes.

Et, c’est qu’un mauvais moment à passer ! se persuada-t-elle une ultime fois.

N’y réfléchissant plus au risque de ne jamais trouver le courage nécessaire pour oser sauter à travers les flammes, Astrid courut à toutes jambes, ses pas bercés par les pleurs du nourrisson lové contre son cœur. Les yeux à demi fermés pour tenter de diminuer le plus possible la présence du brasier infernal, la jeune fille sentit son organe vital palpiter davantage tandis qu’elle s’approchait dangereusement du point de non-retour.

Au moment de sauter, elle ferma les yeux.

Astrid se rendit compte de la folie qu’elle était en train de commettre quand elle prit définitivement appui sur la pointe de ses deux pieds pour se donner un élan correct. Il lui semblait que le temps autour d’elle s’était ralenti, que son saut avait duré plusieurs minutes, ou bien la Déesse avait-elle volontairement étiré les secondes pour lui permettre de se rendre compte de son propre acte d’héroïsme. Quoiqu’il en fut, la jeune archère sentit les flammes lécher ses avant-bras, tout près des épaules, ainsi qu’une partie de ses genoux. Des larmes de douleur se formèrent au coin de ses yeux, mais elle n’eut pas le temps de s’apitoyer sur son sort. À peine fut-elle de l’autre côté de la barrière infernale qu’Astrid ne perdit pas une seule seconde. Les genoux pliés par son atterrissage, elle lança un regard de droite et de gauche, pour s’assurer que son ravisseur n’était définitivement plus dans les environs. Notant qu’il avait disparu, sans doute persuadé qu’il parviendrait à les coincer de l’autre côté de la ruelle, la jeune fille s’enfuit à toutes jambes dans la direction opposée.

Astrid ignorait la superficie véritable de la Cité des Invoqueurs, ni même son agencement. Peut-être même avait-elle emprunté l’unique grande rue qui les menait, l’enfant et elle, tout droit dans le cœur de l’incendie. Mais, mue par son instinct, la brune avait décidé d’arpenter cette voie, autrefois inaccessible à cause du Chevalier d’Argent. Peut-être était-ce simplement la Déesse qui guidait — tout comme dans ses songes — le chemin à emprunter, la voie à suivre ?

Tout le long de sa course effrénée, qu’elle ralentissait de temps à autre pour reprendre son souffle, Astrid avait gardé bébé Fileya tout contre sa poitrine. Le poupon était inconsolable, ses pleurs et ses cris se faisaient de plus en plus insistants. Plusieurs fois, la jeune fille s’était complètement arrêtée pour s’assurer que l’enfant avait subi un quelconque coup pendant la course, ou alors si son petit corps n’avait été lui aussi rongé par les flammes désireuses de plus de chair à grignoter. Miraculeusement, Fileya était indemne. Astrid priait pour que cela durât.

Astrid s’était à nouveau stoppée dans sa course effrénée. Pour reprendre son souffle, d’une part, et pour calmer les pleurs de l’enfant de l’autre. Alors qu’elle la tenait dans ses bras et qu’elle effectuait des petits remous en lui chuchotant que tout allait bien, qu’elle était avec elle pour la protéger, la jeune fille se fit la réflexion certaine qu’elle n’était pas faite pour être mère. Du moins, pas tout de suite.

L’Enfant aux Yeux Rouges devait trouver un moyen de faire taire les cris du nourrisson. Ceux-ci étaient tellement puissants, tellement forts, que le Chevalier d’Argent, même s’il se trouvait peut-être à l’autre bout de la ville, avait très certainement dû pister leur trace, et se dirigeaient sans doute, à cet instant précis, tout droit dans leur direction. Même les râles des Invoqueurs paniqués et en fuite s’étaient presque éteints. Avaient-ils réussi à quitter leur Cité à temps ? Ou bien, le pire leur était-il arrivé ? Astrid avait beau se persuader que tout ceci n’était pas réel, une partie, cependant, l’était : la chute de la Cité des Invoqueurs avait réellement eu lieu, il y avait des années de cela, et l’horreur qu’elle vivait ce soir avait été le cauchemar éveillé de milliers d’autres.

Astrid pâlit de peur quand elle entendit résonner, encore légèrement lointain, le hennissement d’un cheval. Nul doute qu’il s’agissait là du Chevalier d’Argent ! Réagissant immédiatement au danger imminent, la jeune fille serra un peu plus Fileya contre son cœur, de sorte à étouffer au maximum ses cris. Elles ne devaient aucunement se faire repérer, pas maintenant, pas avant d’avoir trouvé la sortie, pas avant d’avoir mis l’enfant en sécurité !

Il lui semblait également entendre le martèlement des sabots de l’équidé contre les pavés de pierres qui parsemaient la ville. Et ceux-ci se faisaient de plus en plus distincts, de plus en plus proches. Leur traqueur était juste derrière, et il les avait repérées.

La jeune fille, trop effrayée par cette idée, n’osa même pas lancer sa tête vers l’arrière pour vérifier ses craintes. Ne perdant plus une seule seconde et oubliant ses jambes fatiguées par l’effort, elle reprit sa course.

Celle-ci ne dura pas bien longtemps. Quelques pas supplémentaires, et Astrid se vit obligée à stopper net ses foulées. Le cœur battant la chamade, elle comprit ce qui l’avait forcé à s’arrêter ainsi, comme si son instinct de survie était mystérieusement parvenu à la prévenir avant que le pire ne se produise.

Un hennissement, plus fort que les précédents, retentit dans son dos.

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