Chapitre 13.1 : Astrid

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Astrid sentit très nettement la goutte de sueur perler le long de son front pour venir terminer sa chute dans son cou. Ce n’étaient pas tant la chaleur et l’effort qui la faisait transpirer à grosses gouttes. Mais la peur. La jeune fille avait l’horrible sensation d’être une proie, la souris avec qui le chat prenait du plaisir à s’amuser, lui laissant espérer qu’une issue salvatrice était encore possible, alors que seul le chasseur était maître du jeu.

Quelques secondes plus tard, la jeune fille se trouva forcée à se recroqueviller sur elle-même dans le but de se protéger. Un cheval à la robe argentée venait de bondir majestueusement à travers les flammes pour se poster devant elle, menaçant. De nouveau, le Chevalier d’Argent leur bloquait la route.

L’homme sur son destrier se trouvait bien droit. Il avait l’air d’une figure si importante, avec la façon qu’il avait de tenir la bride et de se jucher sur sa monture. Le Chevalier d’Argent, aussi royal que sinistre, donnait l’impression d’être un symbole tout autant conséquent que le Roi de Cristal. Peut-être que se cachait sous cette armure, effectivement, une personnalité monarchique ?

Malgré la peur qui lui recommandait de prendre ses jambes à son cou, voire pire d’abandonner tout effort pour enfin gagner la paix tant désirée, Astrid recula d’un pas, les dents serrées d’amertume. Il était hors de question de confier Fileya à cet homme dont elle ignorait tout !

Sur sa gauche, un subit craquement de bois la fit sursauter. Du coin de l’œil, Astrid comprit, avec terreur, qu’un immeuble était sur le point de s’écrouler juste au-dessus de leur tête.

Ça suffit, les enfantillages, misérable vermine, tonna tout à coup le Chevalier d’Argent de sa voix déformée par son casque, sans descendre de sa monture. Pour qui te prends-tu à me priver ainsi de l’Élue des Dieux ?

Encore ce surnom… réagit immédiatement Astrid, méfiante, tandis qu’elle serra avec plus de véhémence le corps frêle de Fileya contre sa poitrine. Laissez-la tranquille, c’est qu’un putain de bébé !

La jeune fille écarquilla légèrement les yeux, surprise par la facilité avec laquelle l’injure était sortie de sa bouche. Elle s’était pourtant bien retenue de ne pas employer d’insalubrités depuis qu’elle avait démarré ce voyage en compagnie de Yume et Fileya, de peur de passer pour une demoiselle trop rustre et mal élevée, elle qui avait d’habitude les gros mots faciles dans son Monde d’origine. Mais l’ambiance, ce soir, était si tendue, si angoissante, que les grossièretés s’échappaient naturellement de ses lèvres. Et les laisser sortir lui faisait un incroyable bien ! Il fallait dire aussi que ce Chevalier inconnu l’avait sincèrement poussée à bout dans ses retranchements. Malgré tout, Astrid ne s’en voulait pas de lui parler comme un chien. Après tout, il ne se gênait pas pour le faire, lui !

Je prévoyais de te laisser en vie si tu me remettais l’enfant sans discuter, informa le Chevalier d’Argent, d’une voix tout autant hostile, abaissant lentement sa main, signifiant que l’offre ne tenait définitivement plus. Visiblement, je vais devoir revoir ma stratégie.

Contrairement aux attentes d’Astrid, rien ne se passa. Du moins, en apparence seulement. Derrière son casque obsidienne, l’homme ferma les yeux. La jeune fille le comprit immédiatement quand elle vit la seule lueur dans les ténèbres s’évanouir lentement. Puis, il leva sa main recouverte d’un gant noir droit devant son interlocutrice, tous doigts écartés. Astrid serra les dents, prête à esquiver le premier assaut magique que le Chevalier d’Argent lui enverrait en pleine figure. Une fois encore, il ne se passa rien.

Tout à coup, Astrid ressentit une sensation désagréable. Le phénomène commença par des fourmillements dans la tête, comme à l’arrivée d’une migraine, avant d’avoir l’horrible impression que quelque chose ― une sorte de parasite indésirable ― venait d’entrer par l’une de ses oreilles, et se baladait maintenant dans son esprit ! Le ressenti était déplaisant, et le terme était un vrai euphémisme. La jeune fille essaya de se frotter l’arrière du crâne contre son épaule avec une grimace de dégoût pour tenter de se défaire de la démangeaison, mais rien ne semblait fonctionner. Il ne fallait guère plus de temps pour que toute la sensation désagréable se propageât à l’entier de son corps, l’empêchant d’effectuer le moindre mouvement, bien trop dérangée par cette présence importune. Astrid n’était plus qu’envahie par une seule envie : passer sous la douche pour se débarrasser du nuisible qui s’était insinué elle ne savait comment dans son esprit ! Elle en ressentait des sueurs froides dans le dos, et beaucoup, beaucoup, beaucoup d’inconfort.

Tiens ? réagit son interlocuteur casqué. Te tuer ne rimerait même pas à grand-chose. Je vais faire mieux que ça. Donne-moi ton Énergie Vitale. Tu me seras bien plus utile comme ça que morte.

Mon… s’étrangla Astrid, les yeux écarquillés de terreur.

Une réminiscence lui revint tout à coup l’esprit. Elle se souvenait des paroles de Fileya, celle de son époque, leur racontant qu’Iakyndy, avec ses pouvoirs de Mage, était capable d’extraire puis voler les énergies vitales des Gardiennes de Cristal. Le Chevalier d’Argent était-il réellement apte à en faire de même ?

Vous êtes… Un Mage… ? questionna la jeune fille, terrifiée.

Face à elle, le Chevalier d’Argent éclata d’un rire sans âme, pas vraiment amusé par ses propos. Cependant, cette profusion de rires suffit à lui faire réaliser qu’elle avait fait fausse route, et qu’elle avait sauté à une conclusion trop hâtive.

Tandis qu’elle sentait la présence indésirable se retirer lentement, Astrid fronça les sourcils, concentrée. Fileya et Yume lui avaient déjà parlé de ce phénomène, de quelqu’un capable de voler les Énergies Vitales, elle en était persuadée…

La réponse lui sauta tout à coup au visage comme le nez en plein milieu d’une figure.

Non… Impossible… Seven ?! éclata-t-elle, confuse.

Un nouveau rire ans entrain fusa de la gorge du Chevalier d’Argent. Cet éclat déstabilisa Astrid, qui déglutit de travers. S’était-elle de nouveau trompée ? Mais alors, si elle n’était pas face à Seven, qui était réellement cet ennemi, et que voulait-il à Fileya ?

Malgré toutes ses interrogations, une nouvelle, plus pressante, trouva son chemin parmi les pensées embrumées de la jeune fille. Un combat contre cet homme semblait inévitable, désormais qu’il lui barrait la route. Et maintenant qu’elle avait la certitude qu’il en avait après sa vie et celle de l’enfant qu’elle s’était fait un devoir de protéger, Astrid n’avait d’autre choix que d’essayer de se battre.

La brune cala comme elle le put Fileya dans le creux de son bras gauche, pour dégager sa main directrice. Puis, très discrètement, pour ne pas attirer l’attention de son adversaire, la jeune fille appela, depuis sa Réserve, une unique flèche. Maintenant que Yume lui avait expliqué comment faire, elle ne se privait pas pour s’en servir !

Sur sa gauche, un inquiétant craquement retentit.

J’ignore qui est ce « Seven » dont tu parles… reprit le Chevalier d’Argent, qui ne riait définitivement plus. Mais ce n’est pas moi. Bien qu’il va me falloir me forger une nouvelle identité… « Seven »… le septième frère malchanceux de la famille… Oui… C’est parfait…

Lentement, il dressa une nouvelle fois une main en direction d’Astrid. Pas d’intrusion magique, cette fois-ci, simplement une invitation à le rejoindre… Astrid fixa la paume tendue, dégoûtée.

Ce petit coup de pouce mérite bien une récompense, n’est-ce pas ?

Dans vos rêves ! s’écria la jeune fille, effrayée, mais qui tâchait de ne surtout pas le laisser s’en apercevoir. Je les connais, vos cadeaux ! Si c’est la vie éternelle en échange d’une infinie servitude, vous vous fourrez le doigt dans l’œil jusqu’au coude !

Sachant qu’elle n’aurait pas de plus merveilleuses occasions que celle-ci, Astrid joua le tout pour le tout.

Plus rapide que jamais, l’adrénaline prenant sans doute le dessus dans une situation aussi désespérée (quoique l’illusion de la Déesse pouvait bien y être pour quelque chose, aussi…), Astrid lança son unique flèche, avec toute la force de son bras, en direction de l’immeuble sur le point de s’écrouler. Quand le trait fendit les airs, la jeune fille bondit en arrière, pour se dégager du futur champ de ruines. Son attaque, pourtant simple, fit instantanément mouche. Le bâtiment, déjà fortement branlant, vit son espérance de vie amoindrie par les flammes se diriger encore plus rapidement vers la destruction. Il implosa sur lui-même, dans un frac de tous les diables.

Dans l’espoir de protéger Fileya, Astrid se recroquevilla sur elle-même alors qu’en s’écroulant, la bâtisse relâcha un puissant nuage de fumée grisâtre qui lui fit lâcher une violente quinte de toux, à en pleurer de douleur et lui broyer les côtes. La jeune fille n’attendit même pas que la brume de cendres et de poussière soit totalement retombée qu’elle se leva, malgré la toux, pour reprendre sa course, dans la direction opposée au Chevalier d’Argent.

Perdue dans l’immensité labyrinthique de la Cité des Invoqueurs ravagée par les flammes, Astrid fuyait et virait de rue en rue, de places désertes en places désertes, de ruelles sombres en ruelles sombres, dans l’espoir de dénicher un jour la sortie. La jeune fille avait l’affreuse sensation de tourner en rond, comme si cette ville n’avait pas de fin ! Il lui semblait que tout se ressemblait, qu’elle était déjà passée près de tel bâtiment écroulé sur lui-même, avait déjà tourné à tel angle de rue avec son lampadaire recroquevillé comme un acteur saluant son public en fin de représentation, dévoré par le brasier incessant. Mais, dans tout cet enfer, Astrid avait au moins de quoi se rassurer un petit peu : les hennissements et les sabots avaient cessé. Sa diversion improvisée avait, semble-t-il, bien fonctionné !

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