Chapitre 13.2 : Astrid

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Persuadée d’être en sécurité, la jeune fille s’autorisa un moment pour ralentir la cadence. Le souffle coupé par une respiration qui se faisait de plus en plus rare à cause tant de sa course que des émissions de carbones produites par la fumée, elle se retourna, pour dévisager la rue qu’elle venait d’emprunter, encore une fois, un peu au hasard. Celle-ci bifurquait légèrement plus loin, formant un angle droit presque parfait qui s’enfonçait dans les ténèbres. L’endroit était sincèrement sinistre, avec le ciel à moitié noir et orangé au-dessus de leur tête.

Dans ses bras, Fileya avait fini par se calmer. Un sourire tendre aux lèvres, Astrid effectua quelques pas en arrière pour s’éloigner, lentement, de son lieu d’arrivée. Elle voulut réaliser un volte-face pour reprendre un rythme de course plus paisible, mais sa tête rencontra tout à coup quelque chose de mou.

Ne s’attendant pas à un tel obstacle survenu de nulle part, la jeune fille tomba à terre, légèrement sonnée. Cette chute eut l’effet de réveiller les pleurs de l’enfant. Paniquée, de peur que Fileya ait subi des dégâts durant le heurt, Astrid plongea toute son attention sur elle. Fort heureusement, son corps ne présentait une fois encore miraculeusement aucune séquelle. Peut-être n’y avait-il eu simplement plus de peur que de mal.

Désormais qu’elle savait le poupon en sécurité, Astrid osa enfin lever les yeux sur l’obstacle qui l’avait empêchée de poursuivre sa route. Elle n’avait rien remarqué d’anormal quand elle s’était retournée pour la première fois, quand cette… chose… — peu importait ce qu’elle était — était apparue. Ses s’écarquillèrent de stupeur lorsqu’ils se posèrent sur la silhouette d’une grande femme au corps filiforme. Ses hanches et sa poitrine, enfermées dans une robe aux teintes sombres qui reflétaient les flammes autour d’elle, lui donnaient une allure de femme fatale, séductrice. Elle avait de longs cheveux noirs d’ébène, soyeux et brillants, qui tombaient en cascades dans son dos. Mais ce qui surprit davantage Astrid chez cette jeune femme fut sans doute cette peau toute faite de cristal. Elle avait l’horrible impression qu’une moindre pression, aussi infime puisse-t-elle être, aurait été capable de la briser en mille morceaux. Cette jeune femme était littéralement un joyau vivant !

Ses lèvres rouges charnues, cependant, n’exprimaient aucune émotion. Quand Astrid dressa ses yeux en direction des iris cristallins de la noiraude, elle déglutit de travers. Cette femme était terrifiante. Une lueur malsaine brillait dans le fond de ses pupilles si bleues qu’elles en semblaient presque blanches. Mais surtout, elle n’aimait pas la façon dont elle la regardait de haut. Avec du mépris. Il fallait dire que la vue en contre-plongée dont disposait Astrid n’arrangeait en rien ce sentiment d’infériorité.

Lentement, dans un silence angoissant où Astrid sentit son cœur battre la chamade jusque dans ses tempes, la jeune femme à la peau de cristal déplaça des iris en direction de Fileya, qui n’en cessait pas de bramer, avant de revenir sur la silhouette étendue au sol de la brune. L’inconnue demeura ainsi de longues secondes à la dévisager, sans qu’aucune émotion ne vienne trahir ses pensées.

Qui es-tu, toi ? questionna-t-elle d’une voix acerbe, sifflante. Et cette enfant… Pourquoi portes-tu l’Élue des Dieux ? Où comptais-tu l’emmener ? PARLE !!

La jeune femme amorça un geste dans la direction de Fileya, cherchant à s’en emparer. N’ayant aucune confiance en cet énergumène sorti de nulle part, Astrid gifla la main sertie de longs ongles noirs et brillants de son opposante dans le but de l’éloigner de son amie. Visiblement surprise par ce geste, l’inconnue laissa échapper un sifflement nasal. Mais ses yeux n’avaient pas arrêté d’exprimer autre chose que mépris envers la jeune archère.

Je vois, trancha-t-elle de sa voix de vipère. J’ignore qui tu es, et encore plus pourquoi tu te fais ridiculement passer pour l’Enfant aux Yeux Rouges. Même si… Une chose est sûre…

Elle plissa les yeux, devenue subitement méfiante. Puis, elle reprit, d’une voix grondante :

Tu ne devrais pas être ici. Mais, je n’ai que faire d’une usurpatrice.

La jeune femme à la peau de cristal haussa subitement les épaules. Son ton était devenu tout à coup plus léger, plus désinvolte. Mais ses paroles à l’encontre d’Astrid n’en restaient pas moins acerbes et tranchantes.

Pour être honnête, poursuivit-elle avec ironie, je t’aurai bien laissée partir. Tu n’es rien d’autre qu’une adolescente puérile qui s’amuse à jouer aux héros. Rentre chez toi, gamine, et laisse-moi l’enfant sans discuter.

Blessée par tant de paroles dégoulinantes de mépris, Astrid serra avec plus de fermeté Fileya dans ses bras. Certes, elle non plus ne comprenait pas encore pourquoi la Déesse l’avait choisie elle plutôt qu’un autre pour sauver son Royaume, mais elle devait ― non, elle voulait ― endosser ce rôle, pour prouver à tous qu’elle avait de la valeur, et qu’elle en était capable ! Et son premier acte en tant qu’héroïne serait de ne pas laisser son amie aux mains de l’ennemi.

Astrid parvint à se redresser sur ses jambes avec quelques difficultés, tout en prenant soin de ne pas heurter et faire tomber malencontreusement le bébé qu’elle tenait avec toujours autant de ferveur dans les bras. Une fois de nouveau sur ses pieds, la jeune fille recula d’un pas, prête à fuir.

Jamais ! s’écria-t-elle une fois debout, puisant dans le peu de courage qu’il lui restait. J’ignore pourquoi Fileya vous intéresse autant, mais laissez-la tranquille ! Et je sais aussi que tout ça n’est qu’une illusion, alors, vos paroles me touchent même pas, vieille peau !

Vieille… ! réagit immédiatement la jeune femme à la chevelure soyeuse, tout en portant une main meurtrie au niveau de son cœur, tandis qu’elle reculait d’un pas, comme touchée par un projectile.

L’expression de fausse stupéfaction qui s’était peinte sur son visage s’effaça rapidement pour laisser place à un masque d’hilarité. L’inconnue se crispa sur ses côtes, tandis qu’elle laissa échapper un rire hystérique, presque trop important pour ne pas être surjoué. Puis, une fois sa crise de rire passée, elle soupira longuement, tout en portant une main au niveau de sa tempe, comme désespérée.

Allez, cesse de jouer, tranche-t-elle, d’un ton soudain plus grave et menaçant.

La jeune femme tendit à nouveau sa main en direction d’Astrid, qui ne prit même pas la peine de baisser les yeux pour la dévisager.

Donne-moi l’enfant, j’ai dit !

JAMAIS ! s’époumona Astrid, les sourcils froncés de détermination, tandis qu’elle effectua un mouvement de recueil pour éloigner Fileya de cette femme hystérique.

La jeune fille, refusant de céder à ses avances, savait que sa seule option restait la fuite. Elle recula d’un pas, prête à en effectuer un autre pour recommencer à courir, quand quelque chose de lourd s’accrocha à sa cheville. Surprise, Astrid baissa des yeux interdits en direction de ses chaussures, tandis que la sensation de lourdeur vint bientôt s’accompagner d’une vague glaciale. Ses pieds étaient prisonniers dans de la glace. Rapidement, celle-ci commença à grimper le long des jambes de l’Enfant aux Yeux Rouges, qui tentait le tout pour le tout pour se dégager. Elle essaya de relever le pied avant qu’il ne soit trop tard, mais le sort qu’on lui avait lancé était bien plus puissant. Une fois encore, la jeune fille ragea contre son manque de préparation avant d’entrer dans cette épreuve ! Si seulement elle avait eu le temps de prendre quelques Sphères de Magie avec elle, elle aurait pu facilement faire fondre ce bloc gelé !

Astrid ne sentait déjà plus ses pieds. Elle avait l’affreux pressentiment que le moindre coup en direction de ses jambes suffirait pour l’atrophier !

Pour ne pas arranger les choses, Fileya poussa de nouveaux gémissements, comme si elle avait senti le danger dans lequel était coincée son amie. Tentant de la rassurer, Astrid se mit à la bercer, tout en lui chuchotant des paroles douces qu’elle ne croyait pas elle-même, mais rien ne semblait assez puissant pour calmer les pleurs craintifs du nourrisson.

Désespérée, et se sachant en mauvaise posture si elle ne faisait rien rapidement pour se sortir de ce guet-apens, la jeune fille fit apparaître depuis sa Réserve une autre flèche. Avec la pointe de celle-ci, elle tenta d’entailler la glace. Mais même le carreau n’effectuait pas la moindre fissure ! Pire encore, le trait ricochait sur le bloc gelé, pour finir par se briser en deux.

À l’arrière, la jeune femme à la peau de cristal poussa son rire le plus exagéré, depuis le fond de ses poumons. Astrid grinça des dents. Elle mourait d’envie, là de suite, de lui enfoncer ce qu’il lui restait de sa flèche dans sa petite gorge fragile ! Il fallait dire qu’avec les pleurs, les rires, la fumée, le brasier… Rien n’arrangeait son humeur massacrante !

Tu plaisantes, j’espère ? parvint à articuler la magicienne après ses crises de rires. Il faudrait plus qu’un simple carreau pour détruire la magie d’une Mage telle que moi !

Confuse par de tels propos, Astrid parvint à mettre en sourdine, pour quelques instants, son état de rage. Du mieux qu’elle put, elle pivota son buste en direction de son interlocutrice, qui la dévisageait avec une joie démentielle dans le fond de ses iris cristallins. Lentement, les pièces du puzzle s’imbriquaient dans le cerveau de la jeune fille, toute proche de la vérité.

« Mage… ? répéta-t-elle en son for intérieur. Avec une peau de cristal… Pourquoi… Elle me semble tout à coup si familière… ? »

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