Chapitre 14.1 : Astrid

7 minutes de lecture

Quand elle rouvrit les paupières, la première chose que fit Astrid fut de de prendre une immense gorgée d’air. Encore allongée dans l’un des sacs de couchage sans même savoir comment elle avait atterri ici, la jeune fille s’était agrippée fermement à ses couvertures. Ses yeux la démangeaient, et sa gorge la piquait, comme si elle avait réellement passé sa nuit à inhaler de la fumée. Lorsqu’elle passa une main sur son visage rondelet, la brune nota que, comme lors de son réveil à l’hôpital suite à son troisième rêve, elle avait pleuré dans son sommeil.

Encore paniquée par tous les tragiques événements qu’elle venait de subir, Astrid respirait avec difficulté, son cerveau repassant dans son esprit comme un film accéléré l’entier de son épreuve. Elle n’aurait su dire ce qu’elle avait trouvé le plus terrifiant dans cette illusion. La Cité en flammes ? Le regard du Chevalier d’Argent ? La Mage et son ton acerbe ? La version bébé de Fileya qui s’était découvert un côté démoniaque ? Sans doute un peu tout à la fois.

La jeune fille, tout en fermant puissamment les paupières, tenta de se calmer. L’entier de son être la faisait drôlement souffrir, surtout ses mollets, qui semblaient en feu et encore gonflés suite à l’effort important qu’elle avait effectué. Pour des illusions, les effets des épreuves sur leur corps et leur esprit étaient bien réels ! Chaque inspiration et expiration lui conférait un mal de chien, dans la poitrine notamment. Mais avait avait également l’impression que plus ses poumons s’emplissaient et se vidaient, plus ceux-ci se remplissaient à nouveau d’air pur, comme si une pompe évacuait tout le dioxyde de carbone de son organisme.

Quand elle rouvrit les yeux, Astrid fut curieusement soulagée de constater qu’elle ne rêvait pas. Elle était bien de retour dans la froideur de la Flèche de Cristal, véritable contraste avec les flammes infernales qui ravageaient la Cité des Invoqueurs.

Tournant timidement la tête sur sa droite car il lui semblait percevoir du mouvement, la jeune fille sentit son cœur bondir de joie en reconnaissant ses amis à ses côtés. Fileya, pleinement réveillée mais avec des yeux encore légèrement vitreux, peut-être émergeant elle aussi tout juste du sommeil, se trouvait enfermée entre un Thandon un peu trop proche d’elle et un Léterno en posture de garde du corps. Bras croisés sur son torse à moitié dénudé, le grand homme fixait de son unique œil les agissements douteux du jeune Buxihen, qui ne souffrait même pas de ce regard glacial.

Tâchant sans doute d’oublier la présence de ses deux compagnons masculins, Fileya mangeait, du bout des lèvres, les quelques baies sauvages ramassées par Léterno dans la Forêt de Cristal, un peu plus tôt dans la matinée. Heureusement que le samouraï errant, très prévoyant, avait eu l’idée d’en conserver plusieurs dans le sac sans fond des Falkies ! Même si les Herazons auraient été les fruits idéaux pour reprendre des forces, après les dures épreuves que trois d’entre eux avaient déjà menées.

Thandon, qui avait ramené son genou près de son torse, avait posé sa tête sur le pli de son articulation et le regard perdu sur les lèvres de Fileya, murmura, ses mots dépassant sa pensée :

T’es belle quand tu manges.

Visiblement surprise par cette déclaration sortie de nulle part, Fileya avala de travers sa baie sauvage. Mal à l’aise, la jeune fille écarquilla légèrement les yeux, tout en effectuant de discrets mouvements de bassins en direction du côté opposé à Thandon, pour marquer le plus possible de distance entre eux.

Astrid était désespérée par l’attitude du jeune garçon. Était-il aussi aveuglé par son amour pour la jeune Invoqueur pour ne pas avoir compris que Fileya répugnait l’idée même de se trouver trop proche de lui ? Ou bien était-il tout simplement sot ?

Cela faisait déjà un petit moment qu’Astrid les épiait, mais aucun des trois compagnons n’avait noté son réveil prompt. Pas même lorsqu’elle se redressa timidement sur son fessier pour chercher ses deux autres amis.

Face à elle, un feu de camp brûlait. Astrid plongea son regard dans les flammes, incertaine du sentiment qu’elle éprouvait à leur simple vue, bien qu’elle en soit éloignée. Plusieurs émotions se mélangeaient. D’abord, la surprise : comment un brasier pouvait-il évoluer dans un endroit comme celui-ci ? Avec de la magie, sans doute. Mais comment étaient-ils parvenus à se procurer du bois ? Puis, la terreur : quoique beaucoup moins impressionnant que les flammes qui avaient dévoré l’entier de la Cité des Invoqueur, le brasier ne faisait que remonter en elle de terribles souvenirs qu’elle aurait préféré oublier à jamais.

Tout proche des flammes, Yume, assis en tailleur, triturait les rondins carbonisés à l’aide d’une brindille. Son regard bleu lagon était posé quelque part dans les flammes, comme absent. Astrid se demanda bien quelles pouvaient être les pensées qui travaillaient son cerveau. Se pourrait-il que la vue du brasier lui rappelât, à lui aussi, d’horribles souvenirs liés à son épreuve ?

Accroupi à ses côtés, ses tout petits bras entourant ses genoux, Khomas admirait le jeune homme, des étoiles plein les yeux. Cette attention arracha un léger sourire à Astrid. Le petit garçon parlait à son aîné avec entrain, mais Yume, pas vraiment enclin à tenir la conversation, lui répondait par quelques marmonnements, comme agacé. La jeune fille soupira. Il n’était décidément pas prêt, lui non plus, à élever des enfants ! Cette minuscule pensée lui fit monter le rouge aux joues.

Tu pourrais au moins faire semblant de tenir la conversation, dit Astrid, d’humeur taquine.

Réalisant subitement qu’il connaissait la détentrice de cette voix, Yume leva promptement la tête en direction de la jeune fille, qui lui souriait de travers. Une once de vie reparut tout à coup dans le fond de ses iris déjà fortement brillants, tandis qu’il se redressait d’un bond agile, sous le regard étonné mais aussi déçu de Khomas, qui avait compris que son héros du jour venait définitivement de le laisser tomber.

À peine Astrid comprit-elle que le jeune homme se dirigeait dans sa direction que la silhouette de son compagnon se transforma en une masse blonde et noire indistincte. Avant qu’elle ne saisisse complètement ce qui allait suivre dans les secondes suivantes, la brune se retrouva subitement plaquée dans son sac de couchage par un véritable boulet de canon humain.

Astrid demeura de longues secondes allongée dans ses couvertures encore chaudes et humides de larmes et de transpiration, les yeux papillonnant pour recouvrer ses esprits. De nouveau connectée à la réalité des événements, la jeune fille sentit alors comme une pression au niveau de son abdomen, tandis qu’une brise tiède et agréable soufflait tout près de son visage. Aussitôt, ce ne fut pas seulement ses pommettes, mais bien l’entier de son faciès arrondi qui prit une teinte cramoisie.

Yume se trouvait juste au-dessus de son visage, leurs nez, à seulement quelques millimètres de l’un et de l’autre, se touchaient presque. Le jeune homme, le souffle lourd, se tenait très exactement par-dessus son corps à quatre pattes, les mains plaquées derrière la tête d’Astrid, dont la respiration s’était coupée de surprise. Mais ce qui la laissa peut-être le plus sans voix fut les larmes qui menaçaient de couler des yeux de son compagnon de voyage.

Gênés par ce rapprochement soudain et encore plus de se fixer ainsi dans les blancs des yeux sans savoir quoi se dire, les yeux rouge sang d’Astrid descendirent, lentement, sur son nez arrondi, avant de dévaler jusqu’à ses fines lèvres, entrouvertes pour rejeter son souffle circonspect, pour atterrir finalement sur le clou du spectacle. Lors de sa chute, le marcel que portait Yume sous son cardigan s’était abaissé, ce qui laissait apercevoir ses clavicules parfaitement dessinées.

Ce ne fut alors plus seulement son visage qui rougit, mais ses oreilles prirent exactement la même teinte, et même son cou commençait à virer au cramoisi. Il semblait à Astrid qu’elle ne parvenait plus à respirer, tandis que son cœur martelait dans sa poitrine à une vitesse folle. Son corps entier réagissait à leur rapprochement, jusqu’au point de trembler des épaules jusqu’aux orteils.

Désemparée, Astrid trouva la force de lever ses mains jusqu’à son visage pour venir cacher ses rougeurs, bien qu’elle savait que Yume avait dû les relever depuis un moment.

Tu peux… Tu pourrais… bafouilla-t-elle entre ses paumes, désarmée.

Une lueur de confusion se fit une place dans le regard azuré de Yume, tandis que ses sourcils blonds vinrent doucement se froncer sur son front. Puis, alors qu’il baissa les yeux sur le corps étendu de la jeune fille sous lui, le jeune homme sembla enfin réaliser la position pire que douteuse dans laquelle ils se tenaient. Il s’empressa donc de rouler sur le côté pour laisser à son amie plus d’intimité, tout en se redressant sur ses genoux. Malgré ses joues basanées, plusieurs petites tâches de rougeurs vinrent trouver leur place, son faciès devenu presque aussi rouge que celui d’Astrid. Yume se passa une main gênée sur le visage, tandis qu’il se confondit en excuses à peine audibles. Un calme plat était tombé sur la salle circulaire, que seul le crépitement des flammes au centre du camp improvisé venait perturber.

Hum… Je… bafouilla l’ancien Épéiste, avant de se racler la gorge pour retrouver contenance, un poing fermé près des lèvres. Content que t’es rien. T’es partie d’un coup, sans prévenir. On a tous eu peur. Pas vrai ?

Les mains plaquées sur ses cuisses, comme prêt à se donner de l’élan pour se redresser, Yume détourna son regard en direction de Fileya, pour ne plus avoir à supporter celui, encore emprunté, d’Astrid. Les iris bicolores de sa meilleure amie firent des aller et retour entre les silhouettes de ses deux compagnons de voyage, une expression éberluée ancrée sur son visage d’ange. La jeune Invoqueur, trop surprise par ce rapprochement impromptu, avait apposé une paume sur sa bouche.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Blanche Plume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0