Chapitre 6: Un mal grandissant

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Courrier personnel de Remo Vizza, aumônier local de la très sainte Inquisition des Sauveurs à l'intention du Saint Patriarche Raffaele Taddeo

Ce fut lors d’une soirée pluvieuse qu’un coursier de l’Eclesiarchie des Sauveurs rallia en toute hâte la ville sainte de Vedaliüm. Son précieux message récupéré il y a quelques semaines de ça, sous le couvert d’un vieil aqueduc bordant la ville de Fressons, lors d’une rencontre bien secrète.

Le rendez-vous avait été bref, comme souvent avec les membres de l’inquisition. Le cavalier se contenta de récupérer la sacoche et son précieux message auprès du contact local avant de reprendre la route pour rallier la ville d’or des patriarches, des "trinitaires" comme les surnommaient le petit peuple des royaumes centraux.

Le message fut ainsi porté jusqu’au bureau même d’un de ces grands prélats et Raffaele Taddeo prit son temps pour déballer de sa protection de cuir la dite missive. Par la lumière fluctuante des bougies qui garnissaient son meuble d'étude, il posa le fragile papier et put lire les longues lignes calligraphiées qui couraient sur le blanc jauni du document.

Votre Sainteté,

Je vous écris pour vous faire part de mes découvertes à Fressons. Vous m'aviez jadis dépêché dans cette ville pour avoir un homme de confiance sur place. Un membre de l’inquisition sur lequelle vous pouviez compter. Bien que je dois avouer que l’idée me paraissait saugrenue, ma vision des choses est à présent toute autre.

Il faut bien dire que je réalise pourquoi vous aviez agi avec sagesse : un danger nous guette dans cette ville. Je me suis, depuis deux ans, fondu dans la masse de nos frères et soeurs de l'Église, à Fressons. Cela ne fut pas simple, les moeurs et coutumes sont différentes dans ce pays, sans parler de la nourriture ! Les plats colorés de notre ville d’or de Vedaliüm me manquent bien, ici la gastronomie est à l’image de la société et des gens : elle est simple. Au début, je trouvais les institutions locales plus qu’efficaces et réceptives à la population. Je les trouvais pieuse et bienveillante, dans le droit chemin tracé par les Sauveurs. Je fus même étonné par les nombreux ordres monastiques présents dans la région, bien que chacun fonctionne en autarcie, j'ai pu voir des liens entre certains d’entre eux et l’Eidhöle de Fressons. Mon maître, l’Inquisiteur Velmond de Telègne, s'avérait être un homme juste et dévoué à sa tâche. Il m'assura que la corruption qui sévissait dans la capitale était sous contrôle et que l’Inquisition veillait au chemin pris par les ouailles de la foi des Trois.

Au cours de mon séjour, j’ai notamment pu rencontrer nos membres les plus éminents de la ville. J’ai fait la rencontre en personne de l’Eidhöle Britius. Il me paraissait être l’un des hommes les plus dévoués qui m'aient été possible de rencontrer.

Mais bien sûr je fus consterné de voir que ce n’était qu’une façade. Après m’avoir accueilli à bras ouverts, l’’Eidhöle m’a cru sous son emprise et m'a fait découvrir des branches cachées de l’Eclesiarchie local. Nombre de ses membres semblaient oeuvrer en secret. Il était alors de mon devoir de pousser des investigations pour le bien de notre bonne foi des Trois.

J’ai eu au cours des mois suivants à passer de nombreuses épreuves pour me montrer digne de la confiance de Britius. Il m'invita de plus en plus à ces rassemblements douteux. Quand j’eus enfin accompli l'étape finale de ce qu’ils osaient appeler la “renaissance”, j'appris les derniers détails qui m’étaient cachés jusque-là. Vous n’imaginez pas ma stupeur quand je vis Maître Velmont se tenir avec les disciples de Britius après ma “renaissance”.

La grande partie de nos représentants locaux était sous l’influence du culte, je n’avais maintenant plus de doute. Je suspectais d'ailleurs à présent les instances locales d'être aussi gangrenées par ce fléau. La ville que je croyais civilisée n’était qu’un ramassis d'hérétiques et de menteurs.

Le culte que nous avions cru à l’agonie renaissait de ses cendres et tenait Fressons sous sa coupe. Je n’ai donc plus le choix, je vous écris cette missive pour vous mettre en garde contre ce danger grandissant. Ici je suis entouré d'ennemis, je ne peux me fier à personne. Vous êtes mon dernier espoir, j’ai fait l’erreur de tenter de parler au roi. Sa fille, l’une des seules personnes saintes de la ville, m’a permis de l’approcher. Je lui ai fait part de mes craintes. Grâce au sceau que vous m'aviez confié, il m'a accordé sa confiance et a écouté attentivement mes dires. Deux jours plus tard, je fus attristé d’apprendre sa mort par cause “naturelle”.

Je vous le redis, vous êtes mon dernier espoir, Saint-Patriarche, je crois que les hérétiques m’ont démasqué et risquent bientôt de s’en prendre à moi. Je ne suis plus en sécurité à présent. Si le culte ose s’en prendre à la royauté, je n’ose imaginer ce qu’il pourrait me faire. Je…

La fin de la lettre était alors effacée, rendue illisible par endroit à cause de gouttes de sang qui s’y étaient imprégnées. Mais le Patriarche Taddeo avait nul besoin de plus de preuve pour comprendre ce qui se jouait au Corvin. Les jeux d’ombres étaient lancés et l’Eclesiarchie des Sauveurs ne pouvait rester sans agir. Comment les choses avaient pu tourner ainsi ? La situation était peut être déjà trop avancée. Il était peut-être déjà trop tard pour le Corvin…

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