Chapitre 7: L'honneur des nobles
Pierre d’Ambroise, place de joute royale à la Capitale Fressons
Le soleil était haut dans le ciel et rayonnait sur la ville de tous ses feux. Aucune brise ne soufflait dans les bannières, les petites gens qui s’étaient aventurées dans les lices attendaient debout dans une chaleur accablante. Le complexe d'arène était un imposant rassemblement de structures composites et variées. L’antique lice royale trônait au centre des lieux, venait ensuite une succession de terrains à l’importance moindre qui encerclaient cette arène principale. Le complexe qui était aussi vieux que le marbre du palais avait connu les affres du temps. La place de joute royale était assemblée de pierre et de bois de haute qualité, les arènes avoisinantes étaient quant à elles d’architectures variées, comparables aux taudis des pauvres pour certaines.
Celles-ci avaient vu le jour de nombreuses fois avant d'être remplacées par des copies plus grandes et plus jeunes. Le rang social était ainsi respecté même dans ce lieu de spectacle. Pour finir, une haute muraille encerclant le complexe permettait à la garde de maintenir un certain niveau d’ordre. Entre cette muraille et les lices s'étendait un espace couvert de marchands proposant rafraîchissements et autres denrées comestibles pour les visiteurs. La foule était plus bruyante qu'à l'accoutumée, les arènes étaient bondées cette année. Le tournoi royal annuel n’allait pas seulement faire office de spectacle mais bien servir de faire valoir pour le couronnement à venir. Les tribunes et barricades en bois délimitant les lices étaient remplies, l'événement avait fait grand bruit dans tout le royaume. Les joutes étaient le moyen pour les petites gens du cru de capturer un peu du faste royal, elles étaient aussi pour les combattants de tous horizons le moyen de s'élever socialement et d'être repéré par des seigneurs et chevaliers de haute importance.
Les pauvres gens qui avaient réussi à accéder à l'arène principale étaient entassés sur quelques rangées derrière les barricades. Ils avaient ainsi l'insigne honneur, voire la chance de pouvoir approcher les chevaliers et écuyers.
Un commerçant qui avait fait l’erreur de choisir ces places avait raillé l’un des chevaliers nordiens de la lice. Il fut rossé par un groupe de métayers qui ne voyait pas les choses comme lui. Derrière ces gradins se tenaient les places de la noblesse et des riches marchands. Ils étaient regroupés dans de somptueux gradins à l’abri du soleil et du mauvais temps. On pouvait retrouver toute sorte de personnes dans ces lieux. Les hautes familles nobles du royaume avaient bien sûr fait le déplacement, on y trouvait aussi de riches marchands locaux ou étrangers tentant de se faire bien voir par les hautes instances du royaume. Par endroit on pouvait même être surpris de croiser de lointains voyageurs attirés par la renommée des réjouissances proposées. Cet ensemble de personnes plus que varié s’agitait dans les gradins principaux. La famille royale et leurs invités étaient quant à eux, postés dans une grande loge principale au-dessus des autres spectateurs. Ils avaient ainsi une vue dégagée sur toute la foule grouillante qui remuait dans les gradins. Le héraut royal, tel un chef d'orchestre, ordonnait depuis ce promontoire et le tournoi battait son plein.
Pierre, qui avait maintenant dépassé la porte d’entrée principale, s'aventurait dans les étales marchandes. De nombreuses odeurs venaient chatouiller ses narines, les spectateurs qui se pressaient d’arriver aux lices étaient contenus dans de larges allées. Les commerçants s'époumonaient à présenter leurs produits, tentant de tirer profit de cet événement spécial. Pierre qui s’était laissé attirer par un marchand des lointaines terres du sud, avait acheté un sachet de fruits secs inconnus. Il tentait de se frayer un chemin à travers la foule compacte, il pouvait entendre au loin le son des cors et la clameur de la foule. Il se savait en retard, pressant le pas, il essayait de manger ses fruits tout en marchant d’un pas énergique. Esquivant les groupes de personnes, Pierre se dirigeait toujours plus en avant, il croisa alors une famille noble au grand complet. Celle-ci devait se rendre à l'arène royale pour concourir à la prochaine passe d’armes. Un fier cavalier ouvrait la marche. Ce dernier avait une certaine prestance dans son armure intégrale. Pierre en observant son blason, essayait de se creuser la mémoire pour retrouver leur nom.
Arborant le faciès d’un sanglier blanc sur fond bleu, il ne pouvait s’agir que de la famille Broges. Grande lignée du Bas Corvin, les Broges s’étaient illustrés lors des guerres avec les royaumes avoisinants. Le chevalier qui se frayait son chemin à travers la foule était suivi par une longue file. Page, écuyer et autres assistants accompagnaient le représentant de leurs maisons. Ce brave chevalier allait sûrement tenter de faire honneur à son nom et à sa famille. Pierre sauta alors sur l’occasion et progressa en suivant le groupe à la trace. Le jeune homme, excité par les festivités, éprouvait une certaine jalousie : c’était son frère Eudric qui allait représenter la famille pour l’ouverture du tournoi. Son père l’avait averti après le départ de Charles. Pierre comptait bien se faire voir dans la compétition durant les jours qui allaient suivre.
À présent qu'il progressait à la suite des Broges, Pierre se trouvait maintenant à portée de la lice principale. Les lieux étaient immenses, cela lui rappela les grandes arènes impériales que Corbius lui avait montrées dans les vieux écrits. Pierre ne se laissa cependant pas distraire, il ne pouvait se permettre d'être trop en retard. Bien qu’on lui avait refusé la participation aux joutes d’ouvertures, il était équipé de protections et arborait les armoiries de sa famille. Il avait le choix entre rejoindre son père dans la tribune royale ou rejoindre son frère. Il avait bien sûr sauté sur la seconde occasion et s’acheminait tranquillement vers les nombreuses tentes à côté de l'arène. Il cherchait alors le drapeau familial à travers la forêt de fanions qui trônaient au-dessus des tentes. Les couleurs du royaume envahissaient les lieux, le bleu et le blanc étaient mis à l’honneur. Il ne fallut pas longtemps à Pierre pour repérer au loin l’ours d’Ambroise. La bannière familiale était à portée, il se dirigea alors vers la tente qui devait abriter son frère à présent. Il imaginait bien la pression que devait ressentir Eudric. Son passage allait bientôt avoir lieu et on pouvait entendre de manière distincte les lances se briser au loin et les clameurs de la foule qui en résultaient.
Pierre et son frère n’avaient jamais participé à un événement aussi important. Bien sûr, en tant que nobles, ils étaient rompus à l'art du combat et de la joute. Pierre avait déjà une petite expérience de la chose, il avait participé à quelques tournois dans le Nord. Eudric, quant à lui, n’avait disputé qu’une ou deux compétitions, Durand, devait sûrement mettre le cadet de la famille à l’épreuve et cela fit sourire Pierre. Même lui était stressé par l’importance de l'événement. La majorité des grandes maisons du royaume étaient présentes. L’honneur de la famille d’Ambroise reposait maintenant sur les épaules de Pierre et d’Eudric.L Le jeune homme pouvait sentir ce poid peser lourd sur ses épaules.
Le jeune Ambroise, maintenant proche de la tente, pouvait reconnaître des visages amicaux qui s'affairaient tout autour de lui. Des hommes d’armes de la famille encadraient la tente, le jeune page de Pierre était présent et ne tarda pas à saluer son maître. Forgerons et artisans qui avaient fait le voyage se dépêchaient de peaufiner les derniers préparatifs.
Pierre saluait les hommes d’armes à son approche, échangeant amabilités et courtoisies avec eux. Il pénétra dans la tente. Les lieux étaient emplis d’une certaine force, le stress régnait et Pierre pouvait apercevoir Eudric être âpreté. Il avait fière allure, le jeune homme souriant et blagueur avait laissé place à un chevalier concentré et résolu. Eudric, l'ayant vu entrer, lui adressa un dernier regards avant de la plonger dans son casque et d'être entièrement armé.
Pierre ne pouvait qu’admirer la prestance de l’épaisse armure de plates. Il se décala alors de l’entrée et entrouvrit les pans de la tente. Eudric, suivi de son cortège, se dirigea vers sa monture. Le personnel de la famille présent ne manqua pas l'occasion de le saluer et de l'encourager lors de son passage. L’écuyer de leur père était présent et portait la grande bannière familiale. Le groupe d’Ambroise se forma donc et la procession se mit en marche.
Les hommes de la maisonnée avaient fière allure dans leur style du nord. Ils étaient salués en chemin par les diverses familles concurrentes.
Pierre cheminait alors derrière le cheval d’Eudric, à la gauche du maître d'armes familial. Quand le groupe se trouva à portée de la lice, des cors se firent entendre. La clameur de la foule se fit alors invasive et Pierre fut ébloui par les lieux et la force de la foule. Un grand tableau trônait au côté opposé de la loge royale, les écus des grandes familles y étaient répartis dans une sorte de construction pyramidale. L’un des hommes d’armes de la famille portait un écu aux armoiries d‘Ambroise, il se sépara alors du groupe et l’apporta à ce qui s'apparentait à un rassemblement de juges. Le groupe de Pierre avait fait irruption en grande pompe par le côté nord de l'arène. Un second son de cors se fit entendre et la foule comme hystérique accompagna la venue d’un groupe à l’opposé de Pierre.
Ce dernier, les yeux plissés, pouvait reconnaître les armoiries du groupe qui avait fait irruption.
Il s’agissait de l’auguste famille Lamognes, leurs écus présentaient deux soleils sur un fond fendu de couleur bleu et blanc. Les deux groupes se faisaient alors face à distance respectueuse.
Un orchestre était présent dans la plèbe des gradins inférieurs. La musique retentit de plus belle et l'hystérie collective qui avait pris la foule ne faisait qu'augmenter. Les voix des spectateurs rendaient les lieux inaudibles pour les participants. Les deux cavaliers qui allaient s’affronter marchèrent pour se faire connaître par la foule. S’avançant d’une cadence légère, ils se dirigèrent vers le centre de la lice. Manoeuvrant habilement leurs chevaux, les deux cavaliers se mirent face à la tribune royale. Le héraut que Pierre arrivait à discerner au loin fit un signe de main et les cors se firent à nouveau entendre. Un calme presque surnaturel emplit les lieux, le héraut s'éclaircit la voix et présenta les deux chevaliers d’un ton clair et audible. Salués chacun à leur tour, les chevaliers remercièrent la foule et les occupants de la tribune royale.
Quand il eut fini de parler, le héraut fit un nouveau geste et les puissants sons musicaux retentirent pour la dernière fois de la matinée.
De nombreux chevaliers étaient déjà hors course et la pyramide d’écus présentant le classement était bien fournie. Après que les chevaliers eurent rejoint leur camp respectif, la clameur de la foule reprit. Eudric, maintenant de retour avec ses hommes, s'équipa de ses armes. Un homme lui mit en place son lourd bouclier et l'écuyer de leur père lui donna sa longue lance de joute.
Pierre était excité. Il se tenait à présent accoudé à la barricade de la lice et mangeait rapidement ses derniers fruits. Il observait son frère et son adversaire saluer la foule dans un tour de chauffe. Pierre, qui était maintenant concentré, fut tiré de ses observations quand une personne s'accouda près de lui. Tournant la tête il put observer l’arrivant, il ne lui fallut pas longtemps pour reconnaître Charles. Celui-ci était transpirant et arborait une tenue de protection comparable à celle de Pierre.
— Alors Pierre, pas trop triste de ne pas ouvrir les hostilités ?! commença Charles avec un ton bien ironique.
Pierre, rieur, lui tendit son paquet de fruits.
— Tu sais, je crois que j’aurais assez de temps pour montrer ma valeur et te botter les fesses.
Charles, qui s’était alors écarté de la barrière, picorait quelques fruits.
— On tirera ça au clair. En tout cas, si Eudric parvient à gagner je l'affronterai demain. Ma passe de ce matin ne fut qu’une formalité, dit-il en s'éloignant.
Cependant l’adversaire du jour semblait être un homme d'expérience et cela fit douter Pierre.
Les deux cavaliers se faisaient maintenant face. La tension était palpable. Pierre se concentra à nouveau sur la piste de la lice.
Les drapeaux tenus par les juges se baissèrent et, réagissant comme un seul homme, les deux cavaliers mirent en branle leur cheval par de puissants coups d’éperons. Se trouvant proche de la piste, Pierre sentait le sol trembler. Les cavaliers se dirigèrent alors inexorablement l’un vers l’autre. Le premier choc fut brutal. Étonné, Pierre pouvait voir qu’Eudric avait touché son adversaire tandis que la lance adverse avait glissé sur le bord de son écu.
En voyant cela, Pierre tendit le bras en signe de victoire. Eudric avait marqué les esprits et les premiers points. La foule l’acclamait, cependant il ne devait pas se déconcentrer un seul instant. La joute était une activité difficile et dangereuse. Eudric, qui changea sa lance, se mit à nouveau en position et s’activa à l'abaissement du drapeau. Cette fois, la passe fut tout autre. Les deux hommes, touchant leur cible, manquèrent de tomber à l’impact.
Stressé sur le bord du terrain, Pierre arrivait de moins en moins à contenir son impatience. Les passes se succédèrent et Pierre fut étonné par Eudric qui semblait tenir la distance. Cavalant maintenant en tête avec une légère avance, Eudric s'apprêtait à faire sa dernière tentative. D’après les règles, si Eudric ne tombait pas durant ce dernier échange, il gagnait grâce au score. Les deux cavaliers s’élancèrent donc l’un sur l’autre. Le contact fut d’une extrême violence. Eudric, qui reçut la lance juste au-dessus de l’écu, ressentit l’impact dans son intégralité et manqua de tomber. Il tenait sur son cheval, couché et meurtri, mais il était vainqueur.
Pierre, en joie, se dirigea vers l’un des hommes d’armes qu’il connaissait bien. Celui-ci lui tendit alors une outre remplie de vin. Le jeune Ambroise comptait bien féliciter son frère comme il le devait.
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