Chapitre 13: Rencontres et mésaventure
Pierre d’Ambroise, Palais royal de la famille Corvinus, hauteurs de la ville de Fressons
La soirée avait fait place à un temps maussade. Les lourds nuages de grisaille recouvraient le ciel à perte de vue. La pluie qui se faisait maintenant battante rinçait abondamment la ville de Fressons. Pierre pouvait voir de sa hauteur de nombreuses torches s'affoler en contrebas, les familles du royaume étaient venues en nombre. Tel un ballet incessant, leurs arrivées rythmaient le claquement de la pluie sur la vitre. Les gouttes de pluie frappaient les carreaux avec une rapidité de plus en plus soutenue. Le jeune seigneur qui se tenait dans une alcôve du palais était assis sur un espace en bois aménagé. Il observait à travers la fenêtre à meneau sur lequel il s'appuyait. Le renfoncement dans la muraille qui était tout de même important comportait une épaisse fenêtre décorée aux fleurs sculptées dans le marbre. Ce lieu où se tenait Pierre était faiblement éclairé par une bougie. Bien que les épaisses fenêtres soient fermées, la flamme vacillante faisait des va-et-vient sur sa mèche qui ne demandait qu'à s'éteindre. Une partie de la lumière se reflétait sur le verre de vin, qu'il avait posé non loin.
Sur le côté opposé de la fenêtre où se trouvait Pierre se tenait un relief peint à même le mur. De par la lumière lancinante de la bougie, il pouvait déceler un chevalier en armure qui faisait la cour à une dame. Se prenant à sourire, il observait le dessin avec un amusement certain. Pierre aurait pu être ce chevalier si le tournoi avait été sien. Comme arraché à ses pensées, il entendit une voix l'appeler. La voix indistincte au début se fit claire quand Pierre se concentra sur l'arrivante. Elle lui adressa un salut distingué. Le jeune seigneur lui rendant la politesse put alors la reconnaître. Il s'agissait de dame Adela Cresso, richement habillée elle était plus que ravissante dans ses habits. Ses longs cheveux bruns qui partaient vers l'arrière de sa tête étaient en partie tressés et faisaient le tour du sommet de son crâne telle une couronne. Son visage rond et jeune arborait un teint froid coupé par des yeux verts saillants d'une grande clarté. Sa bouche expressive était surmontée par un nez court finissant son visage amical. Adela portait une robe richement décorée et fournie en lin. Elle comprenait des broderies et applications dorées qui dansaient sur le tissu bleu. Elle portait, par-dessus sa robe, un surcot aux couleurs de sa famille. Un lièvre d'or trônait sur un écu tranché de blanc et bleu.
— Alors chevalier, il semblerait que mes faveurs lors de ce tournoi ne vous aient guère porté chance , commença Adela d'une voix claire.
Souriant à son interlocutrice, Pierre continua d'une voix normale mais assurée.
— Je vous assure, ma Dame, que ma défaite n'a rien avoir avec vos faveurs. J'ai seulement affronté un adversaire plus fort et fait preuve de moins de précautions que lui ; finit-il avant d'ajouter : je dois dire que je ne m'attendais pas à ce que vous m'accordiez vos grâces, ma Dame.
Souriante Adela continua.
— Et moi, je dois dire que le nombre de combattants étant restreint, donner sa lance est donc une marque de respect et je ne voulais point vous offenser, continua-t-elle en montrant d'un signe de tête la partie opposée de la fenêtre où se tenait Pierre. Puis-je m'asseoir et vous tenir compagnie, chevalier?
— Bien entendu, répondit Pierre en acquiesçant.
Adela se dirigea alors vers la fenêtre avec le peu d'agilité que lui donnait sa robe. Tous deux se tenaient ainsi dans les parties sculptées du mur qui offraient des chaises pour les occupants du Palais. Ils étaient séparés par une petite partie ressortant du mur qui proposait une espèce de table en pierre où trônait la bougie. Se regardant quelques minutes sans un mot, les deux interlocuteurs se sourirent l'un à l'autre avant que Pierre reprenne la discussion.
— Je dois dire, ma Dame, que ça fait un certain temps que nous ne nous sommes pas vus, dit-il d'un air amical.
— En effet Pierre, mais appelez-moi Adela. Nous n'avons pas besoin d'autant de cérémonie , nous sommes jeunes et nous nous sommes déjà croisés ; continua-t-elle, amusée en voyant le sourire gêné de Pierre.
— Très bien, Adela, si c'est votre souhait. Il faut avouer que parmi la foule de nobles, vous êtes la seule dame que je connaisse quelque peu et ce fut donc un soulagement de vous voir.
— Soulagement partagé, Pierre. Je ne vous avais d'ailleurs pas reconnu au début, dans votre grande armure, mais votre écu m'était familier ainsi que votre courtoisie, continua-t-elle. Puis-je si vous n'y voyez d'objections, finit-elle en indiquant le verre de Pierre.
Acquiesçant il le lui laissa volontiers, il avait pris ce verre à l'entrée plus par obligation que pour autre chose.
— Merci bien, dit-elle en le saisissant. Je dois bien vous avouer que je ne suis guère encline à participer à de telles soirées, je vais bien avoir besoin de ce remontant. Je vous ai aidé durant votre tournoi, à présent Pierre c'est à votre tour de m'aider, m'accompagneriez-vous au banquet ? Si vous acceptiez, vous me rendriez un grand service.
— S'il n'y a que ça pour vous faire plaisir, Adela, ce sera avec joie, dit Pierre en se levant.
Adela fit de même et tous deux quittèrent la sécurité relative de la fenêtre pour s'aventurer dans les festivités. Adela tenait Pierre par le bras avec son mantel et de l'autre tenait son verre. Les couloirs où ils s'aventurèrent tous deux étaient richement décorés, des trophées étaient disposés ici et là et d'antiques armures ouvragées ornaient à intervalles réguliers les murs. Avançant de manière assurée tous deux marchèrent dans les couloirs durant un long moment, n’ayant nul besoin de mots pour se comprendre, ils appréciaient simplement les fastueuses décorations et la présence de l’un l’autre.
⁂
Après avoir déambulé dans le palais, Pierre se trouva enfin face à la porte de la salle du banquet. Les festivités étaient déjà bien engagées, plus Pierre avançait plus la musique et les voix se firent entendre. La grande porte à double battant de la salle imposante par ses dimensions était encadrée sur chacun de ses côtés par des gardes en armures complètes. Drapés dans des capes violettes, les hommes qui montaient la garde étaient lourdement équipés. Pierre n'était pas étonné de leur présence, durant son séjour, il était devenu monnaie courante de les croiser à tel point qu'il pouvait les voir aussi souvent que la garde de la ville. Le jeune Ambroise, qui s'engouffrait à présent à travers l'imposante porte, était toujours accompagné d'Adela. Une masse grouillante était déjà agglutinée dans cette endroit festif. Nobles et bourgeois illustres siégeaient en grand nombre dans les través de sièges et tables, les domestiques royaux tournaient sans interruption, servant boissons et victuailles aux invités de la couronne. Pierre, qui cheminait à présent parmi les convives, fut surpris quand Eudric apparut furtivement par son côté pour le saluer comme lui seul savait faire. Donnant une tape amicale à son frère, il sourit de manière conviviale à l'invitée de Pierre.
— Alors mon frère tu te fais attendre, cela n'est guère dans tes habitudes, commença-t-il.
— Ha, Eudric, si ce genre de réjouissance te va, ce n'est pas mon cas. Tu devrais remercier Adela pour m'avoir accompagné, ou plutôt dirais-je forcé la main, renchérit Pierre.
— Alors je vous dois des remerciements, ma Dame, dit Eudric en saluant Adela de la tête.
— Votre frère m'a surtout accompagnée, car de nous deux, je ne sais lequel voulait le plus rester loin de ce banquet pompeux, dit Adela avant de continuer. C'est toujours un plaisir de vous voir, Eudric ; dit-elle en se tournant vers Pierre. Je vais vous laisser, vous êtes entre de bonnes mains, je suppose.
— Un plaisir Adela, dit Pierre en la saluant tandis que la dame se fondait dans la masse de convives.
— Toujours plein de ressources à ce que je vois ; dit Eudric avant d'emmener son frère. Père et mère sont arrivés tôt, ils sont déjà en place. Viens, suis-moi.
Pierre ne reconnaissait que peu de visages dans la populeuse assemblée. Les nobles du Bas Corvin s'étaient déplacés en grand nombre et étaient presque aussi nombreux que leurs homologues nordistes. De mémoire, Pierre ne se souvenait pas d'un tel festin réunissant autant de nobles du nord et du sud. La situation exceptionnelle engendrait des événements aussi spéciaux. Cela ajoutait une certaine démesure au banquet qui allait avoir lieu. Pierre se faufilait parmi les invités, suivant Eudric de loin. Se déplaçant telles des anguilles dans l'eau, ils remontaient tous deux le flux d'invités pour rejoindre les bancs et tables au centre de l'imposante pièce.
Cherchant ses parents du regard, Pierre continuait de surveiller son frère en tentant de ne pas se laisser distancer. La salle de réception était d'une taille comparable à la démesure du palais. Richement agencés, de nombreuses tables et bancs prenaient la majorité de la salle. Eudric qui avaient trouvé le reste de la famille s'asseyait avec eux dans le coin Est de la salle. Prenant place face à ses parents Pierre jouxtait un long balcon ayant vue sur la capitale. À présent à la longue table de bois où se tenaient ses parents, il pouvait prendre conscience des lieux. La salle avait été décorée pour l'occasion. En plus des tables qui s'étendaient en son centre, une place d'honneur avait été donnée à la famille royale. Leur tablée trônait sur un promontoire au coin nord, la princesse et son demi-frère étaient présents et prenaient un certain plaisir à l'évènement. Près d'eux se tenaient Léonard et l'Eidhöle pris, quant à eux, dans d'âpres discussions sûrement autour de politique.
Détournant le regard, Pierre observa les hauteurs de la salle. Le plafond rehaussé permettait à des balcons de jouxter les hauteurs de cette dernière. L'un d'eux était occupé par des bardes et autres musiciens qui s'appliquaient à divertir la foule de leur talent musical. Les bords de la pièce comprenaient de longues colonnes s'étirant jusqu'au plafond. Celui-ci était chargé de nombreuses bannières et de grands chandeliers qui dominaient l'assemblée. Les rires et les discussions fusaient en tous sens. Pierre, qui à présent commençait à boire quelques gorgées de vin, observait son père et son frère s'engager dans une discussion agitée.
Eudric, au bout d'un moment, se leva prestement et quitta la salle. Le regard de Durand le fixait jusqu'à la disparition de celui-ci. Croisant le regard de son père, Pierre tentait avec peu de réussite de comprendre les tenants et aboutissants de la conversation. Durand avait sûrement réprimandé son cadet en qui il avait peut-être placé trop d'espoir durant le tournoi. Pierre se tourna vers la tablée royale quand la musique cessa brusquement. Croisant le regard de sa mère, il lui sourit avant de fixer l'homme qui s'apprêtait à prendre parole.
Tentant de se faire entendre, Léonard se tenait debout en s'adressant à l'assemblée. Les nobles qui l'imitaient ne se firent pas prier pour prendre place à leurs tables. La voix que percevait Pierre parmi le brouhaha ambiant se fit de plus en plus claire.
— Mes seigneurs... Mes seigneurs ! Mes Dames je vous remercie pour votre présence à ce banquet. Ces dernières années, notre royaume n'a pas vu un rassemblement aussi important et pour cela je vous remercie.
Les invités lui répondirent prestement par des applaudissements ou par des coups portés sur la table.
— Cependant, continua-t-il en tentant de hausser la voix. Cependant ! Nous sommes ainsi rassemblés pour commémorer la mort de notre cher roi, que les Sauveurs le gardent, dit-il en faisait un geste sacré accompagné par l'assemblée. Mon Oncle étant mort, il laisse le royaume sans héritiers légitimes de premier ordre. Sa fille n'a pas d'enfant en âge et son frère bâtard n'a aucun droit sur la couronne.
Les paroles de Léonard commençaient à électriser la foule de nobles, qui pour la moitié ne savait pas quoi penser de ce discours. La princesse, nerveuse, chuchotait à l'oreille de son demi-frère tandis que Britius, l'Eidhöle lui souriait en écoutant Léonard.
— Mes amis, reprit Léonard. Mes compatriotes, vous savez que la loi ne permet pas à Anaïs de prendre la couronne et je ne permettrai pas à un bâtard, un sang mêlé, de prendre également possession de cette dernière. Vous autres, seigneurs du Bas-Corvin manigancez dans l'ombre pour offrir la couronne à la princesse mais cela ne se peut, continua-t-il en prenant un instant de repos. Je ne laisserais pas cela arriver.
Leonard sortit un bandeau noir de sa poche pour le mettre à son bras avant de reprendre.
— Compatriotes, protecteurs de notre royaume rejoignez moi pour stopper une telle infamie.
À ces derniers mots, de nombreux nobles sortirent à leur tour des bandeaux noirs, mais pas seulement. Ils sortirent des armes dissimulées et alors le monde autour de Pierre changea en un instant.
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