Chapitre 27:Une nuit au monastère
Pierre d’Ambroise, route de la région de Cologneux
Le groupe de l’inquisiteur avait plié bagage et s’était mis en marche dès les premières lueurs de l’aube. Le temps était compté et les hommes de Kreisth agissaient en conséquence. Efficaces et appliqués, ils avaient préparé la troupe pour le trajet jusqu'à l’emplacement où résidait l’autre moitié des acolytes de l’inquisiteur. Formant une colonne, Kreisth avait prêté deux montures à Pierre et Lise. La jeune sorcière, n’ayant jamais monté de cheval, fut aidée par Pierre qui lui montra comment guider sa monture, non sans peine. La jeune femme ne parla pas durant le trajet et Pierre respecta son silence. Elle avait enduré beaucoup en peu de temps. La nuit précédente, avant de s’endormir, elle s’était confiée à lui à propos de la raison de son retour. Triste pour la parente de Lise, le jeune seigneur avait fait de son mieux pour la réconforter. Ce genre de nouvelle lui semblait bien familière à présent. La matinée fut plutôt clémente et la pluie épargna la colonne en marche.
Aux alentours de midi, la troupe fit halte et les deux jeunes gens partagèrent un repas avec Kreisth qui agissait normalement avec la sorcière malgré son rôle. Toujours par souci de temps, la halte fut courte et le trajet reprit de plus belle. Observant les alentours, Pierre écoutait les quelques discussions des hommes de l’inquisiteur. Échangeant des regards avec Lise de temps à autre, il pouvait sentir une certaine animosité en elle. Peu de sorcières avaient dû voyager en compagnie de l’inquisition, du moins pas en étant libres.
Le trajet de l'après-midi ne baissa pas en rythme et la troupe n'épargna pas les montures. Ils arrivèrent à la lisière du chemin forestier qu’ils avaient parcouru durant tout l'après-midi.
Si les lieux étaient assez sauvages, un imposant complexe de bâtiments se dessinait petit à petit en face de Pierre. L'ensemble de bâtisses qui composaient le monastère était assemblé comme la plupart des édifices religieux du Corvin, en épaisses pierres de taille. La partie qui se trouvait en face du groupe était partiellement effondrée et le jeune seigneur pouvait apercevoir le cloître au centre des lieux. L'église qui dominait les autres bâtiments était dans le même état de dégradation. Le toit était effondré et la plupart des antiques vitraux étaient brisés. La végétation grimpante envahissait les pierres des édifices et la nature semblait reprendre possession de l’endroit.
L’un des hommes en tête de la troupe siffla et des figures s urgirent des bâtiments en ruine. La troupe se dirigea en file indienne à l'intérieur des lieux. Les combattants présents saluèrent leurs camarades et les chevaux furent attachés dans le jardin broussailleux qui avait jadis tenu office de cloître. Après avoir mis pied à terre, Pierre put enfin s'étirer. Son repos ne fut cependant qu’illusoire. L’un des hommes qui avaient séjourné dans les lieux parlait avec l’inquisiteur. Ce dernier tourna la tête vers les deux jeunes gens et leur fit signe d’approcher.
— Bon, maintenant que nous sommes arrivés, il va falloir établir notre plan pour le sabbat. Mes hommes vont vous désigner deux endroits où dormir plus tard, mais en attendant nous avons du travail.
L’inquisiteur, de sa démarche rapide, quitta la cour du monastère et, suivi des deux jeunes gens, se dirigea vers l'antique bâtiment. Les vieux couloirs à l'aspect lugubre étaient éclairés par la lumière des braseros. De temps à autre des hommes de l'inquisiteur saluaient les arrivants. Après avoir passé de vieilles portes au bois pourrissant et des escaliers interminables, l’inquisiteur s'arrêta alors derrière l’homme qui les avait accueillis. Ce dernier, qui les avait guidés à travers le dédale de couloirs, fit signe à des hommes en faction. Les deux acolytes poussèrent la lourde porte de la salle commune.
Suivant l’inquisiteur et son second, le groupe déboucha dans une vaste salle. La charpente était somme toute épargnée en comparaison des autres bâtisses. Le toit ne déplorait que quelques trous et les vieux lustres à bougies se balançaient, accrochés aux épaisses poutres de la construction. L'endroit grouillait d’activité. De nombreuses caisses, tonneaux et autres contenants grignotaient l'espace de la salle. Les hommes de l’inquisiteur sortaient armes, munitions et rations. Au centre de la pièce se tenait un ensemble de tables, chaises et braseros. Kreisth et son second naviguèrent alors dans la salle en direction du centre.
Observant les lieux, Pierre conclut que l’endroit devait être le quartier général de l’inquisiteur. Le jeune homme s’approcha des tables et put voir de nombreuses cartes ou listes recouvrir le dessus des tables. Kreisth échangait avec son second, l’inquisiteur montrait des zones sur une carte de la table centrale. Relevant la tête face aux deux jeunes, l'inquisiteur les invita à s'approcher. Pierre observait la carte représentant la région, il fut le premier des deux à parler en regardant un coin entouré sur la carte.
— C'est l’endroit où aura lieu la cérémonie, commença Pierre alors qu'il pointait l'emplacement sur la carte.
— Tout à fait, jeune d'Ambroise, mon capitaine que voici a fait dépêcher des hommes sur place pour observer les lieux. Les covens semblent préparer avec soin leur sabbat.
— Mes deux hommes, commença le second de Kreisth, sont sur place en observation et ont préparé notre venue. Les sorcières vont commencer leur cérémonie la nuit prochaine, ce qui nous laisse peu de temps. J’ai fait venir le plus grand nombre d’hommes possible, mais si le culte envoie des renforts, cela pourrait nous poser un problème.
— Bon, dit Kreisth en coupant l'exposé de son acolyte. Maintenant que vous êtes au fait de tout ça, je dois à nouveau être sûr d’une chose. Si nous voulons avoir la moindre chance, il faut que la fille nous occulte durant notre approche de la cérémonie. Le promets-tu, sorcière ?
La discussion s'envenimait et Kreisth fixait Lise en attendant sa réponse.
— Si vous m'assurez un sauf-conduit jusqu'au sud avec Pierre, je le promets.
— Très bien, nous avons un accord.
— Alors, faites bien attention à l'honorer.
— Vous de même, sorcière. Bon, on va vous indiquer des chambres à peu près en état. Sur ce, bonne soirée, et dormez bien. La prochaine nuit s'annonce mouvementée.
Pierre et Lise suivirent leur guide. Celui-ci les emmena dans la partie habitable des lieux. Éclairée et gardée, elle était composée de nombreuses chambres de moines aussi appelées “cellules”. Pierre prit quartier au fond du couloir et Lise, elle, prit une cellule un peu plus loin. Pierre, qui s’était alors couché dans ses quartiers, eut du mal à trouver le sommeil. Ressassant les informations dont il disposait, le jeune homme n’arrivait pas à se rassurer quant à la future tournure des choses. Il abandonnait donc ses idées et sombra finalement dans un sommeil lourd.
⁂
Pierre se savait endormi, plongé dans un état de rêve éveillé. Il se voyait dans les plaines du Nord aux côtés de son père. Tantôt ils chassaient, tantôt ils voyageaient. Ce rêve lui procurait un certain bonheur, bien qu’il eût conscience de la présente mort de son paternel. Le rêve joyeux tourna cependant bien vite. Au début, cela commença par une voix étouffée et lointaine, un murmure. Puis, il entendit la voix prendre un aspect plus claire. Pierre se concentra et reconnut alors celle de Lise. Ce fut son propre nom qu’elle semblait appeler.
Le jeune homme qui ouvrit les yeux ne bougea pas, des gouttes de sueur froide perlaient de son front. Fouillant silencieusement sous son oreiller, il sortit une dague. Pierre agrippa la courte lame. Il réfléchit à ce qui venait d’arriver. Lise avait déjà utilisé de la magie sur Pierre. Mais il savait qu’elle avait toujours un but honorable derrière ses agissements.
Réfléchissant dans la pénombre de sa chambre, il entendit alors du bruit en provenance du couloir. Au début Pierre associa ceci à la ronde d’un garde et il ne fit pas plus attention, mais les pas semblaient se rapprocher et nulle torche n’était visible sous l’ouverture de la porte. Figé dans son lit, Pierre entendit la lourde porte s'ouvrir. Une personne entra dans sa pièce. À pas de loup, l’intrus se rapprochait du lit où Pierre faisait mine de dormir. Assez proche du jeune homme, l’arrivant sortit alors une arme que le jeune seigneur reconnut au bruit de l’acier glissant de son fourreau.
Pierre ne laissa cependant pas plus de marge à son potentiel agresseur et, tel un félin, se jeta sur lui. Il le plaqua contre le mur. Il ne pouvait l’apercevoir distinctement dans la pénombre. Bloquant la main armée de son adversaire, il sentit son animosité. Il était venu pour supprimer le jeune homme dans son sommeil mais, Pierre ne comptait pas se laisser faire. Il batailla contre le mur, il cherchait à faire tomber l'arme adverse. Au prix d’un effort conséquent, elle tomba au sol et c'est alors que le jeune seigneur saisit l’occasion qui se présentait et plongea l la lame dans le corps de l'inconnu. L’homme s’effondra contre le mur sans un bruit. Avec des pierres qu'il transportait dans son sac. Pierre alluma une torche. Éclairant à présent la pièce, il observa son adversaire au sol. Il regardait Pierre avec un sourire morbide en laissant s'échapper un léger râle d’agonie. La lumière blanche de la lune éclairait la dépouille. Équipé d’un long manteau à capuche grisâtre, il portait une sorte d’armure en cuir en dessous. Son visage était marqué par des traces de scarifications et autres signes étranges.
Le culte ou les sorcières avaient dû envoyer des combattants les attaquer de nuit. Quels qu'il soient, ils étaient dans les murs du monastère et commençaient leur sinistre besogne. Sortant après s'être équipé de son épée, Pierre tenta d’adapter sa vue à la pénombre du couloir. Il entendit du bruit. Il se figea, alerte. Un homme de l'inquisiteur entra, titubant, dans son champs de vision. Une ombre se dessina derrière lui. Elle plongea une lame dans le dos du combattant et regarda Pierre en arborant un grand sourire carnassier. Le jeune homme se préparait à combattre, il fit une chose qui lui semblait plus importante, crier.
— INTRUS ! s'époumona le jeune seigneur et il vit le visage de son adversaire se crisper.
Le combattant se jeta alors sur Pierre et les coups plurent en tous sens. Le pacte n’avait pas volé la réputation que l'inquisiteur leur accordait. Les coups étaient précis et Pierre peinait à parer le déluge auquel il faisait face. Reculant dans le couloir, il n'entendit pas la porte à sa droite s’ouvrir et un des acolytes de l’inquisiteur, le regard hagard, se figea en voyant les deux guerriers. Il ne lui en fallut pas plus et il se jeta sur l’agresseur de Pierre. Déconcentré, le combattant du pacte ne vit pas le coup que Pierre se préparait à porter. Occupé par le nouvel agresseur, il se défendait contre deux lames à présent et fut alors dépassé et tué par le jeune seigneur d’Ambroise.
La respiration encore haletante, Pierre regarda l’homme qui l’avait aidé et, le remerciant d’un signe de tête, observa par-dessus son épaule. Un groupe de combattants du pacte fit son apparition. Mais ce ne furent pas les seuls, les portes s'ouvrirent et les acolytes de l’inquisiteur rompus au combat se jetèrent sur les adversaires. Les affrontements emplirent les couloirs du monastère. Pierre, quant à lui, courut rejoindre son amie en esquivant les escarmouches.
Débouchant non sans mal dans le couloir où logeait Lise, il arriva juste à temps pour avoir un nouvel un aperçu des pouvoirs de la femme. La porte de la chambre vola en éclat et un homme portant une longue cape grisâtre du pacte était soulevé en l'air. Il semblait étranglé par une force invisible. Il mourut sous les yeux de Pierre pour laisse la place à la jeune sorcière qui sortit de la chambre en se tenant au mur. Blessée, elle regardait Pierre qui vint à son aide. Présentant des traces de coupure, elle ne semblait pas avoir de blessures trop sérieuses. Les combats aux alentours cessaient peu à peu. Les deux jeunes gens partirent alors en direction de la salle principale pour retrouver Kreisth.
Ce dernier se tenait au centre de la pièce. Secondé par son capitaine, il organisait le soin des blessés. Il observa les deux jeunes gens arrivés et quitta le promontoire de caisses duquel il avait donné ses ordres pour prendre des nouvelles de ses invités. Voyant les coupures de la sorcière, il fit signe à un de ses acolytes de la soigner.
— Le culte ? dit Pierre en regardant Kreisth.
— On dirait bien, je le crains, répondit l'inquisiteur
— Ils avaient l'air organisés et entraînés, qui étaient-ils?
— Comme vous l’avez malheureusement appris, commença le second, le culte tient la région nord à présent. Pour moi, il ne fait aucun doute qu’ils sont derrière ce Sabbat. Nous avons assez d’hommes pour affronter les sorcières et les hommes des clans. Mais, si l'on doit rencontrer des combattants du culte, on risque d'être dépassés en nombre. Surtout si mes informations se confirment.
— Expliquez-vous, répondit l’inquisiteur en triturant sa barbe.
— Maintenant que le culte peut voyager sans problème dans la moitié du royaume, il ne fait aucun doute que leur plus haut gradé local, le cardinal, a appelé des hommes pour consolider sa place. Les combattants du “pacte” nous ont fait la démonstration de leur combativité.
— Le pacte, dit le jeune seigneur d’Ambroise. C'est quoi encore ceux là ?
— Le pacte, commença Kreisth, est une des ramifications du culte, une des têtes de cette hydre. Pour protéger ses membres et assurer ses actions, le culte a mis sur pied une force combattante. Les versions divergent quant à l'origine de ses membres. Un de mes confrères a écrit sur cette entité. Selon lui, il s’agirait d’enfants embrigadés dès le plus jeune âge. Orphelins et jeunes hommes kidnappés forment ses rangs. Le résultat est la création de troupes compétentes et fanatiques. Je n’ai jamais eu affaire à eux jusqu’à maintenant mais selon mon bon capitaine, dit-il en indiquant son second, ils seront sûrement sur place pour le sabbat.
L’homme en question sortit un schéma représentant le symbole du pacte et le montra aux deux invités.
— L’insigne a une forme de cercle. Comme vous pouvez le voir, le créateur y est représenté au centre et des humains s’agenouillant l’encerclent. Les membres du pacte arborent cette marque distinctive sous le poignet. Soyez sur vos gardes à présent.
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