Chapitre 52 : L’honneur du Bas-Corvin

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Anaïs de Corvinus

21e jour du mois de juin de l’an de grâce 1205 AE.

Camps d’armée de la reine, aux abords du village de la Colline-au-pin ; durant la prière des Nones

Royaume du Corvin

La campagne du Bas-Corvin était un lieu idyllique. Un paysage où se répétait une succession de denses forêts et de prairies à l’herbe bien verte. Et ce, à l’exception des quelques rivières ou villages qui couraient sur ces terres baignées par le soleil d’été.

C’était là une de ces journées presque idylliques durant les prémisses de l’été. Mais tout aussi bon que soit ce temps, ce n’était là qu’un cache-misère qui occultait la réalité de la situation. La dure vérité de cette époque pourtant troublée par la guerre qui, elle, n’était pas loin et se rappela bien vite à la reine.

Les cors sonnaient ainsi au loin et bientôt des voix fortes s’élevaient pour accompagner ces premiers sons.

Non loin de la reine, des troupes étaient en marche, plus exactement occupées à manœuvrer dans un grand champ en friche. Depuis son coin d’ombre sur l’une des collines du lieu, elle observait ce spectacle tandis que les groupes compacts formaient à distance des carrés presque unis qui bougeaient comme d’un seul homme.

De ses blocs d’aciers ressortaient les bannières qui flottaient au bout des longues lances et le soleil, lui, se reflétait sur chacune des pièces d’armures ou armes en d’innombrables petits points blancs lumineux qui l’éblouirent.

Puis un nouveau son de cor et le groupe qu’observait la reine se mit à bouger de nouveau. Anaïs de Corvinus était debout, presque posée contre l’un des solides poteaux de son pavillon. Buvant une dernière gorgée de sa coupe, la reine se retourna. Quittant le spectacle de ces exercices militaires, elle alla se rasseoir sur l’une des chaises présentes sous l’abri en posant sur la petite table non loin d’elle sa coupe maintenant presque vide.

Ainsi toujours sous le couvert des toiles de tissus, Anaïs observa le nouveau décor qui prenait place face à elle.

Au loin, on pouvait apercevoir le village de la Colline-au-pin. Ce petit hameau était établi sur une colline, mais contrairement au point de vue d’Anaïs ce dernier dominait ainsi toute la région alentour. La communauté de ce village avait construit leur maison depuis le bas de ce promontoire pour remonter jusqu’au point le plus haut ou Anaïs pouvait apercevoir la flèche de l’église locale, toute de bois, s’élever bien haut dans le ciel en dominant les bâtisses locales.

Sous cette hauteur habitée prenait ensuite place une forêt. Non d’arbres, mais bien de tentes qui s’étendaient cette fois à perte de vue. Cette abondante vision de tissu bleu et blanc permettait à la populeuse armée de la reine de prendre ses quartiers d’été en vue des affrontements de la saison.

Il y avait foule et le camp était empli de vie, de soldats. Hommes d’armes, archers, écuyer et même chevalier étaient présents en nombre et s’activaient en tous sens. Leur voix s’élevait dans l’air en un brouhaha inaudible, mais ce qui attira le plus l’attention d’Anaïs fut les bruits d’armes s’entrechoquant proches d’elle.

Juste en dessous de son abri se tenait une petite place d’armes. L’endroit avait été aménagé avec une enceinte de bois tandis qu’en son centre des combattants croisaient le fer sur la terre battue du sol.

Plusieurs hommes en armure complète étaient adossés au bord de ce lieu de combat, contre les bois de soutien tandis que deux hommes s’affrontaient au centre du cercle qu’ils formaient.

Entre ces deux chevaliers en armures, aucune attaque n’était épargnée. Coups d’estoc, de taille étaient envoyés avec véhémence. À chaque tranchant d’épée qui glissait sur les armures, Anaïs pouvait entendre les hommes geindre de douleur et voir les traces laissées par les armes.

À vrai dire, elle entendait même leurs respirations qui se faisaient de plus en plus audibles derrière leurs masques de fer. Alors que la passe d’armes traînait en longueur, l’un des deux hommes qui portait un insigne d’aigle couronné, recula quelque peu face aux assauts portés à son encontre.

Certains auraient pu voir là un signe de faiblesse, son adversaire devait le voir ainsi, mais Anaïs savait que c’était là un piège. Le chevalier à l’aigle venait de faire avancer son adversaire et voyant une ouverture dans sa garde le fit s’écrouler à terre par une attaque aussi subite que maîtrisée.

Le bloquant ensuite avec son genou au sol, il porta ensuite la lame de son épée sur la gorge de l’homme au sol jusqu’à ce que ce dernier lâche sa propre épée qu’il avait entre-temps reprise dans la terre.

Les deux statuts d’acier ainsi figés dans cette pose levèrent leurs ventailles en rigolant. Le vainqueur aida alors le chevalier au sol à se relever en le félicitant pour l’âpre combat mené.

Retirant son heaume, Anaïs put dès lors voir le visage de l’homme qui venait de remporter ce duel et croisant son regard, Anaïs sourit face à son frère.

Se levant, elle l’applaudit bientôt suivie par l’assemblée de chevaliers dans la place d’armes alors que Folcard les quittait pour rejoindre sa sœur.

Ce dernier montait l’escalier sommaire qui avait été aménagé sur la petite colline où prenait place le pavillon d’Anaïs, cette dernière s’était déjà rassise dans l’un des deux sièges des lieux.

Folcard vint rapidement prendre l’une des deux coupes présentes sur la table proche de la reine tandis qu’un servant venait défaire la lourde armure du bâtard royal.

— Tu ne leur fais là aucun cadeau, commença Anaïs.

— Les troupes de Léonard ne leur en feront pas… Je doute même qu’il n’y ait beaucoup de prisonniers pour rançon après les affrontements.

— Trop de rancœurs ?

— Trop de haine, après la traîtrise de la capitale.

Alors que le servant avait défait une partie de l’armure, il coinça l’une des lanières du plastron. Sentant cela, le bâtard royal grimaça en le congédiant d’un signe de main. Enlevant ses gants, il le jeta sur la table en s’écroulant dans la deuxième chaise du pavillon. L’armure quelque peu défaite et le front luisant après son combat.

— Ha ! fit Folcard maintenant bien assis. Le soleil est bien en avance cette année.

— On dirait que tu te plains.

— Nullement chère sœur. Qui pleuve ou qu’il fasse beau, il faudra bien affronter l’usurpateur. Et le plus tôt sera le mieux.

— Tu risques d’être satisfait. Il masse ses troupes vers le Bourg de Roussons.

— Prendre la ville ne lui a pas suffi, il veut être sûr de nous achever avant l’hiver. Intelligent… je ferais de même à sa place.

— Mais tu ne l’es pas et il nous faudra le vaincre, car si nous perdons la bataille à venir, nous n’aurons plus aucun crédit dans le royaume.

— Perdre le Bourg était inévitable.

— Si tu le dis.

— Voyons, on dirait que tu m’en veux. Je t’ai conseillé pour le mieux, maintenant leurs troupes diminuées nous attendent alors que nous avons à présent une « vraie armée ». La lutte sera enfin plus juste comparée au début des affrontements.

— il le faut, car ils voudront un combat rangé pour écraser notre armée. Pour que ce ne soit pas simplement une victoire, mais une démonstration de leur force et une humiliation pour nous.

— Mais ils ne s’attendront pas à affronter une telle armée, lui répondit Folcard en montrant le camp. Nos amis des duchés nous ont offert un fort contingent, la victoire sera assurée.

— Si tu le dis.

— Pourquoi douter !? Je serais à la tête de cette armée, ne suis-je pas ton bras armé ?

— Tache d’être aussi mon esprit…

— Quelle impertinente.

Tous deux rigolèrent face à la réponse de Folcard tandis que deux formes s’approchaient de leur coin d’ombre. L’une d’elles, de taille adulte, tenait par la main un jeune enfant. Mais ce dernier voyant la reine quitta la garde de l’adulte en courant vers Anaïs.

— Doucement, doucement, fit la reine alors que l’enfant l’enlaçait.

Le servant royal se confondait en excuse sous le regard amusé de Folcard. Et ce, jusqu’à ce que la reine le congédie en le remerciant.

Aidant ensuite le garçon à s’asseoir sur ses genoux, Anaïs fit attention à ce qu’il dit.

— Les vieux prêtres m’ont retenu toute la matinée, pourquoi n’étais-tu pas là !?

— Car une reine se doit de superviser son royaume, son armée.

— Ça a l’air fatigant comme chose…

— Les choses qui valent la peine demandent toujours des efforts mon fils. Comme tes cours.

Le jeune garçon qui baissait la tête, comme déçu de la réponse.

— N’oublie pas, dit-elle en lui faisant relever la tête en le prenant par le menton. Cette guerre que nous faisons, c'est pour toi. Car c’est ton royaume. Ce sont tes gens dit-elle en montrant les alentours.

— Le petit est si énergique qu’il ne t’écoute point ma sœur, reprit Folcard en se levant. Saisissant deux bâtons dans un brasero totalement éteint depuis la nuit précédente, il retira deux branches. Voyons s'il est aussi courageux qu’il le pense, finit-il en un signe de défi.

Le jeune Prince qui n’avait pas perdu un instant avait bondi des jambes de sa mère pour rejoindre le chevalier qui l’avait défié. Prenant le long bout de bois que lui avait lancé Folcard, il se mit à l’attaquer.

Les deux échangèrent des coups avec leurs épées improvisées. Le jeune homme ne se ménageait pas et donnait tout ce qu’il avait pour gagner la lutte. Chacun de ses coups était cependant dévié.

Mais il continua et continua malgré tout. Bientôt, ses attaques portèrent et il toucha son oncle.

— Bravo ! fit alors Anaïs en applaudissant.

Et Folcard, mimant l’homme blessé, se mit à genoux face au coup que lui portait le prince. Ce dernier victorieux soulevait en signe de victoire son arme tout sourire en cherchant l’approbation de sa mère en se retournant.

— Tu as parfaitement servi ta reine ! dit-elle en réponse.

— Et bientôt, je ferais pareil au méchant Léonard qui te tourmente !

Et les trois furent pris d’un fou rire.

— Tu as bien raison, jeune prince, dit Folcard face au garçon qui se retournait pour le voir. Ta mère est dans son bon droit, elle se bat pour sa couronne, son avenir. Ton avenir, car un jour, ce sera à ton tour de combattre pour ce que tes ancêtres t'ont légué. Mais ne sois pas trop hâtif. Pour l’heure, laisse les adultes lutter à ta place, il te faut avoir un peu de patience. Et il n'y a pas meilleur adversaire que ta mère.

— Pour l’instant, reprit l'intéressée. C'est moi qu'ils doivent combattre et malheureusement pour eux, ils n’affrontent pas simplement une reine, mais une mère se battant pour son enfant.

Se relevant après cette phrase forte de vérité, Folcard regarda alors Anaïs.

— Bon, j’ai encore du travail avec ces nobliaux, fit-il en montrant d’un signe de tête les chevaliers dans la place d’armes. Il faut bien les entraîner, car ta garde royale ne va pas se faire toute seule.

Et sur ces mots, il quitta le pavillon royal pour retourner entraîner les chevaliers en contrebas. Le prince quant à lui avait pris sur la deuxième chaise des lieux après s’être hissé dessus. Il observa ensuite les alentours et l’armée présente avec sa mère à ses côtés.

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