Chapitre 63 : Chasson
Pierre d’Ambroise
30e jour du mois de septembre de l’an de grâce 1205 AE.
Abords du village de Chasson ; après la prière de Sexte
Royaume du Corvin
Le temps était toujours mitigé quand Pierre et ses hommes rallièrent enfin les abords du village de Chasson. Ils avaient quitté la montagne et ses trompeuses brumes il y a un jour de ça mais ici, en plaine, le temps n’était pas plus clément.
Le petit village était situé aux abords d’une épaisse forêt et faisait face de son côté est aux collines puis aux montagnes de Praveen bien plus loin. Ainsi, la troupe, bien silencieuse avec ses membres cachés derrière leurs capes et autres protections, arpentait la rue principale du village. Pour ne pas dire la seule artère du lieu plus que modeste.
Le village était d’une petite taille et les quelques maisons qui composaient ce dernier l’étaient tout autant. C'étaient des constructions de pierres et torchis qui accueillaient fermiers et forestiers locaux. Seul le temple des Sauveurs sortait du lot dans ce modeste et morne paysage avec son clocher qui dominait tout de sa sainte hauteur.
L'arrivée ne se fit donc pas de manière tonitruante ou emplie de célébrations pour ces combattants allant croiser le fer dans la guerre qui enserrait le royaume.
Les habitants de Chasson ne se dérangèrent pas plus que ça, pour le peu qui était visibles. Il fallait dire que le nombre de résidant était lui-même dépassé par les animaux des éparses troupeaux entourant de la bourgade.
Ainsi à la vue de la troupe certains les regardaient simplement passer tandis que d’autres, habitués maintenant à ce genre de spectacle vaquaient à leur occupation journalière sans y prêter le moindre regard. L’endroit avait vu passer son lot de combattants. Pour dire vrai, il en accueillait actuellement de nombreux qui attendaient juste à côté.
Les troupes de l’est avaient dressé leur camp non loin du hameau. Elles avaient pris possession de l’espace libre laissé par un grand champ en friche ou avaient ainsi poussé tentes et autres protections sommaires pour les guerriers venus de tout Praveen.
Guidant sa monture, Pierre quitta le village et ses quelques maisons pour s’aventurer dans le champ. Contrairement au hameau, l’activité y était plus importante. Les chevaux, agités, avaient été regroupés à certains endroits dans des enclos délimités par des lances et cordes tandis que les hommes s’occupaient comme ils le pouvaient autour des quelques feux. Certains retouchaient armes et armures tandis que d’autres encore jouaient à divers jeux. Les meules grinçaient et les marteaux remodelaient.
C’étaient là des moyens d’oublier les combats qui s’approchaient, se dit le jeune seigneur. Et surtout oublier le long moment de flottement et d’inquiétude qui le précédait.
Ainsi, l’ambiance du camp était fidèle à tout bivouac d’une armée continental avec ses mornes occupations. Avançant parmi les nombreuses tentes, Pierre qui était de temps à autre salué par les occupants du lieu, rallia bien vite ce qui s’apparentait au centre du camp.
Il se tenait là une large tente. Un arpent de tissus plus long et plus travaillé que toutes les toiles du bivouac. L’abri était ouvert sur ses côtés et le jeune seigneur put facilement voir l’intérieur de ce dernier.
Une grande table siégeait au centre et sur ses abords se tenaient de nombreuses personnes de toute taille et de tout âge. En armure ou en simple habit journalier, mais évidemment tous de haute lignée au vu de leur tenues coûteuses.
Au début, nul ne fit attention aux cavaliers qui avaient fait leur apparition dans l’espace dégagé qui bordait cette tente et la troupe fut rapidement le centre de l’attention.
Les nobles qui conversaient autour de la table réagirent les uns après les autres. Tel un courant qui balayait leur rang serré en emportant l’attention générale. Les regards autrefois concentrés sur le centre de leur abri, sur la table, se reportaient sur la troupe de Pierre et la discussion qui avait opéré fut bientôt hors des pensées de tous.
Alors que le jeune seigneur mettait enfin pied à terre. Il s’écrasa dans un sol boueux et meuble en un petit « spalsh » qui décora ses chaussures et sa cape d’un marron bien tenace. Le sol avait déjà enduré les pieds des nombreux hommes et chevaux du camp. Il était à présent devenu un vrai champ de bataille à lui tout seul.
Les hommes du jeune seigneur avaient à leur tour commencé à mettre pied à terre sous le regard des nobles qui se portaient à présent à leur rencontre.
La foule qui vint rencontrer Pierre et ses guerriers comprenait de nombreux visages, le jeune seigneur put bien sûr reconnaître certains qu’il avait vaguement vu au rassemblement de LaRoque, mais pour lui ils étaient presque tous des inconnus.
Quand les nobles arrivèrent à eux, Pierre fut bien sûr salué comme il se devait, mais bien étonnamment les roturiers de sa troupe furent aussi chaleureusement accueillis. Après tout, chaque homme arrivé allait peser en leur faveur pour la lutte à venir.
Ces nobles en étaient bien conscients et le sang n’avait aucune différence au combat. Il avait la même couleur que l’on soit née dans le plus imposant des châteaux ou la plus misérable bicoque du royaume.
L’attention de Pierre fut alors attirée par une figure qui semblait fendre la foule de sa simple présence. Les bruits des discussions cessèrent bientôt lorsqu’il fut devant Pierre. Philipe Boiscendre, secondé de son fils aîné, arrivait lui aussi pour les accueillir, mais ses premiers mots firent penser tout le contraire.
— Vous étiez censés arriver il y a deux jours de ça.
— C’est que le Guet de Landvin était infranchissable, dit Cothyard qui se porta aux côtés de Pierre. L’hiver sera rude pour qu’il soit infranchissable en cette date. Cela nous a pris de cours et nous avons dû bifurquer et prendre le bac de Laymon pour arriver à Chasson, finit-il en laissant un moment de battement dans ses propos. D’où le retard…
— En tout cas, c’est un plaisir de vous voir seigneur d’Ambroise on commençait à perdre espoir quant à votre venue.
— N’est-ce pas nous qui vous avons demandé de venir ? fit Pierre se fendant d’un sourire.
— Évidemment, évidemment. Que vous hommes s’installe donc et suivez-moi nous avons à parler.
Ce seigneur semblait prendre la main bien naturellement.
— Leto, Folder ! dit Pierre pour les faire venir à lui.
— Seigneur ? firent les deux intéressés qui s’étaient avancés vers lui.
— Veiller à vous occuper de l’installation de la troupe.
— Ce sera fait, fit Folder qui entraîna son jumeau vers les hommes de Villeurves.
— Combien sont venues, fit Cothyard à l’attention du seigneur Boiscendre.
— Beaucoup si on prend en considération que vous n’êtes pas de Praveen. Voyant le regard de Pierre le fixer, Philippe se reprit en bougeant pour s’en aller à la tente central suivis de Pierre qui le talonnait. Il est difficile pour un homme de laisser tout ce qu’il a derrière lui pour aller se battre au nom d’un parfait inconnu. Tout aussi bienveillant et courageux qu’il soit.
— Et donc combien, reprit Cothyard derrière les deux nobles.
— Nous avons plus de la moitié des grands seigneurs, ce qui nous ramène bien cinq cent hommes. Ajouté à cela divers nobliaux et bourgeois de l’est qui ont répondu à l’appel après votre annonce de Laroque.
— Et donc, fit cette foi Pierre.
— Près de neuf cents hommes, lui répondit Philipe en invitant le jeune seigneur à entrer dans la tente. Mais peut-être que d’autres sont en chemin
L’endroit était vaste comparé aux autres abris du camp. Une sorte de chandelier avait été hissée juste au-dessus de la table pour éclairer dès la nuit tombée qui se faisait déjà bien précoce en cette saison. Le sol était quant à lui recouvert de divers tapis donnant un aspect important au lieu dont les quelques chaises étaient poussées sous la table.
— Neuf cents hommes dit Pierre à Cothyard. Moins qu’espérer.
— Mais plus que suffisant. Nous ne sommes là que pour épauler la reine. Comme ton serment l’exigeait. Pas mener cette guerre à sa place.
— C'est vrai, conclut Pierre avant de regarder Philipe. Je suppose que vous avez fait dépêcher des éclaireurs seigneur Boiscendre ?
— En effet, pour l’heure, ils n’ont pas encore donné de nouvelles. Roussons est à trois jours de marche et si le combat a lieu dans les environs comme vous le disiez alors ils ne devraient pas tarder à revenir.
— La missive de d’Anaïs ne donnait pas de détails ? fit un des nobles qui avait repris place autour de la tente.
— Non, elle parlait juste de Roussons. La reine est restée très vague concernant le reste, dit Pierre.
— Aucun détail, fit Philipe en se triturant la barbe. Il va falloir rester prudent. Les deux armées pourraient se combattre n’importe où et n’importe quand…
— Ce qui nous laisse quelque peu dans le flou pour la marche à suivre, conclut Pierre.
— Il va falloir être mobile et vif. Heureusement, nos hommes sont tous arrivés montés. Ce sera notre point fort et Léonard n’est pas censé être au courant de notre présence. Après tout nous sommes les culs terreux des montagnes méprisés par tous le Haut et Bas Corvin, dit Philipe tout sourire en entraînant les rires de toute l’assemblée.
— Ce sont bien là nos seuls avantages, fit Cothyard qui tournait autour de la table. Une idée de l’endroit où pourrait avoir lieu l’affrontement.
Ramenant son attention à la carte présente sur la table, Philipe reprit la parole après un court moment de réflexion.
— Il y a Roussons même, dit-il en montrant le lieu sur la carte de son doigt. Mais la ville offrirait trop d'avantages à l’armée de Léonard. Si on considère que les deux forces en présence sont conséquentes, je ne vois que deux options. L’une évidente et l’autre… plus osé.
— Qui sont ? demanda Pierre.
— Les plaines juste au sud de Roussons, mais ce serait Léonard qui aurait l’avantage de la hauteur.
— Et ? fit cette fois Cothyard.
— Les plaines d’Ablancourt, c'est à moins d’une journée de Roussons et il faudrait que l’armée d’Anaïs opère une marche forcée sous le nez de son cousin. Une action osée qui pourrait lui donner un certain avantage
— Osé, mais plausible, fit Pierre posé contre la table.
— Toi qui l’as rencontré, tu penses qu’elle serait à même de faire ce genre de stratégie ? Ou même son frère ? demanda cette fois le seigneur Boiscendre.
— Pour son frère, je ne sais pas, pour elle. Disons qu’elle me parait des plus sensé. Des plus intelligente. Si vous avez observé cela par votre carte elle fera de même, on peut en être sûr.
— Alors que les nobles du camp avaient afflué autour de la table, de sa carte et de la discussion, le seigneur Boiscendre reprit la parole.
— Alors mettons-nous en marche dès demain. Le temps joue contre nous, il nous faudra pouvoir rallier n’importe lesquelles de ces positions. Même la ville s’il le faut. On ne peut malheureusement attendre de possibles retardataires.
Observant le regard que lui fit Philipe, Pierre prit la parole face à l’importante assemblée qui occupait la tente.
— Bien messieurs, soyez prêts aux premières lueurs. Demain, nous partons à la guerre.
Et une clameur prit dans les rangs des nobles qui quittèrent bientôt les lieux pour avertir leurs hommes.
Tandis que Pierre allait à son tour partir, il fut arrêté par le seigneur Boiscendre qui posa la main sur son épaule.
— Restez, fit-il à voix basse. Il faudrait que nous échangions.
Cothyard, qui était toujours non loin, s’approcha alors au signe de main de son seigneur.
— Avertie nos hommes, qui ne s’installent pas trop confortablement. Je te rejoins dès que j’ai fini de parler au seigneur Boiscendre.
Observant Cothyard et tous les autres nobles vider les lieux. Pierre se retourna et rejoignit Philipe déjà assis sur l’une des chaises qu’il avait sorties de sous la table.
Les intrigues ne cessaient jamais, même entre alliés.
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