Où est ma vie ?

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Je vais envoyer un texto à Nelly. Les contacts. Je fais défiler l’annuaire de Rémi. Il est classé par prénom. A, B…M, N. Natacha. Nathan. Nicolas. Nono. Zut, il n’y a pas Nelly. Ça ne m’étonne qu’à moitié, je ne suis pas certain que Nelly et Rémi aient déjà échangé des SMS ensemble, mais il devrait quand même avoir son numéro. Je recherche par nom. Je tape « Rousseau ».

« Aucun contact ».

Ma gorge se serre. Comment ça, aucun contact pour « Rousseau » ? Et moi, alors Rémi, je suis où ? J’effectue une recherche par prénom. « Stan ».

« Aucun contact ».

Non, c’est pas possible… Et par numéro… Je commence à taper les dix chiffres de mon numéro de téléphone, mais dès le quatrième je lis « Aucun contact ». Mes doigts deviennent moites. Une onde de panique remonte le long de ma colonne vertébrale. Pourquoi Rémi aurait effacé mon numéro ? Ça n’a aucun sens. À moins que ce soit quelqu’un d’autre… Clarisse ? Les enfants, en jouant ? Non, c’est ridicule, il y a autre chose… Et sa messagerie, alors ? J’aurais dû commencer par-là.

Je reviens sur la page d’accueil. La photo de Clarisse avec les enfants, toutes les applications bien rangées dans des dossiers. En bas, la messagerie. Une petite pastille rouge indique 243 messages non lus. Je clique fébrilement sur l’icône de messagerie. L’application s’ouvre… Pas question de se taper la lecture de ces deux cents et quelques messages maintenant. Je clique sur « Rechercher ». Je spécifie « Dans tous les dossiers ». Je tape « Rousseau ». Ça travaille… Deux mots s’affichent.

« Aucun résultat ».

Je fixe l’écran, interdit. Je sens que je vais perdre pied. C’est peut-être seulement sa messagerie pro. Ce serait normal que je n’y sois pas… Je vérifie l’adresse de quelques messages. Il y a du pro et du perso. Ma respiration s’accélère. Il faut que je reste calme… Si quelqu’un a voulu m’effacer du portable de Rémi, il aurait très bien pu supprimer tous nos messages. C’est facile. Une petite recherche, on sélectionne « tous », on clique « Supprimer », on confirme et hop, le tour est joué… Oui, mais pourquoi ? Pourquoi prendre toute cette peine ?

Il faut que je me connecte à mon compte, tout de suite ! Il faut que j’explique ça à Nelly. Qu’est-ce qu’il se passe, bon sang ?

Page d’accueil. Je lance le navigateur.

Google. Google qui s’appelle encore Google. Il ne manquerait plus que ça… Enfin, du moment que j’arrive à me connecter à ma messagerie, Google peut bien s’appeler Gogol ou Tootle, je m’en tape. Je clique sur « Se connecter ». Je tape mon adresse email péniblement sur le clavier tactile. Mon mot de passe.

Et si rien ne se passe, Stan ? Je déglutis. Mon index reste en lévitation au-dessus de la touche « Entrée ». Un filet de transpiration coule de mon aisselle droite. Je lance la connexion…

« Google ne reconnaît pas cette adresse email ».

Quoi ? Je suis pris d’un tremblement. Non, pas Google. Je vérifie l’adresse lettre à lettre. Elle est correcte, c’est mon adresse, ça fait plus de quinze ans que je l’ai, bordel ! Je ressaye… Encore… Et encore. Même chose. C’est pas possible ! La panique m’empourpre le visage. Je mords ma lèvre. Non, je ne dois pas craquer. Ma respiration s’accélère. J’ai pas tout essayé, pas encore. Réfléchis, Stan. Ma vision se brouille… Une autre adresse. Mon compte Hotmail. Oui, c’est ça ! Je lutte pour maîtriser le tremblement de mes doigts sur l’écran… Hotmail. Adresse de messagerie. C’est quoi, déjà ? Ah oui… Je tape les lettres. Je fais une faute. J’efface. Je clique à côté du champ. Je recommence. Mes doigts se crispent. Lettre à lettre. Je clique sur « Suivant ».

« Ce compte Microsoft n’existe pas. Entrez un autre compte ou obtenez-en un nouveau »

Non ! Non… C’est quoi ce délire ? Je mords mon poing pour étouffer le gémissement qui monte dans ma gorge. Le monde s’inonde. Je suffoque. J’essuie mes yeux. Avec mes mains. Les mains de Rémi. Cette pensée me broie. Me brûle. Ma tête va exploser… Je suis Stanislas… Je suis Stanislas Rousseau… J’ai une vie. J’existe ! J’ai une femme qui s’appelle Nelly, des parents, un frère, des amis, des collègues, des contacts sur Facebook !...

Ce nom déclenche quelque chose en moi. Comme un espoir que je n’arrive plus à formuler. Le temps s’arrête. Les larmes retiennent leur chute. Je ne pense plus à rien. Le vide. Je regarde de nouveau le téléphone. Je déverrouille l’écran. Je cherche le « f » blanc sur fond bleu… Je fais apparaître la seconde page avec mon pouce humide. Un « f » bleu sur fond blanc. Sous l’icône je lis « Friendzone ». Soit. Je clique. Un fil d’actualités s’affiche. Le réseau de Rémi. Je déroule…

Quelque part dans ma conscience, certains noms, certaines photos de profils me semblent familiers. Je cherche. Les amis de Rémi… 147 contacts. La liste s’affiche. Je dois m’y trouver. Nelly doit s’y trouver. Maxime doit s’y trouver. Et des amis en commun. Un par un je fais glisser les noms vers le haut. Comme un robot. Comme un zombie.

Non. Non.

Des visages qui sourient.

Non.

Clarisse.

Non.

Des avatars avec des photos. Des dessins étranges.

Non. Non.

Des photos de bébés.

Non.

Magali.

Non. Non.

Des photos de paysages, d’animaux.

Non.

Sarah. Sébastien. Serge. Séverine. Solène. Sophie… Stéphane.

Non. Non.

Yan. Yves.

Fin.

Je clique sur l’icône de recherche. Je tape « Stanislas Rousseau ». Je lance. Trois profils.

Non. Non. Non.

Je lâche le téléphone. Je ferme les yeux.

Le temps repart. La pièce chavire. Ma tête explose. Je pleure.

Je sombre… Je suis Stanislas. Je veux me réveiller de ce cauchemar… Je veux voir Nelly. Quelqu’un ! Aidez-moi… J’ouvre les yeux. La chambre est toujours là. Je serre les poings. Je frappe ce corps qui n’est pas le mien. Les cuisses. Le torse. Les bras. Réveille-toi ! Réveille-toi, Stan ! Je ne suis pas Rémi ! Je frappe ce visage. La mâchoire ! Les yeux ! Le nez ! Les tempes ! La douleur. Partout. Je chancelle. Noir…

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