Dans ma tête
La porte de la chambre.
– Bonsoir, monsieur Blanchard !
Mon « cher » docteur Frankin.
– Bonsoir, docteur.
– Comment allez-vous aujourd’hui ?
J’ai l’impression d’avoir trahi un ami en le condamnant à mort et si j’y pense trop, je risque de mourir de chagrin à mon tour, mais à part ça, c’est génial.
– Ça va, docteur. J’ai bien marché dans la chambre, cet après-midi.
– Ah, tant mieux. J’ai vu Isabelle Campy, tout à l’heure, qui m’a dit qu’il ne vous faudra que quelques jours pour retrouver une première autonomie, je suis content pour vous.
– Merci…
– Quant à moi, j’ai aussi de bonnes nouvelles à vous annoncer, monsieur Blanchard.
– Ah oui ?
– Tout à fait. Je viens d’examiner les images de votre scanner et il ne reste quasiment aucune trace de vos lésions, c’est magnifique ! On peut presque dire que vous repartirez avec un cerveau tout neuf, ah, ah.
Je me force à feindre un semblant d’hilarité pour faire bonne figure.
– Est-ce que ça veut dire que je vais pouvoir sortir demain, docteur ?
– Absolument !...
Une onde d’euphorie secoue brièvement tous les étages de mon être.
– … Si tout se passe comme prévu, vous pourrez nous quitter en début d’après-midi. Vous verrez Isabelle demain matin pour organiser la suite de votre rééducation et puis il y a quelques démarches administratives à régler, mais rien de bien méchant, n’est-ce pas ?
– Merci docteur ! Ça c’est vraiment une bonne nouvelle, vous savez, m’exclamé-je avec une sincérité non simulée. Ce n’est pas que je ne me plais pas ici…
Sans blague ?
– …mais on est quand même mieux chez soi !
– Oui, je vous comprends… À propos de se sentir chez soi, comment vous sentez-vous dans votre tête, monsieur Blanchard ?
Dans ma tête ? Pour le moment ma mémoire n’est qu’un vide intersidéral, peuplé de trous noirs, d’étoiles distantes de milliards d’années-lumière et de matière noire qui me restera peut-être inaccessible à jamais…
Je compose un visage rassurant.
– Ça va de mieux en mieux, docteur, heureusement… À vrai dire la phase de réveil a été difficile, j’avais perdu mes repères, mais tout cela est en train de s’effacer doucement, comme un mauvais rêve.
Parce que je suis Rémi, non ? Et maintenant, vous pouvez partir, docteur ?
– Ah, je suis content de vous l’entendre dire. J’ai bien senti que vous n’étiez pas très à l’aise, malgré vos efforts pour ne rien laisser paraître… Et je vous comprends, vous ne vouliez pas inquiéter vos proches. Enfin, maintenant que vous êtes redevenu vous-même, si je puis dire, vous allez pouvoir les retrouver en toute sérénité et bientôt reprendre une vie normale. En tout cas, c’est ce que je vous souhaite, monsieur Blanchard. Bonne soirée à vous ! Et si je ne vous revois pas avant votre départ, je vous souhaite également bon courage pour votre rééducation.
– Merci beaucoup, docteur… Il y a du travail de ce côté-là, mais je vais m’accrocher.
– À la bonne heure ! Au revoir, monsieur Blanchard.
– Au revoir !
La porte se referme. Je pousse un soupir de soulagement. Bon vent, docteur ! J’ai beau savoir que je lui dois la vie et qu’il ne se préoccupe que de ma santé, ce type m’insupporte toujours autant.
« Maintenant que vous êtes redevenu vous-même ».
Est-ce que j’avais ce goût de lâcheté dans la bouche, est-ce que j’éprouvais ce sentiment de salissure intérieure et de honte quand j’étais « moi-même » ?
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