Reprendre une vie normale

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« Reprendre une vie normale ». Celle de Rémi Blanchard. Je suis Rémi.

Et qu’est-ce que ferait Rémi, maintenant ? Qu’est-ce que je ferais ? Prévenir mes proches, communiquer avec eux, me réjouir de les retrouver… je saisis le téléphone portable de Rémi. Mon téléphone. Est-ce que je dois appeler mon meilleur pote « Nono » et lui dire que je suis réveillé, qu’on va se revoir très bientôt ? Est-ce qu’en entendant sa voix, tous nos souvenirs communs me reviendront d’un coup, absoudront mes fautes, gommeront ma honte ?... Et tous ces autres visages qui viendront me sourire et exprimer leur joie de me revoir, me réchaufferont-ils le cœur sans que j’éprouve de remord ? L’angoisse oppresse ma poitrine. Il est peut-être encore trop tôt pour cela. Et il faut que je prévienne Viviane et Raymond… Papa et maman… pour organiser mon départ demain.

J’appuie sur le bouton pour réveiller le portable. Jules et Zoé me sourient au bord de leur piscine. Les enfants de Rémi. Mes enfants. Mes petites merveilles. Est-ce que je me sentirai de nouveau leur père ? Celui qui les aime, celui qui a assisté à leur naissance, qui s’est sacrifié pour eux, qui s’est occupé d’eux depuis des années ? 0, 6, 0, 7. Clarisse et les enfants. La famille de Rémi. Ma famille… Ce mot me glace tout autant qu’il me réchauffe. J’ai peur. Je mords mes lèvres. Mes pensées s’élancent dans les noirceurs de ma conscience. Il ne faut pas. Je les rattrape. Je suis Rémi. Je dois prévenir papa et maman.

Je clique sur le bouton d’appel. Maman. Ça sonne…

– Allo ? C’est toi Rémi ?

– Oui, maman, c’est moi.

– Excuse-moi, j’ai encore du mal à y croire, tu sais, quand j’ai vu ton nom sur l’écran... Tu vas bien ? Je suis chez toi avec les enfants, je te les passe ?

– C’est qui, mamie ? C’est papa ?

– Heu oui, mais attends maman, je voulais juste te dire que j’ai eu l’autorisation du docteur Frankin pour sortir demain.

– C’est vrai ? Oh Rémi, je suis tellement contente… Jules, Zoé, c’est papa et il va sortir de l’hôpital demain !

– Ouais !

– Papa, papa !

– Tu vois Rémi comme ils sont excités ?

Derrière la voix de Viviane, j’entends les cris de cette petite fille et de ce petit garçon impatients de retrouver leur père. Mes enfants ? Mon cœur se serre.

– Oui, j’entends ça.

– Attends, je te les passe… Tiens Zoé, tu peux faire un bisou à papa.

– Allo papa ? Tu reviens à la maison demain ?

– Oui, ma chérie, je serai là quand vous reviendrez de l’école. Je t’embrasse très fort.

– Et moi ! Et moi !

– Oui, Jules… Zoé, donne le téléphone à ton frère…

– C’est toi papa ?

– Oui, Jules. Je t’embrasse aussi très fort mon grand.

– On pourra jouer à la fusée après l’école ?

– La fusée ? Heu, oui peut-être, on verra, mon chéri… Je vous fais un gros bisou à tous les deux. Je vous aime très fort mes cœurs…

Est-ce que je les aime vraiment si « fort » ? Est-ce que je serai ce papa qu’ils aiment tant et qu’ils attendent ? Une brûlure irradie les replis de mon âme.

– Pour la fusée il faudra attendre un peu, Jules : papa sera très fatigué quand il va rentrer à la maison… Tu entends, Rémi, ils n’ont rien perdu de leur énergie, hein ?

– Oui, c’est sûr.

– Bon alors, dis-moi tout. À quelle heure tu vas sortir ?

– Normalement en début d’après-midi, on peut dire 14 h, je pense. Je dois voir la kiné le matin et puis il y a quelques formalités de sortie à régler.

– Ah, je suis contente !… Je serai là un peu en avance, on ne sait jamais.

– Si tu veux, maman… Tu viendras avec papa ?

– Ça, je ne sais pas. Il a une compétition de tir à l’arc avec le club, demain. Ça m’étonnerait qu’il annule, ça fait des semaines qu’il en parle…

Est-ce que le père de Rémi, mon père, faisait du tir à l’arc ? Pourquoi est-ce que je ne m’en souviens pas ?

– …Mais tu le verras ce week-end, de toute façon. Vous viendrez manger tous les quatre à la maison.

– Ah, d’accord…

– Donc je viens te chercher et je te ramène à l'appartement. Demain c’est jeudi, c’est Clarisse qui passe prendre les enfants à l’école. Je resterai avec toi jusqu’à ce qu’ils reviennent et puis je vous laisserai vous retrouver…

– Merci, maman…

– C’est normal, mon chéri. Et vendredi, je serai là vers 8 h 30 pour m’occuper de toi.

– Oui… c’est gentil. Mais tu sais, j’arrive à marcher un peu quand même. Tu n’auras pas forcément besoin de rester très longtemps et puis après, c’est le week-end, il y aura Clarisse et…

– Qu’est-ce que tu racontes, Rémi, je sais que tu voudrais déjà te débrouiller tout seul, mais tu as besoin d’avoir quelqu’un près de toi, c’est le docteur Frankin qui nous l’a dit. Et ça ne me dérange pas, tu sais bien.

– Oui, merci, maman… Ah, j’entends du bruit, je crois que c’est le repas du soir qui arrive.

– Bon, je vais te laisser manger, alors. Je te fais des gros bisous, mon trésor… Les enfants, faites des bisous à papa !

– Bisous papa !

– À demain vers 14 h, alors.

– Oui, merci, maman. Gros bisous, à demain.

Maman. Est-ce que c’est comme ça que je parlais à ma mère ? Que je terminais une conversation téléphonique, avec des bisous ? Maman qui viendra me chercher demain, maman qui restera avec moi toute la journée… Est-ce que je finirai par aimer totalement ma maman sans ressentir de gêne, sans même me poser cette question ?

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