31 août 2017

Lyon

Mon enfant, mon bébé, mon tout petit... Je t'écris ces quelques lignes alors que tu n'es même pas encore arrivé dans ma vie. Mais, comme on dit, "il faut qu'on parle". Apparemment, il est temps pour moi de devenir ta maman. Apparemment, les Autres ont leur mot à dire sur Nous. "Il est temps", "Quand vas-tu te décider ?", "Alors, tu nous le fais quand ?", "Tu sais, les enfants, il ne faut pas les faire trop tard", "Alors, toujours pas enceinte ?", "Tu n'aimes pas les enfants ?"... et j'en passe.

Voilà ce que j'entends quand Ils me parlent de toi... Et ça me brise le coeur. Mais, peut-être que tu auras envie de t'en choisir une autre, de Maman, si je ne sais pas y faire avec toi ? Peut-être que j'aurai envie de m'en choisir une autre, de vie, si tu ne sais pas y faire avec moi ? Comment sent-on que nous sommes prête pour ce bouleversement ? Doit-on écouter sans mot dire toutes les histoires et les profils types qu'Ils tentent de nous imposer ?

Et le libre-arbitre, dans tout ça ? "On" me parle d'horloge biologique et de temps qui passe... "On" me rebat les oreilles avec cette histoire d'instinct maternel. Ce concept si abstrait mais tellement en vogue qu'il finit par m'angoisser... "On" me met la pression... Mais si je ne l'ai pas, cet instinct, comment pourrai-je prendre soin de toi ? Selon Eux, une fille devient femme pour donner la vie. Et si ce n'est pas son désir, alors c'est presque comme si elle cessait d'être une femme à leurs yeux.

C'est fou ! Mais ne t'inquiète pas pour autant ; j'ai bien envie qu'on se connaisse un jour. Et toi ? Me pardonneras-tu si je ne parviens pas à te préserver très longtemps de cette vie de dingue ? Me pardonnerai-je de rater un de tes spectacles à cause d'une réunion ? Ou une réunion à cause d'un de tes spectacles ? Et si tu perds ton doudou, réussirons-nous à nous rassurer mutuellement ? Et si je me sépare de ton papa, seras-tu indulgent avec nous de ne pas être des parents exemplaires sur tous les plans ?

J'essaie en vain de me persuader qu'être maman n'est pas inné, mais les Autres sont comme des ombres inquisitrices rôdant autour de nous. Comme des monstres cachés sous un lit. C'est oppressant. C'est effrayant. J'ai envie de te promettre que mes bras seront ton bouclier contre les mauvais moments de la vie. J'ai envie de te promettre que mes baisers sur ton front t'apaiseront et te donneront confiance en Nous.

J'ai envie de te promettre que j'aimerai toujours ton papa. J'ai envie de te promettre que je ne te décevrai pas. Mais, tu sais, malheureusement, les adultes font parfois des erreurs, et on ne se rend pas toujours compte du mal que l'on peut infliger. Et, dans la vie, on ne peut pas toujours faire ce que l'on veut. Mais il nous faut faire ce que l'on peut. Pour devenir ta Maman, je dois accepter l'idée de ne pas pouvoir tout contrôler, de me tromper, d'apprendre de toi et de moi-même.

Je dois me convaincre qu'il n'existe pas de maman parfaite. Ni de papa parfait. Pour mieux t'aider à te faire une place dans ton existence. Mais peut-être m'aideras-tu à y voir plus clair ? Pour être honnête avec toi, j'ai peur de devenir ta maman. Un peu. A cause de ces Autres cachés dans la pénombre à épier tous mes faits et gestes pour savoir si tu arrives bientôt. Parce que, tu comprends, il semblerait que je n'aie pas le droit de réfléchir à Nous par compassion avec toutes celles qui essaient en vain d'accueillir un de tes copains.

Je comprends leur détresse, je la respecte, alors je me tais. Parce que le meilleur respect que tu peux avoir envers toi-même, en plus de t'aimer, c'est de respecter autrui. Mais, à toi, je peux me confier. Tu vois, même les adultes ont peur de quelque chose. Je ne crains pas de te voir débouler à grand renfort de couches, de sourires et de bêtises. Non. J'ai peur de ne pas être à la hauteur. A ta hauteur.

A la hauteur de cette autre maman toujours impeccablement présente dont les enfants n'ont aucun épi dans les cheveux parce qu'elle aura eu le temps de les coiffer le matin pour l'école. Cette autre maman toujours à l'heure pour tout, qui participe à toutes les sorties scolaires tout en trouvant le temps d'aider ses petits à faire leurs devoirs dans une maison toujours impeccable. Cette autre maman qui te dit qu'elle compatit à ta situation avec cette petite lueur mesquine dans le regard qu'elle pose sur les enfants des autres. Cette super-maman sur papier glacé...

Moi, j'ai juste envie d'être ta maman. Une maman qui te dit que le plus important le matin n'est pas de porter des chaussettes assorties, mais de s'être régalé au petit-déjeuner. Une maman qui vient quelquefois te chercher en retard à l'école, mais qui t'explique en te couvrant de baisers que la vie est ainsi faite et qu'il faudra résister toi aussi. Une maman qui se fâche de temps en temps parce que tu auras besoin de respecter des règles pour te construire sainement et sereinement grâce à tes parents.

Je pourrais te promettre monts et merveilles, mon bébé. Mais force m'est de constater que ce serait malhonnête envers toi et moi. Tout ce que je peux te dire, c'est que, si tu me choisis, je ferai de mon mieux pour te guider et t'accompagner dans la vie pour que tu en comprennes toute la complexité. Et sa beauté aussi. Il suffira d'ouvrir les yeux et le coeur. Je te chuchoterai à l'oreille tout mon amour et même si je chante faux mais que ça te plaît, je t'apprendrai peut-être des chansons pour dormir, danser, ou passer le temps.

Nos gâteaux au chocolat pourront embaumer toute la maison et resteront éventuellement dans ta mémoire comme un super souvenir, ta madeleine de Proust ! Si tu me choisis, tu seras mon tout petit, mon enfant, mon adolescent, mon adolescent-maintenant-adulte, mon sang, un coin de mon esprit, une voix dans mon oreille, l'amour que j'aurai créé.

En attendant, si tout cela doit arriver un jour, je vais essayer d'allumer la lumière pour faire disparaître ces Monstres dictateurs qui m'effraient tant, et te laisser le temps de me murmurer une date de ton choix pour notre premier rendez-vous... ne t'en fais pas... je suis là...