K.
Le 23 juillet 2018
Agen
Mon frère,
Les mots me manquent à ce jour pour t'exprimer tout mon chagrin. Pour quel endroit magnifique es-tu parti ? Dis-moi. J'aurais du te montrer davantage l'amour que je te porte, mais la communication était difficile entre nous. Peut-être aussi n'avais-je aucune idée de la façon dont j'aurais pu être plus démonstrative. Nous sommes ainsi dans la famille, tu le sais déjà. Et maintenant, tu ne peux le constater que mieux. Comment vas-tu ?
Il faut un jour que je te fasse part de quelque chose de merveilleux que je vois chaque matin chez moi depuis notre dernière entrevue. J'y trouve un peu de réconfort face à l'idée que je ne te reverrai pas avant longtemps.
Tu sais, je ne cuisine plus. Je cherche des réponses dans mes livres qui, pour la première fois, me laissent seule. Sur ce point, ils m'abandonnent. Je voudrais qu'il fasse nuit la plupart du temps, car le jour me fait trop mal. Il me rappelle ton départ, à chaque minute qui défile. La musique, autrefois notre moteur quotidien, au pire m'insupporte, au mieux glisse sur moi comme pour atterrir dans le néant. Je me nourris de silence, dans ma maison reculée, à défaut de ressentir un quelconque plaisir. Mais c'est un silence criant de réalité, qui me hurle dans les oreilles sans pour autant me rendre sourde à la douleur. Au contraire. Je me suis transformée en automate, en robot, en comédienne multipliant les masques pour donner le change face aux paroles vaines et vides de sens que l'on me sert au quotidien, "pour me consoler"... Je ne danse plus. Pourquoi le ferais-je ? Sans toi pour m'encourager en souriant. Sans toi pour m'accompagner.
Aurai-je assez de nos souvenirs pour survivre à ton éloignement ? J'aurais probablement du faire en sorte de nous aménager plus de moments ensemble. Les enfants de notre famille ne se rendent pas (encore ?) compte de ton absence. Je pense que c'est mieux ainsi ; ils sont petits. Nous prendrons le temps nécessaire pour répondre à leurs questions quand ils en ressentiront le besoin.
Tu sais, je suis convaincue que la vie est une pute. Je ne tiendrais pas le même discours si elle ne s'en prenait pas aux innocents. Les semaines et les mois qui viennent seront très difficiles pour nous tous, et j'ai peur. J'ai comme été propulsée dans une dimension inconnue dans laquelle je ne trouve pas de place, ni de phare pour me guider. As-tu trouvé cette sérénité que tu méritais tant ?
Mon frère, j'ai pleuré. Je te pleure encore. Je te vois déjà froncer les sourcils si je te dis qu'une partie de moi a disparu avec toi. Avec tes yeux bruns. Et pourtant, c'est vrai. Comment se reconstruire ? Où trouver la force de se lever le matin quand tout nous semble vain ? Où es-tu ? Qui croises-tu ? Peux-tu seulement nous apercevoir ? Chaque jour est une souffrance que je peine à endurer. J'observe le monde autour de moi s'agiter, s'énerver, consommer, se perdre en futilités et se rendre fou pour des détails. Comme un mauvais film, tourné qui plus est en noir et blanc, juste pour coller à la mode...
Je n'aime pas ce que je vois. Je n'aime pas ce que j'entends. Je n'entends pas ces Autres. Je suis désolée que la vie t'ait imposé toutes ces épreuves. Tu t'es toujours montré fort, comme tous les hommes de la famille ! Tu es notre fierté, et nous aimons à penser que tu nous accompagnes au quotidien. Que tu es présent. Tout est arrivé trop tôt et trop soudainement.
Alors, s'il-te-plaît, donne-nous le temps de continuer à échanger à notre façon avec toi.
Je t'embrasse.
Ta petite soeur.
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