Nous sommes arrivés dans la constellation du fourneau, ou quelque chose comme ça. Les réparations se sont bien déroulées, l'équipe que je forme se débrouille de mieux en mieux. Nous avons juste perdu l'eau en suspension, pour le plus grand soulagement d'Olga et de ses deux condisciples. Je suis alors sortie en extérieur pour détacher un bout de tôle autour de la balise ennemie que j'avais découvert en passant le vaisseau au peigne fin. Satanés Mecalus : ils veulent nous poursuivre à travers toute la galaxie ! Nous avons collé deux fusées dessus pour l'éloigner de nous le plus possible. Le système solaire en lui-même ne présentait pas grand intérêt et nous nous apprêtions à répartir.

Mais voilà, notre voyage est décidément loin d'être tranquille. Nous étions en train de lancer notre prochain saut en triche-lumière lorsque notre vaisseau a été stoppé net. J'ai lancé les senseurs à leur niveau maximum, en couplant avec mes capacités psi spécifiques à la technologie. C'est là que j'ai découvert un miroitement anormal dans l'espace, comprenant alors que c'était un vaisseau spatial qui utilisait une forme d'invisibilité. J'ai pu le percer à jour grâce à mes compétences particulières et j'ai alors vu une forme, inconnue de Sauti. J'ai filé dans la salle des machines après avoir prévenu l'équipage, tandis que le capitaine les organisait en ordre de bataille.

Le temps de redémarrer toute la technique (et surtout les moteurs), nous avons commencé à être scannés mentalement. J'ai vite senti, ou compris, que cette puissance mentale me cherchait, moi. Sans doute à cause de ma capacité de lien technologique qui m'avait permis de les trouver.

J'ai donc filé vers Mimba pour qu'elle me protège d'un bouclier mental. Mais ce ne fut hélas pas suffisant. Une boule blanche lumineuse, sans doute de l'énergie pure d'une sorte que nous n'avions jamais vu, est entré dans le vaisseau comme dans du beurre malgré nos boucliers. Elle filait et traversait les coursives et surtout les baharis. Je comprenais ce qu'elle cherchait : moi, pour le moment cachée par Mimba. Cette dernière a tenté de la repousser, sans succès. Je lui ai alors dit de laisser faire, ressentant de leur part une sorte de message rassurant et non agressif. Mon corps s'est alors effacé sous les yeux des autres, absorbée par la boule d'énergie qui est alors repartie.

Ils ne savent pas totalement ce qui s'est passé ensuite. Je sais qu'ils m'ont cherché sur la planète habitable du système solaire, qu'ils ont rencontré ceux qui vivaient dessus pour tenter de me retrouver.

De mon côté, j'ai rencontré le peuple qui m'a enlevé. J'avoue, j'ai commencé par leur dire qu'ils étaient de fieffés imbéciles d'avoir fait ça ainsi au lieu de demander gentiment notre aide. Leur apparence était à la hauteur de leurs pouvoirs étonnants : translucides et lumineux, dans des tons irisés à violets, couverts de symboles indéchiffrables, ils communiquaient uniquement par télépathie. Ils m'ont alors expliqué le drame de leur peuple, pratiquement décimé. Or ils avaient une potentielle solution, quelque chose qui me colla des frissons comme lorsque je nage dans un courant glacé sur Bahari : retourner dans le temps, dans le passé, pour pouvoir revenir avant la catastrophe et gérer les choses différemment afin d'y échapper. Le plus fou dans tout cela est qu'ils y étaient presque, grâce au concours d'humains arrivés là 15 ans plus tôt en crashant leur vaisseau sur la planète habitable. J'ai compris que nous étions d'ailleurs dans une base au pôle nord de cette même planète.

Ils m'ont emmené à la machine à voyager dans le temps, à qui il ne manquait qu'une seule chose : ma capacité de lien psi technologique. Car pour le reste, deux des douze humains y avaient contribué, en complément de leurs propres capacités. Seulement deux d'entre eux, mais qui avaient décidé pour les dix autres qu'eux tous serviraient de "piles humaines" pendant des années, le temps que quelqu'un avec mes capacités se présente. Ainsi, depuis 15 ans, ils étaient là, entubés physiquement à la machine. Leur seul avantage était la forme de stase dans laquelle ils étaient plongés, les maintenant en vie et sans vieillir. Visuellement, en revanche, c'était à la limite du choquant.

Mais la suite l'était sans doute tout autant, voire plus. Dans leur procédé de retour dans le passé, ce peuple jouait gros : cela marchait, ou bien tous mourraient - même si, moi, je réussissais l'interfaçage et le lancement de la procédure. Considérant qu'ils étaient au bord de l'extinction, ils étaient prêts à prendre le risque.

Mais moi, étais-je prête à mourrir pour les aider ? Car c'était la raison pour laquelle ils m'avaient enlevé plutôt qu'ils n'avaient présenté leur requête : je pouvais y passer vu la complexité de la machine. Pas les humains, a priori. Juste moi, car mon esprit risquait de ne pas être capable de gérer ce qui allait se passer. Le pourcentage de réussite était plutôt en ma défaveur... Alors j'ai négocié : je voulais que mon équipage, que je réussisse ou que j'échoue, puisse en tirer avantage. Rt pas n'importe lequel : que cela nous protège de nos poursuivants. Ils m'ont alors proposé leur technologie pour rendre le vaisseau invisible. C'était juste parfait. Mon potentiel sacrifice en valait la peine. Que je réussisse ou que j'échoue, KInga Ya Sasa serait dorénavant capable de devenir invisible.

Puisque j'écris ces lignes, c'est que j'ai bien sûr réussi. Je suis épuisée, je ne suis pas sûre d'avoir compris et identifié tout ce que j'ai mis en marche, mais je sais seulement avec certitude que, non seulement cela a fonctionné, mais aussi que le peuple mystérieux a survécu à l'opération. J'ai le secret espoir de me dire que la nouvelle ligne temporelle qu'ils ont emprunté les amènera à croiser mon chemin un jour. J'ai contribué à sauver leur espèce. Je suis trop fatiguée pour le réaliser pleinement. Mais je suis soulagée et heureuse d'avoir réussi. Je suis sortie de la base du pôle nord, j'ai rejoint les autres en leur expliquant vaguement ce qui s'était passé. Mon épuisement ne m'a pas permis d'entrer dans les détails, mais je leur raconterai tout ça.

Nous avons aussi récupéré les 12 humains, libérés de la machine. Je compte bien intégrer les deux inventeurs géniaux dans mon équipe, vu ce dont ils ont été capables. Pour les autres, il y aura un temps d'adaptation, mais après 15 ans de sommeil, ils en auront besoin de toute façon sur de nombreux plans.

Nous voilà repartis en triche-lumière. Nous savons maintenant, par les habitants de la planète que nous quittons, que nous sommes recherchés par les forces de l'ordre humaines. L'événement de la porte a été présenté à notre défaveur Par nos agresseurs et par les médias. Mais maintenant, nous avons un "cloaking device" : voilà qui ouvre des perspectives très intéressantes. Honorables ou non, d'ailleurs. Je crois que la fatigue l'emporte sur ma raison. Il est temps que je dorme.

J'ai une pensée pour les habitants de la planète qui vont probablement recevoir la visite des Mecalus sous peu... Mais comme c'était des empaffés, aux dires de mes camarades, sans doute l'ont-ils mérité.

Fin d'enregistrement.