Chapitre 1
Le soleil couchant baigne le vaste salon d’une lumière orangée et scintille sur le marbre blanc des murs et du sol. À travers les immenses baies vitrées, une vue imprenable s’offre sur la ville en contrebas, minuscule fourmilière depuis les hauteurs de l’Olympe. Une brise légère balaie et fait onduler les rideaux de soie, chargée de l’écho de la cité.
Héra surgit dans la pièce, vêtue d’une robe vaporeuse qui contraste avec sa chevelure de jais. Une ceinture d’or souligne la finesse de sa taille. Ses lèvres, serrées, laissent entrevoir son indignation. Elle s’avance d’un pas décidé, sa peau d’albâtre brille sous les derniers rayons du jour.
Quelques instants plus tard, Zeus surgit dans la pièce. Entrouverte, sa chemise blanche flotte et dévoile les courbes de son torse puissant. Un pantalon de lin beige complète son élégance désinvolte. Un demi-sourire adoucit ses traits virils sans rien ôter à son aura.
Les deux divinités se dressent face à face dans le Palais de l'Olympe. Héra est l'image même de la royauté, avec sa posture glaciale. Zeus, par contraste, vibre d'une énergie paisible, presque amusé par l'inévitable tempête qui s'annonce.
Les ombres s’étirent sur le sol poli tandis que le silence s'empare de la ville en contrebas. Autour de l'Olympe, les nuages se pressent, dissimulant la fureur divine aux yeux des mortels.
Héra tourne lentement la tête vers Zeus, le regard accusateur.
— Encore une de tes sordides escapades ? Combien de fois, Zeus, me forceras-tu à supporter l’humiliation de voir mon époux se vautrer avec des mortelles, réduisant ma dignité en poussière ?
Zeus lève les yeux au ciel et soupire, exaspéré. Il se dirige vers le bar et se sert un verre d’ambroisie. Le nectar divin étincelle dans la lumière dorée du soir. Il en prend une gorgée et savoure la douceur du breuvage. Sans se presser, il se tourne enfin vers sa femme.
— Héra, ma chère, ne crois-tu pas qu’après tous ces millénaires, cette jalousie est quelque peu… dépassée ?
La déesse se raidit, les narines pincées.
— Dépassée ? Tu oses qualifier mon indignation de dépassée ? Moi qui suis obligée de te regarder pendant que tu t’ébats avec ces créatures inférieures ? !
Sa voix s'éteint sur ces derniers mots. Ses yeux assassins, ses narines frémissantes trahissent sa rage. Autrefois, un seul de ses caprices aurait suffi pour punir les maîtresses de son mari volage, pour faire trembler le monde. Elle se souvient des heures où son pouvoir imposait la crainte. Mais aujourd’hui, affaiblie, elle est condamnée au silence, spectatrice impuissante des infidélités de Zeus.
Le dieu secoue la tête, fatigué de cette sempiternelle dispute. Il fait tourner l’ambroisie dans son verre, observant les reflets qui dansent sur la surface.
— Que veux-tu que je te dise, Héra ? Les temps changent. Nous ne pouvons plus nous comporter comme avant. S’adapter est nécessaire.
Héra fait deux pas en direction de son époux, ses poings serrés.
— C’est ainsi que tu te justifies ? En piétinant notre union sacrée, en traînant notre nom dans la boue pour des plaisirs indignes ? Et moi, comment devrais-je m’adapter, Zeus ? Dois-je, moi aussi, renoncer à toute vertu et m’offrir au premier venu ?
Elle s’avance vers lui, sa robe blanche ondule autour d’elle. Son doigt accusateur se dresse vers Zeus.
— Ton indifférence envers nos vœux sacrés est ce qui nous a conduits à la déchéance ! C’est à cause de toi, de ton inconstance, que les humains se sont détournés de nous !
Zeus plisse les yeux, le visage fermé. Il pose son verre sur le bar avec une lenteur délibérée, le tintement cristallin résonne dans le silence.
— Fais attention, Héra. Ma patience a des limites.
Mais la déesse, aveuglée par des siècles de ressentiment, ignore son avertissement. Elle continue sa tirade, sa voix montant jusqu’à devenir un cri furieux.
Et ainsi se poursuit leur conflit éternel, immuable comme le marbre de l’Olympe, aussi antique que le mont lui-même. Deux divinités enchaînées dans un cycle de jalousie et de trahison, incapables de briser le moule de leurs rôles millénaires. Et pourtant, ils s’aiment, d’une passion sublime, puissante et ancienne.
Zeus l'interrompt. Sa voix résonne dans le salon :
— Assez ! J’en ai assez de tes jérémiades incessantes, Héra. As-tu seulement pris un instant pour te remettre en question ? Pour considérer que peut-être, juste peut-être, ton propre comportement a contribué à éloigner les hommes de nous ?
Héra se fige, interloquée par cette soudaine contre-attaque. Avant qu’elle ne puisse répliquer, Zeus poursuit.
— Les temps ont changé, ma chère sœur. Les mortels ne veulent plus de dieux distants, perchés sur des piédestaux. Ils désirent des divinités impliquées, proches de leurs préoccupations. Et oui, ils souhaitent même être punis pour leurs péchés, car, vois-tu, ils affectionnent le péché !
Il laisse échapper un rire amer, secouant la tête avec incrédulité.
— Mais toi, dans ta tour d’ivoire, tu es restée aveugle à tout cela. Tu persistes à les traiter comme des animaux, sans jamais comprendre la beauté et la puissance de leurs amours. Tout est plus intense dans leur expérience, leur vie est tellement courte, ils ne peuvent pas se contenter de regarder passer les décennies, comme toi. J'ai besoin de cette énergie Héra, de la passion qu'ils mettent à vivre !
Zeus s’approche d’Héra, son regard intense plonge dans le sien.
— Si seulement tu pouvais ressentir, ne serait-ce qu’un instant, le bonheur qui naît de leurs étreintes charnelles. Peut-être alors n’aurais-je pas besoin d’aller chercher ailleurs ce que je ne trouve pas dans notre couche.
Héra ouvre la bouche pour protester, mais Zeus lève une main, la faisant taire d’un geste impérieux.
— Non, Héra. Cette fois, tu vas m’écouter. J’en ai assez de ton obstination, de ton refus de comprendre. Et j’ai décidé qu’il était temps pour toi d’apprendre.
Soudain, l’atmosphère dans la pièce change. L'air se charge d'une énergie ancienne et fondamentale. Les yeux de Zeus s’illuminent, sa silhouette grandit, emplissant l’espace de sa présence divine.
Les yeux d'Héra s'écarquillent, elle recule face à cette démonstration de puissance. Ses pieds cherchent un équilibre précaire. La peur et la surprise se disputent sur son visage. Elle lève les bras pour se protéger mais il est trop tard.
D’un geste théâtral, Zeus tend la paume vers elle. Un éclair aveuglant jaillit de ses doigts et la frappe en pleine poitrine. Le monde autour d’elle se dissout dans un maelström d’énergie pure. De toutes ses forces, elle essaie de combattre les vagues d’énergie qui mettent son esprit en pièce, qui la dépouille de son essence divine. Des bribes de sensations l’assaillent : une musique assourdissante, des lumières, une odeur âcre de sueur et de fumée. Elle tente de s’accrocher, d’y opposer sa propre magie, mais celle-ci lui échappe, se délitant comme du sable entre ses doigts.
La dernière chose que Héra perçoit, avant de se dissoudre dans une obscurité sans fond, est le visage de Zeus, grave et implacable, sa voix tonne à travers le chaos :
— Tu ne reviendras pas avant d’avoir compris, Héra. Pas sans avoir appris ce qu’est la véritable humanité.
Puis, tout devient noir, et Héra est précipitée dans les abysses du monde mortel, projetée vers un destin incertain.
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