Chapitre 2
L’éclair doré se dissipe, et l’espace explose en sensations. Le son d’abord — une musique qui vibre dans chaque cellule de ce corps étranger, les basses résonnent jusque dans ses os. Puis la chaleur — moite, vivante, oppressante — des gouttes de sueur perlent le long de sa colonne vertébrale. Les odeurs ensuite — un cocktail entêtant d’alcool, de parfums bon marché, de désir brut.
Chaque respiration apporte son lot de découvertes. L’air climatisé glisse sur ma peau presque nue. Le contact du tissu satiné de mes sous-vêtements. La tension dans mes mollets, sculptés par des années de spectacle en talons hauts. La pression de mes cheveux sur ma nuque, leurs effluves de coco, si différente des huiles suaves de l’Olympe.
Ma vision s’éclaircit lentement, comme un brouillard qui se dissipe. Des spots colorés dansent sur ma peau, transformant mes gestes en tableau chatoyant. Je sens — non, Marie sent — elle sent ses hanches onduler au rythme de la musique. Qui est Marie? Qui suis-je?
Cette précision des mouvements, cette conscience aiguë de chaque muscle, de chaque articulation… Même après des millénaires d’existence divine, jamais je n’avais ressenti avec une telle intensité la présence de mon corps.
Où suis-je et que fais-je ? Un homme sous moi sourit, mal à l’aise, mais captivé. Ses pupilles dilatées trahissent son désir, tout comme la légère rougeur qui monte à ses joues. Des sifflements résonnent tout autour de nous. Un club de danse ? Des individus hilares hurlent, rient et applaudissent, formant une bulle d’intimité factice dans la pénombre du club.
Je dois partir, m’éloigner, ma place n’est pas ici! Mais ce corps résiste. Mes doigts – ses doigts – glissent sur sa chemise, ressentant l’accélération de son pouls. Cette Marie connaît cette danse par cœur — non pas la chorégraphie, mais cet art subtil de créer une impression indélébile.
Je suis prise dans une tempête de pensées, de sentiments et de souvenirs. Vais-je me noyer, submergée par la vie de cette Marie ? Je ne distingue plus mes idées des siennes. Désespérée, je me concentre sur mon essence pour conserver mon individualité. Je suis comme un bateau ivre sur une mer d’émotions.
Quelque chose change en elle, je le sens. Sa respiration s’accélère, ses gestes deviennent fébriles. Chaque sensation semble prendre feu sous mon attention. Un désir brut bourgeonne dans son ventre. Impossible à ignorer. Il finit par bouillonner; je sens ses mains presser fort sur sa culotte entre ses jambes alors qu’elle roule le bassin face au visage de l’homme. Malgré les éclairs de plaisir qui jaillissent au contact de ses doigts, je perçois une alarme, une panique dans l’esprit de la danseuse. Elle tente de résister à cette excitation qui va bien au-delà de sa performance habituelle, de se contrôler, de réguler sa respiration.
Elle éloigne son corps et pose ses mains sur les épaules du jeune homme. Je sens ses pensées se recentrer sur son intention initiale, elle plonge son regard dans le sien.
Je comprends que Marie ne cherche pas à détruire, à blesser. Elle se réjouit de cueillir un fruit défendu, savoure l’idée que dans dix ans, lors d’une dispute conjugale ou d’une nuit d’insomnie, cet homme se remémorera cette soirée. Elle, une stripteaseuse, la forme de séduction la plus basse aux yeux du monde, elle hantera ses rêves plus sûrement que sa future épouse.
La rage me submerge. N’est-ce pas exactement ce que j’ai combattu pendant des millénaires? La trahison, le mensonge et la tromperie. Ces instants volés, ces séductions éphémères qui ont fait de mon mariage divin une farce aux yeux des mortels.
Jadis, j’aurais transformé cette femme impudique en araignée. Pour moins que ça, j’ai métamorphosé la nymphe Callisto en ours, je l’ai réduite à une vie de bête. Pour avoir attiré l’attention de mon époux, j’ai condamné Écho à répéter éternellement les derniers mots qu’elle entend. Mon impuissance m’enrage.
Zeus m’a bien piégée. Moi, la reine de l’Olympe, abaissée à sentir des paillettes bon marché coller à ma peau, à respirer cet air saturé de fumée artificielle et de désir animal. Ah! Quelle infâme souillure!
Autour de nous, des silhouettes se pressent dans la pénombre. Des verres à la main, ils se penchent, leurs regards lubriques suivant chacun de mes mouvements. Une vague de dégoût me submerge - ces mortels, leur sueur, leur haleine. Je tente de me redresser, de m'éloigner, mais mon corps refuse de m'obéir.
Non, pas mon corps. Son corps.
Malgré moi, ce corps - notre corps ? - se penche en avant. L'odeur de l'homme assis devant nous m'enveloppe. Son eau de cologne, et sous elle, quelque chose de plus... brut, plus animal. Une chaleur inattendue irradie dans mon bas-ventre. Est-ce le plaisir de Marie qui m'envahit ? Mon propre dégoût ? Les sensations s'enchevêtrent , impossibles à démêler.
Elle aime ça. Elle se délecte de leur désir.
L'horreur me frappe alors que je finis par réaliser où je suis, ce que je suis devenue. Une danseuse. Une séductrice. Comment ose-t-il me soumettre à cette luxure vulgaire ? Moi ! Je veux hurler, exiger que Zeus me libère, mais mes lèvres murmurent seulement...
— C’est mon cadeau pour ton dernier soir de liberté, chéri.
Le goût artificiel du gloss à la vanille qui inonde ma bouche me dégoûte. Je ne peux ignorer la satisfaction prédatrice qui émane de Marie. Cette mortelle ose prendre plaisir à son art, fière de son pouvoir de séduction comme l’une des danseuses sauvages de Dionysos.
La musique change, les basses vibrent jusque dans nos entrailles. L’air climatisé caresse notre peau. Elle danse telle une prêtresse corrompue, célébrant des instincts bestiaux. Ses hanches ondulent, et moi, impuissante et troublée, je découvre que ce corps contient une magie propre, qui rivalise avec celle des Dieux.
Elle se penche près de lui, son souffle contre son oreille, son corps sinuant lentement.
— Ta fiancée danse comme ça?
Sa langue trace sa mâchoire en une caresse légère jusqu’à son lobe qu'elle mordille.
— Est-ce qu’elle te fera brûler… comme ça?
Ses doigts se glissent sous sa chemise, le long de son abdomen, faisant contracter ses muscles. Je sens la peau de l’homme, les poils s'accrocher à ses ongles alors qu’elle introduit son pouce sous la ceinture, dans son caleçon, jusqu'à effleurer le bout de son érection.
Sa séduction mortelle le consume plus profondément qu'un enchantement divin — une vérité qui me remplit de dégoût et d’admiration.
Le futur marié déglutit, ses yeux ne quittent plus mon ventre ni mes seins. À travers les yeux de Marie, je découvre ce que je n'ai jamais osé observer : comment le désir transforme un homme, le rendant à la fois pitoyablement faible et étrangement beau. Les stroboscopes figent la scène en tableaux éphémères. Sa poitrine se soulève, une fine pellicule de sueur perle sur son front. Agripper au velours usé de la banquette, il semble lutter pour se retenir.
Marie fait glisser son index le long de son cou, suivant une veine palpitante. Moi, la déesse du mariage, je veux détourner le regard, mais ce corps refuse de m'obéir. Il continue à bouger, lascif, précis. Chaque caresse est calculée, chaque frôlement a une intention. Les sifflements des spectateurs se fondent dans la musique, créant une symphonie primitive qui éveille en moi une antique émotion.
La chaleur monte entre nos cuisses — une impression si terrestre, si crue que je tente désespérément de rejeter. Marie ondule plus près, nos seins à peine contenus par la dentelle effleurent la chemise de l’homme. L’odeur de son après-rasage se mêle maintenant à celle plus intime de son désir.
Un gémissement s’échappe — à qui appartient-il? La frontière entre la déesse et la danseuse s’estompe dans une brume de sensations.
Elle dégrafe son soutien-gorge de dentelles noires et plonge ses yeux dans ceux de l’homme. Le malheureux, je ressens son malaise, son envie furieuse d’admirer cette poitrine exposée. Je sens Marie sourire à l’intérieur, elle se mord la lèvre sensuellement. Elle l’invite du regard et cambre le torse. Elle amène le bout de ses seins sous le nez du pauvre garçon. A nouveau, les sensations de Marie semblent s’enflammer sous mon attention. Une partie d’elle réalise perplexe que son intimité est trempée, elle doit se contrôler. Mais sa volonté est embrumée par l'excitation qui pulse entre ses reins.
Les hanches accentuent leur mouvement et elle appuie fermement son sexe sur l’érection de l’homme. Il n’a pas le droit de la toucher, c’est la règle. Mais elle, elle est libre. Je sens son clitoris frotter sur le tissu de la culotte, son téton durci caresser les lèvres de l'homme. Je me dégoûte... ces sensations impures envahissent mon esprit . Je n’arrive à penser à rien d’autre qu’à ce contact.
Pourrais-je me comporter de cette façon avec Zeus, pourquoi ne l’ai-je jamais fait?
Nous entendons ses amis crier des encouragements. Marie a le contrôle absolu sur lui mais peine à maîtriser son propre corps. Le rythme s’accélère et elle ne lâche plus du regard son prisonnier. Elle ne veut pas qu’il se cache, elle va apprécier chaque instant de sa soumission.
J’observe avec stupéfaction cette femme s’emparer du plaisir de ce pauvre garçon. Elle lui vole sa nuit de noces, voilà son intention!
Elle s’insinue dans son esprit pour être encore là quand les futurs époux célébreront leur union. Elle salit leur couple! Cette pirate, ce démon succube!
Sous ses mains, je devine les muscles de la proie se crisper, ses abdominaux se serrer. Marie approche son visage jusqu’à appuyer notre front sur le sien. Nos souffles se mélangent. Le bassin de l’homme tressaille sous moi puis se détend. Quelle étrange satisfaction!
Le hoquet du futur marié, ses pupilles dilatées, la tension dans ses épaules — autant de petites victoires qui nourrissent nos âmes. La musique pulse comme un cœur géant, et dans ce rythme primitif, je sens mon essence céleste vaciller.
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