Chapitre 4

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Victoria monte l’étage qui la sépare de son bureau et s’avance vers la réception. Derrière le comptoir, la jeune femme repousse précipitamment une salade. Ses joues s’empourprent, elle déglutit avant de réussir à parler.

— Bonjour, Madame Chen.

Victoria s’arrête à peine.

— Veuillez envoyer James à la cafétéria pour me chercher un lunch. Des sushis. Qu’il me les apporte en personne.

La secrétaire cligne des yeux, hésite, puis bégaye:

— Mais… je ne sais pas où…

Sa voix meurt lorsqu’elle aperçoit le froncement de sourcils de Victoria, qui ne lui accorde même pas un regard avant de se détourner et de s’éloigner.

— Bien, Madame. Ce sera fait tout de suite…

Elle s’efforce de sourire, mais Victoria a déjà disparu au bout du couloir.

La secrétaire reste immobile et murmure:

— Bonjour, merci, ça t’écorcherait la bouche, espèce de lézard glacial…

D’abord, une antichambre sobre et fonctionnelle. Puis, l’espace principal, vaste et lumineux, s’ouvre sur une vue panoramique de la baie. La décoration mêle influences orientales, paravents sculptés, estampes délicates, et mobilier nautique aux courbes élégantes. Un salon intimiste se dresse face à un grand bureau en bois.

Victoria avance vers le fond de la pièce et presse un poussoir chromé dissimulé dans la paroi. Un panneau s’entrebâille, révélant un recoin privé: un dressing et une salle de bain.

Elle se campe devant le miroir. Face à elle, une métisse aux traits harmonieux, la peau sombre et lisse. Des yeux noirs cherchent dans le reflet à déchiffrer un mystère.

43 ans. Est-elle encore belle? Toujours désirable?

James. Comment la voit-il… elle?

D'un tiroir, elle sort un rouge à lèvres, applique la couleur avec précision. Non. Trop provocant. Elle l’efface avec un mouchoir. Puis, après une hésitation, déboutonne d’un cran sa blouse.

Victoria vient à peine de s’asseoir que son écran affiche James à la porte, un plateau à la main. Fébrile, elle presse sur la commande d’ouverture.

Elle se redresse d’un mouvement brusque et appuie ses fesses contre le bureau. James entre. D’un geste de la tête, elle lui indique la table basse du salon.

Malgré le poids des soucis liés à MOS Tech, elle n’a pas réussi à le chasser de son esprit de toute la matinée. Cet après-midi, elle n’a pas de rendez-vous avant 15 h. Elle le suit et se campe derrière lui alors qu’il se baisse pour poser le plateau.

Il se redresse et pivote. Il est grand; malgré ses talons, il dépasse Victoria d’une demi-tête. Tout son langage corporel respire le respect, sauf la lueur qui brille dans son regard.

— Je peux faire quelque chose d’autre pour vous, Madame Chen?

— Peut-être bien… As-tu déjà mangé?

— Non, Madame.

— Arrête de m’appeler Madame. Assieds-toi et mange avec moi.

Victoria s’installe dans le canapé face à James, croise lentement les jambes. Elle ouvre le plateau et dispose les sushis sur la table basse avec des gestes maîtrisés, presque languides.

— Assieds-toi, insiste-t-elle en désignant la place à côté d’elle.

James hésite un instant, puis obéit. Il se penche pour attraper une paire de baguettes, le regard baissé.

— Tu es toujours aussi nerveux quand tu es avec moi? demande-t-elle en piquant un maki.

James lève les yeux, un sourire timide aux lèvres.

— Je suppose que j’aimerais faire bonne impression.

Elle rit légèrement.

— C’est bien. Mais quelle impression te fais-je, moi?

Il se redresse. Ses joues s’empourprent, son regard reste ancré dans le sien.

— Vous êtes… impressionnante, Victoria.

Elle incline la tête, le dévisage, essayant de lire entre les lignes.

— Impressionnante? C’est un mot bien vague. Tu me vois comme… une patronne intransigeante? Une femme autoritaire?

James hésite, son sourire s’élargit à peine.

— Vous êtes belle. Brillante. Intimidante, parfois. Mais pas seulement.

Une chaleur diffuse envahit la poitrine de Victoria, entre satisfaction et appréhension. Elle se penche, ses coudes appuyés sur ses genoux.

— Et quoi d’autre?

James cligne des yeux. Il ouvre la bouche, cherche ses mots, mais Victoria ne lui laisse pas le temps de se dérober.

— Je ne te demande pas de flatter ma vanité, James. Je veux savoir ce que tu vois vraiment. Je ne suis plus une jeune femme, alors sois honnête. Est-ce que… je suis encore désirable?

La question plane entre eux.

— Victoria, vous êtes… magnifique.

Elle sourit.

— Ce n’est pas ce que je souhaite entendre. Magnifique, élégante… ce sont des mots pour la distance. Je parle de désir, James. De ce qui fait tourner une tête, perdre le contrôle. Est-ce que je peux toujours provoquer ça?

James reste silencieux, mais son corps le trahit. Victoria capte la tension dans sa mâchoire, la manière dont son regard glisse sur son visage, ses lèvres et sa poitrine. Elle suspend l’instant, attendant qu’il ose répondre.

— Oui, murmure-t-il. Oui, vous le pouvez.

Elle se redresse, effleurant distraitement ses cheveux qui couvrent sa poitrine.

— Alors, montre-moi, James. Prouve-le-moi.

James se penche doucement. Ses doigts frôlent les boutons de sa blouse. Elle reste immobile, le menton légèrement relevé, l’observant. Tout en elle vacille.

Un premier bouton. Son cœur s’emballe et son excitation me contamine. La pression relâchée est comme un barrage qui lâche, pas seulement sur son corps, mais sur quelque chose de plus profond, qui fait écho avec mes fantasmes anciens.

Un deuxième bouton, puis un troisième. Elle s’embrase. Ses émotions se heurtent en vagues contraires: un mélange de peur, d’excitation, et cette exaltation qu’elle n’avait plus ressentie depuis des années.

Ce n’est pas qu’un désir charnel. C’est le temps qui bascule, lui accordant un sursis, une jeunesse volée aux dieux.

Quand le dernier bouton cède, la blouse glisse sur ses épaules, dévoilant sa peau nue, frissonnante sous l’air tiède de la pièce. Les mains de Victoria tremblent légèrement, mais elle ne détourne pas le regard. Mise à nu, fragile, vulnérable.

— James, est-ce que mon corps est encore désirable?

Sa voix est basse, rauque, un mélange d’audace et de supplication. James s’arrête un instant, levant les yeux pour plonger dans les siens.

— Oui, Victoria.

Il incline la tête, si près que son souffle chaud caresse son oreille. Il inspire profondément, s’imprégnant de son odeur, avant de murmurer:

— Oui, Victoria. Vous êtes la plus belle femme que j’aie jamais approchée.

Ces mots brisent la dernière barrière. Victoria ferme les yeux, respiration hachée. Sa langue effleure son lobe, envoyant une onde électrique jusqu’au creux de son ventre.

Sa bouche descend le long de son cou, traçant une ligne brûlante de baisers. Sa gorge, puis ses seins. À travers la dentelle fine, il mordille délicatement un téton durci, arrachant à Victoria un soupir tremblant, presque douloureux dans son intensité.

Je ressens tout. Comme avec Marie, cette danseuse, je me laisse contaminer par ses émotions. Son esprit vacille, oscillant frénétiquement entre peur et excitation. Toute raison a disparu, toute conscience d’elle-même s’efface, emportée par un tourbillon de sensations.

James continue, ses mains coulent sur sa taille avant de la repousser doucement en arrière, allongée sur le canapé. Là, il s’agenouille entre ses jambes, ses lèvres traçant une ligne de feu le long de son ventre. Plus de femme mariée, plus de PDG. Seulement un corps, vibrant d’un besoin irrépressible.

Victoria sent sa jupe glisser le long de ses hanches, suivie du tissu léger de sa culotte. James explore lentement l’intérieur de ses cuisses, marquant chaque centimètre, jusqu’à ce qu’il atteigne enfin son sexe.

Et là, tout bascule. J’ai vécu des milliers d’années, traversée des éons en simple spectatrice. Consciente, présente en moi-même en une ligne ininterrompue de pensée. Mais pour la première fois… j’ai disparu.

Le temps s’efface. Mon essence immortelle se dissout dans la tempête. Des vagues, des secousses, des explosions. Une fusion brutale avec l’instant. La peur, l’hésitation, tout est balayé par cette pulsion viscérale. Le plaisir est absolu. Transcendant.

Finalement, je reviens à moi. Différente. Victoria, elle aussi, n’est plus tout à fait la même. Dans ce tumulte, j’ai partagé une partie de mon âme divine avec elle. Une étincelle. Une bénédiction, ou peut-être une malédiction. Ce moment a changé la nature même de son être. Victoria n’est plus seulement humaine. Elle rapproche plus de ses lointains cousins, ces héros, enfants de mortels et de Dieux.

James se redresse, ses lèvres plongent dans un baiser furieux. Toutes les barrières sont tombées, toutes les inquiétudes envolées. Victoria, haletante, le repousse contre le canapé. Sa voix est rauque, un mélange d’autorité et de désir.

— Laisse-moi m’occuper de toi.

D’un geste fébrile, elle déboutonne son pantalon et le tire le long de ses jambes. Le téléphone de James glisse de la poche et tombe sur le tapis. Il tend le bras pour le ramasser, son regard capte celui de Victoria.

Elle s’interrompt. Un sourire naît. Une lueur espiègle brille dans ses yeux, un défi silencieux. James effleure l’écran du doigt et murmure:

— Tu es tellement belle… J’aimerais te filmer. Te garder avec moi. Te revoir chaque soir.

Victoria ne répond pas. Lentement, ses lèvres frôlent sa peau, glissant le long de son membre en une caresse maîtrisée, le regard rivé au sien. Un expression joueuse éclaire son visage alors qu’elle reprend ses mouvements, plus langoureux, plus intenses.

James active la caméra. Il la contemple, fasciné. Ses mains s’aventurent dans ses cheveux, jusqu’à sa nuque, et la guident avec une douceur possessive.

Victoria redresse la tête, le souffle court, les joues empourprées. Son regard s’ancre au sien, ardant. Rien d’autre n’existe. Elle s’abandonne entièrement, disparaît dans l’instant.

— Je veux te garder avec moi, même quand tu n’es pas là. Que je puisse te revoir. T’aimer.

Ce qui suit n’est qu’une déferlante de sensations, une perte totale de retenue, un vertige qui brouille mes limites morales.

Victoria bascule sur le dos. Le corps gluant de sueur, haletante. Puis, sans un mot, James se redresse. Il enfile ses vêtements à la hâte et disparaît vers son bureau. Victoria lui indique simplement la porte secondaire de la salle d’attente, celle qui permet de partir sans être vu.

Sous le jet de la douche, l’eau froide frappe le visage de Victoria. Lentement, la réalité reprend ses droits. L’expérience que je viens de traverser à travers elle m’a bouleversée. Nos esprits se sont mêlés au-delà de tout ce que j’aurais cru possible.

Un corps ne peut abriter deux âmes. Maintenant, j’en suis certaine: ma présence amplifie tout — les émotions, les sensations, jusqu’à la perte de contrôle. Ce désir furieux qui l’a consumée… Ce mélange d’odeurs, de fluides, de goûts. Je découvre l’étendue infinie du plaisir.

Est-ce cela que Zeus poursuivait, chaque fois qu’il me trompait? La pensée s’insinue en moi, troublante, avant de se muer en une colère brûlante. C’était donc cela qu’il s’offrait, encore et encore, sans jamais me le partager? Une phrase me revient, insupportable: « Peut-être alors n’aurais-je pas besoin d’aller chercher ailleurs ce que je ne trouve pas dans notre couche. »

Victoria coupe l’eau, arrache une serviette et se sèche. Ma colère l’imprègne, serpente dans ses pensées, infectieuse. Elle quitte la salle de bain, nue, ramasse ses vêtements éparpillés.

De retour à son bureau, elle se laisse tomber dans son fauteuil et attrape son téléphone.

— Edward. Sa voix est tranchante. J’ai réfléchi. La meilleure solution, c’est d’aller voir David directement. Maintenant que nous savons qu’il est intéressé, pourquoi ne pas lui faire une offre irrésistible?

Un silence. Edward hésite.

— Victoria. Je ne lui fais pas confiance. Il nous a déjà trahis une fois. Et volés, par-dessus le marché.

— Je le sais, mais je crois qu'il est encore plus dangereux en dehors de Chen Industries. Ce n’est pas un imbécile, il connaît où sont ses intérêts.

Nouvelle pause. Puis, d’une voix résignée:

— Très bien. Mais promettez-moi une chose: pas de décision sans m’en parler. Pas cette fois.

— Ne vous inquiétez pas.

Elle raccroche.

Une force monte en elle, un élan irrésistible. Ce que James lui a révélé dépasse le simple plaisir charnel: elle a touché une autre partie d’elle-même, une assurance qu’elle n’avait jamais exploitée.

David écoutera. Il n’a pas oublié ce qu’elle lui a donné. Et il sait tout ce qu’elle peut encore lui offrir.

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