Chapitre 8
Ritz-Carlton — 11 h
— David, c’est Victoria.
— Ah! Victoria, je suis content de t’entendre. Tu as réfléchi à ma proposition?
— Tu ne me laisses pas le choix. Je suis forcée d’accepter.
— Tu as pris la bonne décision, Vic. Ne dramatise pas, tu as tout ce qu’il te faut dans la vie.
— Écoute, David, je veux régler ça rapidement. Je passe chez toi ce soir, je signe tout ce que tu veux, mais tu me rends la vidéo.
— Chez moi? Mmmh… je ne sais pas…
— David, je ne supporterai pas une autre humiliation. Je ne sais pas où aller, je ne veux voir personne, et je veux que personne ne me voie. S’il te plaît… tu n’as donc aucune pitié?
— Ne pleure pas, Vic, ne pleure pas.
Un silence.
— C’est bon, OK. Viens à la maison. Passe à 20 h 30. Par contre, pas trop long, j’ai une soirée ensuite. Tu te souviens du chemin jusqu’à ma villa sur Sandy Lane?
— Oui, je me rappelle.
— À tout à l’heure, Vic. Ne sois pas en retard.
Victoria retire lentement le téléphone de son oreille.
Elle ouvre Signal et envoie un message à Gideon.
— Ce soir, rendez-vous avec David, 20 h 30, Mill Valley.
— Bien reçu. Tout sera prêt.
Ritz-Carlton 18 h 30
Victoria remonte dans sa chambre, les bras chargés de paquets. Des vêtements achetés dans les boutiques de l’hôtel: un jogging, un hoodie, une paire de baskets, une casquette, des lunettes de soleil.
Dans la salle de bain, elle tresse ses longs cheveux. Personne ne la reconnaîtra dans cet accoutrement.
Son téléphone vibre. Andrew. Elle s’immobilise, fixe l’écran sans bouger. Laisse sonner. La boîte vocale s’active. Depuis son message laconique lui annonçant un voyage d’affaires imprévu, elle n’avait plus osé le contacter. Lui, en revanche, n'abandonne pas. Il la harcèle littéralement.
Un regard à l’horloge. Gideon arrive dans quinze minutes. Elle ouvre le minibar, saisit une bouteille de vodka. Elle dévisse le bouchon, sa main tremble.
Ritz Carlton - 19 h
Deux coups secs. Gideon entre, pantalon cargo noir, t-shirt moulant.
— OK, Patronne, tout est en place.
Sa voix est posée, efficace.
— La camionnette est en bas, le voiturier vous attend avec une location. Vous respectez l’itinéraire programmé sur le GPS. Arrêt en bas de la rue. On vous suit à distance, on vous a collé une balise. Tout est clair?
— Entendu.
D’un coup d’œil, il jauge Victoria, puis sourit.
— On ne vous reconnaît pas, Patronne. On dirait une Kardashian.
Il sort un objet de sa poche et le tend.
— Téléphone intraçable.
Il lui désigne deux touches.
— Ici, pour m’appeler. Là, en cas de danger.
Son expression se durcit.
— À utiliser en ultime recours. Après ça, ce sera l’impro totale. Compris?
— Compris.
— Un dernier point, un coursier va venir chercher votre téléphone et l’amener chez vous. Pas vu pas pris. Il y a un risque que quelqu’un ouvre le paquet ?
— Non, il sera directement déposé dans mon bureau par le personnel.
— Vous le chargez et le laissez allumé. On veut que vous soyez visible. Pas de regrets de dernière minute?
Victoria secoue la tête. L’appréhension monte en elle. Moi, je savoure. Ce moment me remémore les guerres d’antan. Les plans, l’héroïsme du champ de bataille, les stratagèmes déployés pour orienter le destin des hommes.
La porte se referme sur Gideon. Elle saisit son téléphone, et écrit à Andrew.
« Je suis de retour tout à l’heure, je t’aime. »
La réponse ne tarde pas.
« Enfin !!! Mais tu devras m’aimer toute seule, je suis de garde cette nuit. Ne m’attends pas. »
Sandy Lane, Mill Valley — 20 h 15
Victoria ralentit et arrête sa voiture à l’intersection de Sandy Lane et Sarah Drive. Une minute plus tard, une camionnette noire se glisse derrière elle.
Le téléphone vibre.
— Victoria.
La voix de Gideon est tendue.
— Vous savez ce que vous avez à faire. Trouvez un moyen, mais restez discrète. Il nous faut cette vidéo. Je n’aime pas le plan B, mais je refuse que vous vous exposiez inutilement.
— C’est bon, je vais le faire.
— Bonne chance, Victoria.
— Merci, Gideon.
Elle coupe l’appel et redémarre, avançant lentement jusqu’à l’allée de la villa de David. Belle maison. Petite, comparée aux standards du quartier. Un repaire de célibataire. Une garçonnière.
Elle enfonce sa casquette, ajuste ses lunettes, inspire profondément. Elle sort du véhicule et monte vers la porte d’entrée. Elle sonne.
— Bonsoir, Victoria.
David la détaille, un sourire aux lèvres.
— Tu as changé de style, dis-moi. Tu te prépares déjà à ta nouvelle vie?
Il lui fait un clin d’œil. Ses pupilles brillent.
— Viens, on s’installe au salon. On pourra bavarder un peu.
La décoration est un cauchemar de mauvais goût. LED colorées, meubles noirs et blancs en verre, canapés en cuir aux armatures chromées. Un bar imposant, en désordre. Des bouteilles vides s’amoncellent.
Face à eux, un écran géant diffuse une chaîne d’information. Victoria sent une vague d’angoisse la saisir à sa vue.
— Assieds-toi. Tu bois quelque chose ?
Elle hésite.
— Tu as de la vodka?
David s’éclipse au bar et revient avec deux verres, remplis à ras bord. Il lève le sien, un sourire toujours accroché aux lèvres.
— À nous, alors.
Victoria le fixe, immobile. Regard hagard. David descend une grande rasade. Elle l’imite, avale une gorgée. Une pointe d’espoir bourgeonne en elle.
— David, je suis venue te demander de renoncer.
Sa voix tremble à peine.
— En souvenir de ce qu’on a partagé. De notre amitié.
Elle inspire, lutte contre la douleur qui lui broie la poitrine. L’humiliation. La trahison de James. David s’approche, pose une main légère sur son épaule. Elle serre les dents, continue.
— Nous pouvons revoir notre offre, trouver une solution… Mais rends-moi cette vidéo. Je t’en conjure. Fais-la disparaître.
Sa voix se brise.
— Ce n’est pas moi. Je ne sais pas ce qui m’a pris…
David s’assied à côté d’elle, la scrute longuement.
— Victoria… Ma Victoria. Tu sais que je veux t’aider. Vraiment.
Un sourire contrit effleure ses lèvres. Il baisse les yeux, semble découvrir son verre dans sa main et boit à nouveau.
— Oui… Tu mérites une autre chance…
Victoria oscille entre angoisse et espoir.
— Mais moi, j’ai besoin de Chen Industries.
Il marque une pause, l’observe, puis reprend, plus bas:
— Tu avais raison sur un point. MOS Tech est au bord du gouffre. La caisse est vide.
Il s’adosse au canapé, un sourire en coin.
— Tu crois vraiment que je vais revenir, la queue entre les jambes, pour être ton petit toutou?
— Tu n’as jamais été mon petit toutou, David!
— Allons, Vic…
Son ton se fait faussement doux.
— Tu sais que je n’ai pas le choix. Je veux réellement t’aider, mais je ne peux pas. Je dois sauver ma boîte. Tu peux comprendre ça?
— Pas comme ça, David.
Sa voix tremble.
— Tu n’as pas le droit.
Il ricane.
— Pas le droit? C’est toi qui le dis.
Il se penche légèrement vers elle.
— Qui t’a forcée à te taper le stagiaire?
Le silence s’épaissit. Un rictus tord ses lèvres.
— Ça n’a pas été long. J’admets que James est beau comme un dieu. C'est pour cette raison que je l’ai choisi.
Il la sonde. Savoure sa réaction avec un sourire venimeux.
— Tu en as bien profité, non? Il m’a tout raconté.
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