Chapitre 4
Samedi matin, Altyna est assise dans la petite cuisine, devant un bol de muesli. Elle est vêtue d’un t-shirt et d’une culotte, assise de travers, un pied sur une chaise. Bernard se trouve de l’autre côté de la table.
— J’ai rencontré une fille cette semaine, au salon.
Berni lève les yeux de son café.
— Oh ! Tu dragues au boulot maintenant ?
— Non ! C’est juste que… je ne sais pas. Je ne peux pas m'empêcher de penser à elle. Elle n’avait rien à faire au shop.
— Hein ? Alors, pourquoi elle était là ?
— Tu comprends rien. Elle est belle, elle est classe, tu vois ? Pas le genre à se faire tatouer la chatte, ni à venir dans ma boutique de seconde zone.
— Elle s’est fait tatouer la chatte ?
— Non, oui… Putain, Bernie, c'est pas ça que je veux dire. Je sens un truc avec elle.
— Haha, je sais ce que tu sens…
— Tais-toi, Bernie. Elle sentait très bon. Et de là aussi.
Altyna plisse les yeux
— Si ça se trouve, je me fais des idées. Elle est mariée, hétéro, et elle me prend pour une tarée…
Son téléphone vibre sur la table. Un numéro inconnu.
— Oui ?
— Salut, c’est Greta… Tu te souviens, Margarethe Müller ?
Altyna ouvre de grands yeux. Elle se lève et gesticule en pointant le téléphone, mimant les paroles.
C’est elle !
— Hé Greta ! Tout va bien ? Tu as un problème ? Le tatoo ne réagit pas bien ?
En face, Berni montre la zone du tatouage avec un air idiot. Altyna lui intime de se taire et le chasse d’un signe. Il reste immobile, l’oreille tendue.
— Non, non… Le tatouage est super. J’ai enlevé le pansement, il est magnifique. Dis… La fête, celle dont tu m’as parlé… Est-ce que… enfin, l’invitation tient toujours ? Sinon, c’est pas grave, je…
— Elle tient ! Viens.
Altyna ouvre la bouche, la referme.
— … Allo Altyna ?
— Oui… Je te l’ai dit, tu es la bienvenue. Passe à l’appart vers 21 h. Je t’envoie l’adresse.
— Si tard ?
— On commence par l’apéro, je te présente tout le monde et on sort vers 2 h.
— Ah… Ok… Merci, j’ai vraiment besoin de me changer les idées…
Altyna raccroche et tient le téléphone sur sa poitrine, un sourire jusqu’aux oreilles.
— Et bien, ma pauvre Titi, ça promet. Tu as dû faire forte impression à son minou. N’empêche, emmener ta bourgeoise au Berghain, c’est chaud.
Altyna se fige.
— Merde ! Mais non… Elle connaît Berlin…
C’est une sensation qu’elle a toujours adorée : l’attente du premier rendez-vous. Ce frisson, mélange d’inquiétude et d’anticipation. Pourtant, elle hésite. Qui est vraiment Greta. Pourquoi a-t-elle décidé de venir ce soir ?
Dans le doute, mieux vaut être prête. Elle range, aère, change les draps, renverse l’appartement comme un ouragan.
Tania sort à demi de sa chambre, en culotte et seins nus. Les yeux gonflés et ses cheveux roux flamboyant plaqués d’un côté.
— C’est quoi le problème ? Il n’est même pas midi !
Depuis le canapé, Bernie lâche, amusé :
— Titi est amoureuse…
Tania lève les yeux au ciel et referme la porte.
Air frais, odeur de propre. Altyna se laisse tomber sur son lit, tend les jambes et agite ses orteils. La clarté qui inonde la pièce révèle une fine ombre sur ses tibias. Merde. Elle remonte jusqu’à l’échancrure de sa culotte. Merde.
Direction la salle de bain. Elle s’épile des pieds à la tête aux pieds, nue, assise sur le bord de la baignoire. Lorsqu’elle atteint son pubis, sa main s’attarde, emportée par ses pensées. La sensation de la peau de Greta : sa douceur, son grain. Ses seins, même dissimulés, semblaient avoir une forme parfaite.
Lentement, ses doigts effleurent son clitoris. Elle ferme les yeux, appuie la tête contre le carrelage froid. Ses mouvements s’accélèrent, ses muscles se tendent. Elle s’imagine goûter les lèvres et la langue de Greta.
La porte s’ouvre. Bernie entre et se fige. Altyna serre les jambes, sa main toujours coincée entre ses cuisses.
— Tu veux quoi, Bernie ? On ne peut pas avoir deux secondes de paix dans cette baraque ?
— Je… désolé. J’avais besoin…
Il montre l’évier, incapable de détourner les yeux. Elle lui indique la sortie d’un regard appuyé. Bernie recule enfin et bafouille.
— Tu pourrais quand même fermer à clé ou faire ça dans ta chambre.
À travers la porte, Altyna lui répond.
— Désolé, Bernie, c’était pas prévu. Je te laisse la salle de bain dans cinq minutes si tu as besoin de te soulager.
Elle éclate de rire.
En début de soirée, l’apéro commence. De la bière et des joints circulent. Altyna évite de fumer, à mon grand soulagement. J’appréhende la perte de contrôle que cette drogue implique. Une simple mortelle ne devrait pas avoir le privilège de plonger dans mes souvenirs ou de pénétrer mon esprit. Après Victoria, je sais que je dois faire preuve de prudence : les humains sont fragiles.
Depuis près d’une semaine que je l’accompagne dans sa vie, je suis captivée par cette créature. Sans effort, elle ébranle les fondements mêmes de mes valeurs. Cela fait des siècles que je n’ai pas connu une telle liberté. Je suis avec la meilleure version de moi-même. Je n’ai pas pensé à l’Olympe ni à Zeus une seule seconde aujourd’hui.
Je m’émerveille de la mélodie de l’allemand, des odeurs, des sensations de ce corps parfait, des plaisirs solitaires qu’elle s’offre fréquemment.
Pourquoi la Reine des dieux n’aurait-elle pas le droit de se caresser, de se procurer du plaisir sans l’aide de personne ? Je sais que cette pensée est absurde. Mais son esprit m’infecte, je n’arrive plus à me concentrer.
Je suis tirée de mes considérations par un sursaut d’adrénaline. La sonnette retentit. Altyna bondit sur ses pieds, sous le regard amusé de Bernie. Vêtue simplement d’un jean moulant et d’un top court, pieds nus, elle ouvre la porte.
Greta se tient là.
Les deux femmes se font face, dans un silence gêné. Je ricane. Il existe donc quelque chose dans ce monde capable de troubler ma fière nomade.
Apprêtée, préparée, la beauté de Greta explose à sa vue. Son maquillage met en évidence la délicatesse de ses yeux et la perfection de sa bouche. La vision de ses lèvres éveille en Altyna un désir furieux, presque douloureux.
Greta est habillée avec une élégance sobre : un chemisier en satin crème qui contraste avec la ligne d’une jupe fourreau noire. Des escarpins rouges ajoutent une touche audacieuse. Face à la pétrification d’Altyna, Greta finit par hausser un sourcil, intriguée.
— Greta, tu es venue… je veux dire, tu es là. Entre.
Elle l’accompagne dans le salon. Greta fait deux pas dans la pièce, puis s’arrête net, les pieds joints, les mains crispées sur sa petite pochette. Son allure soignée passerait inaperçue sur un rooftop chic du Mitte, mais semble hautement improbable ici.
Bernie, en jogging. Manuel, torse nu, affalé. Tania, dans le t-shirt trop grand de Manu, complété cette fois d’un micro short en jean. Bernie se lève, essuie ses paumes sur son pantalon avant d’en tendre une à Greta.
— Bonjour, je suis Bernard, mais tout le monde m’appelle Bernie.
Greta ouvre la bouche, mais Bernie enchaîne aussitôt :
— Toi, c’est Greta ? Titi nous a beaucoup parlé de toi. Tu aimes les tatouages ? Tu veux une bière ? Viens, installe-toi. T’en veux ?
Il lui présente un fond de joint miteux. Greta secoue la tête et jette un regard affolé à Altyna.
Tania surgit alors, passe son visage par-dessus l’épaule de Bernie. Elle détaille Greta des pieds à la tête avec une moue appréciatrice. Altyna repousse la main de Bernie.
— Greta, comme il te l’a dit, c’est Bernie. Elle, c’est Tania, et là, c’est son copain Manu. Viens, je te fais visiter… Enfin, je te montre ma chambre.
Elle rit et entraîne une Greta partagée entre sidération et salutations polies.
Un lit double occupe l’espace, et un petit bureau est coincé dans l’angle. Altyna referme la porte derrière elles.
— C’est pas grand, mais c’est pas cher non plus.
Elle se laisse tomber sur le matelas et invite Greta à faire de même. Toujours embarrassée, Greta lisse machinalement sa jupe avant de s’asseoir sur le bord du lit. Elle tourne timidement la tête vers Altyna, qui l’observe.
— Quel est le programme de ce soir ? Tu ne m’as pas dit où vous… nous allons.
— Il y a une soirée techno marathon cette nuit au Berghain.
Greta écarquille les yeux.
— Au Berghain ? Je… je n’ai jamais… Je ne crois pas que je peux.
— Pourquoi ? Mais oui, bien sûr que si ! Je serai avec toi.
Elle marque une pause, détaille Greta du regard avant d’ajouter :
— Bon, c’est vrai que tu ne rentreras jamais avec tes fringues.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? Ce n’est pas joli ? La vendeuse du magasin m’a dit…
Altyna se propulse en avant et s’installe à côté d’elle, leurs épaules presque collées.
— Tu es magnifique, c’est juste que ce n’est pas le style du Berghain. T’inquiètes, je suis sûre que Tania peut te prêter une tenue.
— Tu es sûre ?
— Certaine ! On va te transformer en clubbeuse d’élite.
Elle marque une pause, puis ajoute, malicieuse :
— Dis-moi, Greta… Même si nous avons déjà été intimes…
Elle lui fait un clin d’œil. Greta rougit.
— Je ne sais toujours pas qui tu es ni pourquoi tu es venue ce soir.
D’abord réticente, Greta finit par se détendre au contact d’Altyna. À Berlin depuis un peu plus d’un an, au ministère. Avant, elle résidait à Munich, à faire un doctorat sur l’influence russe en Asie Mineure. Elle est en plein divorce, ne connaît personne en dehors de ses collègues, et vit seule dans un petit appartement.
Altyna lui parle aussi d’elle : sa grand-mère, sa passion pour le dessin, son apprentissage de tatoueuse. Greta a 32 ans. Altyna, 26. Tout les oppose, et pourtant, côte à côte, la connexion est fluide. Je reconnais le pouvoir d’Altyna. Sa nature lumineuse doit être comme un aimant irrésistible pour une femme en quête de repères.
— Montre-moi le tatouage, Greta. Je veux voir s’il cicatrise bien.
Greta s’allonge sur le lit et soulève son chemisier. Altyna se penche sur elle, effleurant doucement la surface du dessin, à la recherche d’une inflammation ou d’une irrégularité. Toujours sa peau. C’est presque une obsession dans son esprit. Greta fixe le plafond.
— Je peux contrôler le pubis et l’aine ? … Je ne veux pas que tu te sentes mal à l’aise.
Sans un mot, Greta hoche la tête, les yeux toujours rivés.
Altyna desserre légèrement la fermeture, tire le bord de la robe et fait glisser la culotte. Juste assez pour dévoiler une toison soigneusement entretenue.
Un bref contact, le bout des doigts frôlent la peau. Puis elle laisse remonter les vêtements.
— C’est parfait ! Tu as senti quelque chose ? Une douleur ?
— Non, pas… pas particulièrement.
— Bon, alors on est OK pour la soirée ! Viens, on va boire un verre.
L’ambiance se détend, et Greta abandonne peu à peu sa réserve, aidée par quelques vodkas pomme. Elle découvre que Bernie fait lui aussi un doctorat en sociologie, mais qu’il est en vacances pour l’été. Tania travaille à moitié comme serveuse dans un bar.
À minuit passé, tout le monde est éméché. Altyna se lève et annonce :
— Bon, on se prépare. Tania, tu pourrais prêter une tenue adaptée à Greta ?
Tania disparaît dans sa chambre, puis revient et dit à Greta, espiègle :
— Madame, votre parure est sur le lit.
Dix minutes plus tard, Greta apparaît à la porte, le visage rouge de gêne. Elle porte une robe minimaliste en latex noir, ultra-ajustée. De grandes ouvertures sont découpées dans le tissu, exposant ses hanches, son ventre et l’arrondi intérieur de ses seins. Sur les côtés, sa culotte est visible à travers les trous.
Un instant de silence, puis des applaudissements et des exclamations fusent. Greta se fige. Altyna se lève et s’approche d’elle.
— Il n’y a pas moyen qu’on te refoule à l’entrée, tu es une bombe !
Elle l’observe sous tous les angles, un sourire en coin.
— Et regarde comme ton tatouage est éclatant.
Elle tire légèrement sur le tissu de la culotte, exposant un peu plus la peau sous l’ouverture.
— Par contre, ça se porte sans rien en dessous.
Greta avale sa salive. Son attention glisse sur Tania, qui lui adresse un clin d’œil.
— Si tu fais comme une vraie Berlinoise, personne ne te remarquera. Sinon… on ne verra que toi.
Greta vire à l’écarlate.
— Je ne sais pas… Je ne peux pas sortir nue, quand même ?
Altyna passe un bras sur son épaule.
— Laisse-nous nous préparer, et tu décideras après, OK ?
Greta hoche la tête et s'assit.
Quelques minutes plus tard, Altyna apparaît. Son torse est entièrement nu, seuls deux morceaux de scotch noir en croix couvrent ses tétons. Elle porte un mini-short en vinyle doré ultra-brillant, taille basse, si bas qu’il dévoile l’ibis tatoué sur son pubis. Une paire de Dr. Martens usées et des bracelets à clous complètent l’accoutrement.
Bernie arbore un pantalon en résille et un boxer en cuir en dessous. Un harnais croisé barre son torse nu. Tania, elle, a opté pour un body ouvert : ses seins sont couverts, mais ses tétons dépassent à travers deux découpes circulaires. Sa toison rousse est parfaitement mise en valeur par une fente plus bas. Rouge à lèvres noir, couettes hautes, bottes plateformes.
Elle observe le groupe et lâche :
— Si on ne rentre pas avec ça, j’arrête la fête.
Tania se plante devant Greta, toujours assise.
— Alors, on l’enlève, cette culotte ?
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