Chapitre 5 - Stargate

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Greta sort de la salle de bain, sa culotte à la main. Tania applaudit et lève le bras pour capter l’attention.

— OK, deux taxis viennent. On se sépare maintenant et on se retrouve dans le Berghain. Je vais avec Manu et Bernie. Toi Altyna, tu pars avec Greta. Tu connais un peu Sven, il y a plus de chance qu’il la laisse entrer avec toi.

Greta interroge des yeux Altyna qui lui chuchote.

— Je t’explique plus tard.

— Si on se fait refouler, on se rejoint sur Am Wriezener Bahnhof.

Les deux taxis les attendent sur la place, Greta et Altyna s'assoient sur la banquette arrière.

— Greta, dis-moi que tu connais le Berghain ?

— De nom, c’est une grosse boîte de nuit ?

— Ce n’est pas une boîte de nuit, c’est le temple de la fête. Le meilleur club.

Elle lève le doigt.

— Pour ceux qui peuvent y entrer…

Elle marque une pause, laisse planer l’idée.

— C’est là le problème. Il a son cerbère, Sven Marquardt. Lui et son équipe te dégagent d’un clin d’œil si ta tête ne leur revient pas. Tu rigoles ? Tu dégages. Tu stresses ? Tu dégages. Tu regardes autour de toi ? Tu dégages. Et pas la peine de négocier.

— Mais je passerai jamais…

— Sven me connaît un peu. On s’est déjà croisé dans des salons de tatouage. On va faire comme si on est ensemble ok ?

La panique envahit le visage de Greta.

— Ensemble, tu veux dire comme si on sort ensemble ?

— Détends-toi, Greta. Personne ne nous demandera de nous rouler des pelles. Le club favorise les queers. Alors, tu ne t’intéresses pas à eux et tu me laisses faire. Tu y parviendras ?

Greta hoche la tête. Altyna lui presse brièvement la main.

— Dans la file, on ne parle plus. Tu regardes devant toi. Il y a des videurs tout le long. Si ta robe te remonte au-dessus des fesses, tu fais comme si c’était normal. Tout au bout, si on y arrive, il y a une plateforme. Dessus, encore des videurs, le grand type barbu et tatoué, c’est Sven. Il va nous regarder une seconde et décider si on rentre ou pas. Tu le mates comme s’il n’avait aucun intérêt. Pas d’admiration, pas de défi, pas de panique. Juste l’air de quelqu’un qui a déjà vu mille fois ce genre de mec et qui s’en fout. Ok ?

— Mais… ils sont fous ?

Altyna rit doucement.

— Non. Ils gardent l’entrée de l’endroit le plus incroyable du monde. Fais-moi confiance. Le Berghain, c’est Stargate. Derrière, c’est une autre planète.

Le Berghain est un énorme bâtiment carré, une ancienne centrale électrique reconvertie en club. Massif, brut, planté au milieu d’une zone industrielle, à côté de la gare de triage de la Ostbahnhof. Pas de fenêtres, pas de décoration, juste une masse de béton imposante.

Depuis la rue, une file s’étire entre des barrières sur un terrain vague. L’entrée de l’édifice est baignée de lumière blanche, crue, exposant chaque personne au regard impassible du comité de sélection. Ici, impossible de passer inaperçu.

En descendant de la voiture, Greta tire instinctivement sur sa jupe, qui arrive à peine en haut des cuisses. Altyna sourit en la voyant faire.

— Tu es déjà sortie comme ça ? Sans rien sous ta robe ?

Greta secoue la tête et tire encore, en vain. Elle jette un coup d’œil autour d’elle.

— C’est gênant… J’ai l’impression que tout le monde me regarde.

Elle baisse les yeux, fait tourner un bracelet autour de son poignet, puis lâche dans un souffle :

— Mais en même temps, c’est un peu… excitant.

Altyna acquiesce, un sourire en coin. Elle lève les sourcils deux fois, moqueuse. Altyna presse brièvement la main de Greta.

— Bon, on y va. Tu te colles à moi, tu ne penses à rien. On en a au moins pour une heure.

Elles se placent dans la file, Tania et les deux garçons dix mètres en avant. Il est 1 heure du matin, la nuit devient fraîche. Greta se tient près d’Altyna, la peau couverte de chair de poule. Un frisson la traverse et elle sourit timidement. Altyna lui répond d’un clin d’œil discret avant de reporter son regard devant elle, dans le vague. Elle glisse une main autour de la hanche de Greta et approche son corps du sien, partageant sa chaleur.

Un couple bavarde devant elles. L’homme sort son téléphone et l’écran bleu éclaire son visage.

Soudain, un individu en noir fend la foule. Il s’adresse à eux :

— Vous pouvez vous en aller.

Ni son ton ni son expression ne laissent place à la discussion. Ils restent figés, incrédules. La fille tente de négocier, mais le videur avance d’un pas et désigne la rue d’un simple mouvement de menton.

Elle tourne un regard implorant vers Altyna, qui ne cille pas. Ils finissent par baisser la tête et s’en vont.

Altyna serre la taille de Greta, un geste imperceptible pour l’empêcher de bouger. Son visage reste détendu.

Mètre après mètre, elles s’approchent de l’entrée. Le silence imposé de l’attente se mélange aux vibrations des basses qui sourdent du bâtiment. L’esprit d’Altyna tourne. Toute son attention est fixée sur le contact avec Greta. La chaleur de son corps, son bras qui effleure le côté de son sein, sa main posée sur la hanche dénudée. Et encore, la douceur de cette peau.

Sappho célébrait l’amour entre femmes, mais moi, j’ai toujours condamné ces relations qui détournaient les épouses de leurs maris. Greta devrait tout tenter pour sauver son mariage.

Par Aphrodite, j’ai envie de goûter cette femme.

Cette pensée fuse dans les reins d’Altyna, un choc qui contracte les muscles de son vagin. Elle serre Greta contre elle, s’efforce de garder son calme.

Encore une fois, je vois l’inconscient de mon hôte réagir à mes émotions. Un ping-pong de sensations s’installe entre mon esprit et le sien. Son bas-ventre s’enflamme, son sexe se trempe, et elle retient une furieuse envie de rouler des hanches.

J’essaie de clore mon esprit, de lui rendre son contrôle, mais ma propre faim grandit. Elle se mord la lèvre et fixe droit devant. Tania, Bernie et Manu passent la barrière et disparaissent à l’intérieur. Déjà ça.

Encore quelques pas et elles entrent dans la lumière, prêtes pour l’évaluation finale. Elle serre toujours Greta contre elle. Dans les derniers mètres, je sens son bras se refermer autour de notre taille. Une connexion naît.

Altyna s’arrête et lève la tête. Le regard de Sven la cueille net. Un bref contact, avant que les yeux du videur ne se tournent vers Greta. Le temps est suspendu. Il fronce imperceptiblement les sourcils.

Non !

Altyna glisse sa main plus haut, la pose sur le sein de Greta. Dans son esprit, elle prie.

Pitié Greta, c’est le moment de montrer que tu as ce qu’il faut.

Greta bombe le torse, offre sa poitrine et tourne la tête vers Sven… mais fixe un point derrière lui. Un instant figé. Sven revient vers Altyna. Un éclair d’amusement traverse son regard.

Il incline à peine le menton vers la porte d’entrée.

Altyna a une furieuse envie de sourire, mais elle reste stoïque jusqu’à disparaître du champ de l’impitoyable videur. À l’abri, elle attrape les mains de Greta, les serre un instant, puis l’embrasse sur la joue.

— Yes !

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