Déjà petite, elle avait été une enfant très lunaire. A quatre ans, sa mère, Marie, justifiait ses hallucinations comme étant le fruit d'une imagination débordante.

- C'est une enfant unique, qui a besoin de peupler son univers d'amis imaginaires voilà tout ! disait-elle à ses amis lorsque Héléna manifestait quelques actes d'extravagance.

Ce n'est que bien bien plus tard que Marie confessa à sa fille le souvenir d'anecdotes qui l'avaient pourtant, pour le moins, inquiétée sur son état psychique. Notamment l'une d'entre-elles, marquante, un soir, où, comme chaque soir, procédant au cérémonial du coucher, quelque chose commença à l'interpeller vraiment.

- Maman, il y a un mort sur le mur. Héléna montra du bout de ses délicats doigts d'enfant le mur contre lequel était accolé son petit lit. Aucun signe tangible d'une quelconque présence n'était pourtant visible.

- Ah bon ma chérie !

Malgré les remarques fantasques de sa fille, jamais Marie n'aurait eu l'idée de remettre en question la véracité de ses déclarations. Il lui aurait semblé couper ce cordon imaginaire qui ne l'avait jamais reliée que dans cette façon de communiquer dépourvue de censure, dans cette fusion qu'elle avait réussi à établir avec cette enfant qu'elle avait désirée bien avant qu'une demande d'agrément ne soit accordée par l'Aide Sociale à l'Enfance. Le miracle arriva, Héléna était encore un nouveau-né. Il semblait que tout ce qui entre elles, n'était pas passé par l'ombilic avait été transmis par les voies d'un lien invisible, d' une attention singulière, bienveillante et aimante.

- Et il est plutôt méchant ou plutôt gentil ? se contenta-t-elle de lui répondre avec tendresse.

- Il est plutôt gentil oui ! répondit Héléna dans un large sourire. Ses deux iris vert olive devenaient alors presque imperceptibles. Son sourire, en s'épanouissant, octroyait à ses yeux en amande la forme de deux lignes s'étirant à l'infini. Ses deux billes finirent par rouler sur le côté comme pour échapper à la réalité de ces manifestations invisibles et revenir au monde.

Devant la récurrence de ces déclarations fantasmagoriques en société mais aussi par crainte d'être convoquée par les services sociaux, elle décida de passer un pacte secret avec Héléna par lequel il était interdit de parler de ça devant des inconnus.

Marie s'était alors dit que sa fille était différente en tous points et que définitivement rien, jamais, ne la vouerait à un destin commun.