5 - Engeôlé 1

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Visiblement, les vampires ne disposaient pas de prison à proprement parler. Sephenn gigotait entre deux tonneaux dans une cave sombre, tentant d'améliorer sa position. Il souffrait aux articulations avec ses membres toujours attachés.

Un bruit de pas attira son attention, il tenta une fois encore de lancer son esprit pour percevoir quelque chose, sans succès. Les épais murs et la porte de bois étouffaient les voix des arrivants. Sephenn reconnut son « geôlier », Wyrn, l'un des Esprits Rouges qui l'avait capturé et Mafarion Lunedore. Le quatrième lui rappelait le timbre de son père, avec un ton un peu hautain.

– Je ne vois pas de quoi vous vanter, commentait le quatrième. Agir en Junsîl de votre propre initiative va à l'encontre des lois, voilà tout ce qui m'importe.

La porte s'ouvrit.

– Vous ne me ferez pas croire que cela ne vous plait pas que votre rejeton traître paie un peu ! crâna Mafarion.

Sephenn jura.

Le vampire qui pénétra dans la pièce en premier présentait une version plus âgée d'Elliot équipé d'une canne de marche sophistiquée. Dylan De La Lune baissa ses yeux aux iris noirs vers le prisonnier.

– Relisez les registres, Lunedore, je n'ai qu'un fils du nom de Tatian, lâcha froidement le grand-père de Sephenn.

– Tout à fait, appuya l'Esprit Rouge, nous voulions être sûrs de votre avis sur son traitement.

– Emmenez-le au Champ de Hanneau et signalez-le au maître, trancha sire Dylan. Cela distraira le peuple.

Sephenn soutint son regard en chargeant le sien de haine.

– Vous pouvez le renier autant que vous voulez, mon père vous ressemble ! Le même visage, la même voix, mais il vaut cent fois mieux que vous !

Une ombre passa devant le visage de Dylan De La Lune.

– Aussi provocateur que mon beau-frère, soupira-t-il. Prévenez également les Des Lunes.

– Hé, vous ne pouvez pas me garder prisonnier, j'ai des droits ! protesta Sephenn. Vous devez me ramener en Ragguî…

L'Esprit Rouge le bâillonna avant de le hisser sur son épaule. Sephenn fut transporté comme un sac avant d'être jeté sur le dos d'un animal quadrupède à la peau écailleuse. Son manutentionnaire transmis les consignes à des acolytes avant de monter en selle.

Bringuebalé sur le dos de la monture reptilienne, Sephenn tenta de se débattre sans succès tant la poigne de son garde était solide. Ses mèches virevoltaient devant ses yeux et avec la tête vers le bas, il ne voyait pas grand-chose du trajet. Ils finirent par arriver, après une longue course au galop, dans une ville au sol rempli de détritus. L'endroit débordait d'éclats de voix assourdissants.

L'Esprit Rouge manœuvra rapidement avant de s'arrêter et de descendre Sephenn. L'adolescent leva les yeux sur le bâtiment vers lequel ils s'avançaient. Il fut un instant fasciné par la beauté de la large bâtisse, ornée de sculptures grandioses. Les encadrements de fenêtre étaient décorés de chimères et les linteaux de porte représentaient des bouches béantes, dotées de canines longues jusqu'au sol.

Fermement tenu par l'Esprit Rouge, Sephenn fut traîné dans la bâtisse. Les couloirs étaient équipés de lanternes, dont le verre gravé créait un jeu de lumière avec l'irrégularité des flammes. Le jeune homme comprit d'instinct qu'ils étaient purement placés là dans un intérêt de confort visuel, car leur lumière était superflue pour la vision nocturne des vampires. Son père avait recherché cet effet dans leur maison, sans parvenir à obtenir une telle beauté.

L'Esprit Rouge le dirigea dans un dédale de couloirs plus petits, dont les lanternes avaient laissé place à des torches, plus classiques. Ils parvinrent enfin à une grille. L'Esprit Rouge appela pour faire venir le gardien des lieux, un vampire patibulaire au visage marqué par une grande cicatrice, qui sortit d'une pièce derrière la grille. Il plissa les yeux pour détailler Sephenn.

– Un nouveau prisonnier, se contenta d'expliquer le garde.

Le gardien plaça sa main sur un petit panneau, situé à l'emplacement habituel des serrures. Un déclic se fit entendre et la grille s'ouvrit, laissant passer Sephenn et son garde. Le gardien referma la grille derrière eux, avant de les précéder le long du couloir, jusqu'à une lourde porte de pierre.

Une nouvelle fois, il plaça sa main sur un panneau gravé dans la pierre, qui s'ébranla toute seule et se releva dans le plafond. Des gémissements et de nombreuses respirations saccadées parvinrent aux oreilles de Sephenn. Ensuite, il se prit une bouffée d'odeur rance d'effluves humaines et de déjections. Il était difficile de dire si l'odeur incommodait aussi l'Esprit Rouge. Ce dernier le traina dans la salle obscure.

Le gardien tira sur une chaîne, à côté de la porte, et une cage suspendue s'abaissa devant eux. L'Esprit Rouge détacha Sephenn avant de l'y faire entrer de force. La cage bien close, le gardien actionna la chaîne pour la refaire monter à près de trois mètres du sol.

Sephenn les couvrit allègrement d'injures, en vain, ses gardes l'ignorèrent royalement, alors qu'ils sortaient du cachot à la suite du gardien. La porte de pierre reprit sa place, privant les captifs de leur dernière source de lumière. Le métis expérimenta pour la première fois la sensation d'être dans le noir total.

Elias, accompagné de Luna et Rodyle, examinait les lieux approximatifs desquels Sephenn les avait contactés pour la dernière fois. Alicia était restée à la maison, à la fois pour veiller sur Tatian, et pour attendre des éventuelles nouvelles de son fils.

– Et maintenant, comment on sait où ils sont allés ? demanda Rodyle.

– Que répondrait un chasseur ? l'interrogea en retour Elias.

– On piste un animal en observant les traces sur le sol et les plantes environnantes, répondit malicieusement Luna. Ro, papa t'as appris comment faire, non ? Aide-moi.

Rodyle et Luna s'attelèrent à la traque des traces. De son côté, Elias tendait l'oreille à l'affut du moindre son. L'air bruissait des crissements des cigales, la douce brise transportait les senteurs de la forêt toute proche. La nature n'était jamais silencieuse pour les elfes. D'apparence calme, elle débordait d'activité, même la nuit. Elias affichait, lui aussi, une apparence calme, mais à l'intérieur, des sentiments opposés bouillonnaient. Ses vingts années d'expérience dans la magistrature de la tumultueuse Tarrinë, lui avaient appris à réguler ses émotions, et les cacher au second plan, car montrer sa peur à un prédateur, c'était demander de se faire attaquer.

En l'occurrence, Elias s'en servait pour apaiser son neveu et sa nièce, qui ne mesuraient encore pas toute l'étendue du danger.

Au bout de longues minutes d'attentes, Luna les alerta avec excitation, elle avait trouvé des traces de pas.

– Elles sont récentes, déclara-t-elle en les désignant.

– Tu es sûre qu'il s'agit de celles de Sephenn ? demanda l'elfe d'une voix qu'il voulait assurée.

– Ça ressemble à ses semelles, affirma Luna, et regarde celles-ci, elles doivent appartenir au vampire qu'il poursuivait.

– Il fait trop sombre pour que j'y voie, lui rappela Elias. Dans quelle direction vont-ils ?

– Par-là, vers le nord-nord-est.

– Alors allons-y.

Ils suivirent la piste minutieusement, s'arrêtant régulièrement, afin de permettre à Luna de vérifier les traces de pas. Enfin, Elias ressentit quelque chose qui ne devrait pas être là.

– Un portail. La plupart des espèces ne peuvent pas les voir, mais nos pouvoirs magiques nous permettent de sentir leur présence.

– Tu veux dire les passages entre les deux mondes ? interrogea Luna.

– Un portail inter-dimensionnel, comme dans Stargate ? ajouta Rodyle excité.

– Je ne sais pas ce qu'est starregeïte, mais, oui c'est cela. Il y en a un près d'ici.

« Ce qui confirme mes craintes » pensa Elias. Il avait pris le soin, quelques années plus tôt, de comparer l'emplacement de la maison de sa sœur, en Junsîl, à la géographie de la Rasîl. La frontière sud du territoire du clan De La Lune était à seulement une dizaine de kilomètre de la maison d'Alicia et d'Elliot. Par-rapport au portail, il devait rester moins de cinq kilomètres jusqu'à la frontière.

– Tu penses que Sephenn l'a emprunté ? interrogea Luna.

– On va vite le savoir. Le passage est juste devant nous, regardez où se dirigent les empreintes.

Rodyle et Luna, qui sentaient le portail, scrutèrent le sol pour confirmer la supposition de leur oncle ; les traces de Sephenn et du vampire disparaissaient soudainement au-delà de la source d'énergie.

– Celui-là doit être récent, expliqua Elias. Je me suis renseigné sur ceux de la région, il n'en fait pas parti. Notre ami a du tomber dessus et en profiter. Bien, je vais aller voir où il débouche, avec un peu de chance Sephenn y sera encore. Vous deux rentrez, je vous tiendrai au courant.

– On ne peut pas venir ? s'offusqua Rodyle.

– Bien sûr que non, coupa Elias, les vampires se feront une joie de vous tuer, si vous allez en Rasîl.

Conciliante, Luna assura qu'ils allaient rentrer et poussa Rodyle devant elle. À peine Elias eut disparu par le passage, qu'ils revinrent sur leurs pas.

– On va attendre un peu qu'il s'éloigne, d'accord ? proposa Luna les yeux pétillants.

– Bien sûr !

Ils n'eurent pas le loisir d'attendre, car leur oncle reparut aussitôt. Ils affichèrent un air innocent quand il leur fit les gros yeux.

– On avait oublié quelque chose, tenta le garçon.

Elias soupira.

– Vous avez de la chance, je voulais vous demander de m'y accompagner après réflexion, déclara-t-il. Ce portail mène au nord de la Ragguî, j'aimerais savoir où ils se sont dirigés ensuite.

– Yeess !

– Suivez-moi.

Luna et Rodyle ne se firent pas prier pour passer le portail et découvrirent avec émerveillement la région vallonée, de l'autre côté.

– Regardez vers le nord, est-ce que vous voyez une grande montagne derrière un bras d'eau ?

– Oui, répondit Rodyle.

– Formidable, conclut-il, moi je ne les voie pas. Si je me fie à mes connaissances sur la région, ses collines doivent marquer la frontière entre la Ragguî et le territoire De La Lune. Pouvez-vous me dire maintenant où se dirigent les traces de pas ?

– Vers les collines, assura Luna, enfin pour celles que je voie ici.

Rodyle ne l'avait pas attendu et courait déjà devant.

– Rodyle ne t'éloigne pas ! l'avertit Elias.

– La piste continue vers les collines ! On peut y aller, pour être sûr que Sephenn y est allé.

– Non, refusa Elias d'un ton définitif. Je vous ramène chez vous et vous n'y bougerez plus, sous aucun prétexte. J'irais confirmer la présence de Sephenn par des moyens plus sûrs.

L'ordre était sans appel et Luna et Rodyle suivirent docilement leur oncle. Alicia accueillit la nouvelle avec stoïcisme, mais Elias ne s'y laissa pas avoir, son calme était le même que le sien : un masque destiné à rassurer ses enfants.

(suite dans la partie 2)

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