5 - Engeôlé 2

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Roulant dans un véhicule loué, l'elfe s'empressa de reprendre la route pour retourner en Rasîl. Conduire de nuit pour un être diurne après une épuisante journée de travail était une épreuve ardue. L'urgence et l'inquiétude l'aidèrent à rester éveillé.

Il se dirigea vers un grand bâtiment à une bonne trentaine de kilomètres à l'ouest, installé dans d'une zone commerciale. D'apparence extérieure, il ressemblait à un entrepôt classique. Il s'agissait en réalité un immense complexe d'accueil des rasîliens traversant le portail. Siège régional de l'Inexistante, il comprenait également les administrations et les archives permettant le suivi des visiteurs et migrants, ainsi que les responsables locaux en contact avec les autorités de Ragguî.

Laissant le véhicule dans le parking à cet effet, Elias se hâta jusqu'au portail. Dans la grande salle centrale du complexe, contre un mur, le portail, invisible à l'œil nu, était délimité par une arche artisanale. À cette heure, les « touristes » rasîliens étaient des espèces nocturnes. L'elfe se faufila entre les personnes attendant, pour rejoindre la file d'enregistrement des départs.

De nature affable, Elias ne maugréa pas à propos de l'attente et patienta, bien que l'inquiétude lui nouait les entrailles. Heureusement, les formalités pour quitter la Junsîl étaient courtes. En temps normal, cela aurait agacé le magistrat de voir autant de désinvolture, mais pour une fois ça l'arrangeait.

Le portail principal menait en Ragguî, à une dizaine de kilomètres de Tarrinë. Elias retrouva son pîjakil, un canidé proche du loup et de la taille d'un poney. Cette créature robuste et loyale servait fréquemment de montures aux magistrats et représentants de l'ordre, car elle savait se montrer dissuasive, et protégeait sans hésiter son maître.

L'animal assoupi releva la tête en sentant son maître approcher, et remua la queue de joie de le retrouver.

– Nous n'avons pas le temps de jouer, lui murmura-t-il en le caressant. Je compte sur toi pour filer plus vite que le vent, Fwenn.

Fwenn lui passa un grand coup de langue en guise de réponse. Elias chassa la fatigue, qui menaçait ses yeux, et se mit en selle. D'un claquement de langue, le pîjakil bondit par-dessus l'enclos et galopa d'un pas puissant, sur la route qui menait à Tarrinë.

L'air frais de la nuit fit du bien à l'elfe, alors que son corps imprimait la cadence de la course de sa monture. Il tenta de mettre de côté ses pensées en bousculades, pour profiter de la beauté de la voûte étoilée. La lune avait atteint son point culminant depuis quelques temps déjà, quand le magistrat approcha de la capitale de la Ragguî.

La mégalopole bruissait constamment d'activité, du fait de la mixité de sa population ; ici cohabitaient elfes, vampires, lycanthropes, humains, nains et iijkas, parfois on y croisait encore des créatures humanoïdes, à la mentalité trop éloignée de celle des hominidés pour que les cultures se mélangent vraiment. Tarrinë paraissait avoir réussi le pari de la Ragguî : montrer aux espèces hominidés la futilité de leurs différences et leur prouver que leurs peuples pouvaient ne faire qu'un.

En réalité, les espèces s'étaient regroupées par affinités dans des quartiers, où tout intrus payait cher son arrogance. Les altercations étaient monnaies courantes, dans les zones réellement mixes. Cette face obscure de la cité procurait à Elias une charge de travail, qu'il ne désespérait pas de voir diminuer un jour.

Le magistrat emprunta la grande voie bien surveillée et atteignit sans encombre le palais de justice. Il confia Fwenn à une fille d'écurie, une jeune elfe nocturne dont la pâleur n'avait rien à envier à Elliot.

Par souci de place, les bureaux du palais de justice se partageaient entre deux magistrats, l'un le jour et l'un la nuit. La répartition prit soin de compter avec les animosités entre certaines espèces. Pas deux espèces à tendance prédatrice dans le même bureau ou surtout pas de vallynayas avec des vampires, par exemples. Le collègue d'Elias était un humain qui avait pris le parti de vivre la nuit. L'elfe le croisait lors d'heures supplémentaires.

Dans le grand et somptueux hall animé personne ne fit attention à Elias, qui portait toujours sur sa robe la ceinture violette et or des magistrats. Il se dirigeait vers la salle de restauration, où il avait le plus de chance de trouver les personnes qui pourraient le renseigner à cette heure-ci, heure du repas pour les êtres nocturnes.

La salle de restauration était un mélange entre un restaurant et un café, où tout un chacun pouvait prendre une pause bien méritée, se restaurer et profiter du précieux échange informel inévitable dans tout lieu de détente.

Elias balaya la salle du regard, avant de tomber sur la personne qu'il cherchait, Janus Enslow, un procureur loup-garou avec lequel l'elfe avait déjà travaillé et qu'il appréciait particulièrement.

– Bonjour, fit-il avec un grand sourire.

– Bonne nuit, rectifia Maître Enslow amusé. Quel bon vent t'amène ?

– Un mauvais, cette fois, répondit Elias, un peu fatigué.

Sous leur forme humaine, les lycanthropes étaient indistinguables des autres humains, sauf, peut-être, sur leur côté un peu plus nature de leur apparence. Les cheveux courts poivres et sels de Maître Enslow étaient parfaitement coiffés sur le côté, et ses yeux gris étaient régulièrement plissés par un début de myopie, que le fier lycan refusait d'admettre.

Il fronça les sourcils, inquiet par l'expression de son collègue. Il l'invita à s'asseoir en face de lui et recouvrit son steak pour le finir plus tard.

– Mon neveu a disparu en poursuivant un vampire, dit Elias. Et je suis sûr qu'il est dans le territoire De La Lune. Peux-tu le vérifier ?

– Ton neveu métis ? questionna le lycan, qui avait grimacé au nom du clan Sorma.

– Tu sais bien que tous mes neveux sont métis.

Maître Enslow jura et regarda sa montre.

– J'ai un entretien dans dix minutes, je ne peux pas le déplacer. Va donc te reposer, je te préviendrais dès que j'aurais du nouveau.

– Merci, fit Elias avec reconnaissance.

Il serra la main de son collègue et le regarda partir à toute vitesse dans son bureau, sans un regard pour le reste de viande.

L'elfe ressentit la fatigue l'envahir et choisit de suivre le conseil d'Enslow. Le palais de justice possédait une salle de repos où l'on pouvait dormir, car, à Tarrinë, il n'était pas rare qu'un magistrat doive travailler sur vingt-quatre heure pour auditionner des personnes qui ne vivaient pas au même rythme. Elias alla s'allonger et s'endormit immédiatement.

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