14 - Non, une révolution 1

7 minutes de lecture

Elliot confirma. Il préféra ne pas relever l'infime pause avant la mention d'Elias. Au rappel du douloureux événement, les mines des vampires s'assombrirent.

– Nos eûmes à déplorer de nombreux morts. Cependant, le pire de tout fut que nous dûmes en achever un bon nombre. Les malédictions de notre ennemi avaient, pour certaines, un effet durable de folie ou de coma ; comme celui qui toucha Tatian. Face à nos pertes, nous fûmes plusieurs à vouloir faire appel aux soigneurs de la Ragguî, afin d'enrayer les malédictions. Les maîtres le refusèrent et ordonnèrent la mise à mort des maudits.

Une tension imperceptible avait saisi les muscles de Dylan De La Lune. Ainsi donc avait péri Tatian, des mains de son propre père. Une détermination germait à grande vitesse en lui.

– Je me représente un peu mieux la situation, fit-il. J'ai cru entendre parler d'exil pour Sagremore ? Décidément les nobles familles De La Lune et Des Lunes ne sont plus ce qu'elles étaient.

Il fallait avouer qu'Elliot s'amusait beaucoup à narguer son père, lui qui ne se le serait jamais permis par le passé. Cessait-on un jour d'évoluer ? Sire Dylan ne manqua pas de réagir sous la pique de son aîné et le désigna du bout de sa canne en lui jetant un regard noir.

– Tu en es indirectement responsable. Depuis ta défection les maîtres ont considéré que ton éducation en était la cause…

On pouvait sentir l'amertume dans sa voix.

– J'avoue, j'ai eu un père laxiste.

Dylan ne releva pas le sarcasme.

– L'héritier du maître Des Lunes a été choisi à un bien jeune âge, à peine cinq ans, pour son potentiel magique. L'éducation de Niisrath Drakel a ensuite été confiée non pas à ses parents, mais à un précepteur sélectionné et contrôlé par le maître, pour lui apporter les savoirs et comportement qu'il considéré convenir à un futur maître. Afin d'éviter toute « faiblesse » de caractère, il fut conservé dans un cocon au palais Des Lunes et instruit à ne pas contredire le maître. Il en résulte que ce jeune homme ne connaît rien ou presque du monde et n'a pas appris à raisonner par lui-même. En contestant cette éducation, Sagremore s'est vu offrir le titre d'ambassadeur, au-delà des montagnes au géants.

Une excellente façon de se débarrasser d'un noble influent gênant. En tant que père et ancien héritier d'un maître, Elliot partageait tout à fait l'avis de son oncle face à l'éducation de ce jeune homme.

– Je commence à avoir une bonne vue d'ensemble sur les raisons qui vous poussent à agir. Je veux savoir maintenant pourquoi aujourd'hui et de cette manière frontale.

Les regards convergèrent vers lui avec éloquence.

– Sephenn et moi avons vraiment mis le feu aux poudres, commenta-t-il avec une pointe d'amusement. Pourquoi ?

Son père le désigna de nouveau de sa canne.

– Toi encore, Elliot. Tu es un chasseur exceptionnel, un vampire exceptionnel. Fort, rapide, puissant, intuitif et meneur d'hommes. Lorsque j'ai vu débarquer ton fils, j'ai tout de suite compris que t'avoir à nos côté serait un atout non négligeable.

– Ça venue en elle-même a provoqué des remous dans la population, ajouta la sorma. Sans parler de ses performances dans l'arène, il a acquis la sympathie d'une partie du public par sa rage de vivre et son talent au combat. Il nous a montré le visage d'un vampire nouveau, amélioré, et non dégradé par le sang elfique.

Une forte fierté se nicha dans le cœur d'Elliot à ces mots.

– Je regrette d'avoir manqué ça, mon garçon qui impressionne les vampires. Que comptez-vous faire avec votre révolte ?

– Qui parle de révolte ? répliqua Dylan. Nous entendons destituer ces maîtres qui ont failli et en remettre d'autres au pouvoir, plus digne de nous guider.

Cette fois, Elliot n'était pas de l'avis de ce qu'il entendait. C'était une pensée qu'il avait déjà eu par le passé ; il considérait que deux dirigeants, deux clans, pour un peuple, était inadéquat. Cela mettait en péril la survie de leur faible civilisation, face à la puissance et l'unité de la Vallynä, leur voisin du dessus et adversaire depuis des millénaires. Il jugeait la situation actuelle comme le résultat d'une trop longue stagnation dans la gouvernance, qui se ressentait sur la société. Cependant, il était encore trop tôt pour lui de parler, il avait encore un détail d'importance à clarifier.

– Que gagnerais-je à vous aider ?

Elliot avait d'ores et déjà l'intention d'intervenir. Qu'importe l'ostracisme, il se sentait toujours membre de son clan. Il avait appris à le connaître, l'avait étudié sous toutes ses coutures par le passé, pour mieux le diriger en tant que maître et se refusait de le voir se gangréner jusqu'à la mort. Toutefois, il entendait bien en retirer le plus d'avantage.

Le sous-entendu n'avait pas échappé à son père.

– La réintégration dans le clan, avec la récupération de tes droits, la reconnaissance de ton mariage et de tes enfants.

Puis il ajouta en sifflant entre ses dents.

– Une elfe membre du clan est un prix acceptable pour la survie de notre peuple.

– Sont-ils tous d'accord ? demanda Elliot, en regardant les Valets et pensant aux personnes qu'ils représentaient.

Ceux-là hochèrent la tête.

– Sire Dylan n'est pas le seul à être arrivé à cette conclusion. Nous nous sommes chargés de convaincre ceux qui étaient réticents.

C'était plus que ce qu'Elliot espérait. La reconnaissance de son mariage et l'annulation de la prime sur sa tête lui aurait suffi. Être réintégré au clan et retrouver ses droits était un rêve. Cela impliquait également que son père revenait sur le reniement. Cette pensée le ramena à sa mère, il se doutait qu'elle y était pour quelque chose dans son évolution de décision.

– Cela me convient. Cependant, j'entends avoir mon mot à dire dans la stratégie et l'action. Je ne me laisserais pas cantonner au rôle de pion.

Échange de regard entre les Valets.

– Voilà une affirmation digne d'un héritier du Maître. Je vais en informer mon maître.

Le mevale quitta la pièce avec hâte.

– Pourra-t-il voyager en sécurité ? questionna Elliot.

– Nous nous sommes procuré des gadgets humains, pour communiquer à distance, expliqua Dylan avec un plissement de nez, signifiant sa pensée vis-à-vis de la technologie humaine.

– Cela fonctionne par magie je suppose ?

Acquiescement.

– C'est assez simple d'usage, admit la métis. Malheureusement nous en avons peu, car les Maîtres y sont opposés.

– En revanche, ils font bon usage des sentinelles, commenta Elliot. En parlant de magie, n'avez-vous pas dit que l'héritier de Maître Ekbol disposait de pouvoirs magiques ?

– C'est le cas, en effet, confirma la métis. Il a d'ailleurs bénéficié d'un apprentissage avec une maîtresse, formée en Ragguî. Une bâtarde d'un mevale avec une sorcière. Pas très douée, mais l'héritier l'est, lui. Enfin, à ce qu'il se dit, puisque peu de personnes eurent l'honneur d'assister à ses démonstrations.

– Un vampire mage, voilà qui est rare, conclut Elliot.

– Rare et dangereux, s'il n'est pas bien encadré, coupa Dylan. Nous ignorons ce qu'il en est de sa somarythmie, voire même de ses capacité à gérer un peuple. Maître Ekbol ne lui confie aucune responsabilité, ni aucune tâche visant à l'entrainer à son futur rôle. C'est un trésor gardé dans un écrin, tellement imprévisible, que nous avons laissé à sa gouvernante le choix de ce qui devait advenir de lui en fonction de ses agissements.

– J'ai besoin de réfléchir à plusieurs choses maintenant, discuter avec l'homme que j'ai libéré et enfin prendre du repos. Vous me présenterez alors vos intentions d'action.

Tout étant dit de sa part, il se rencogna dans son fauteuil et attendit qu'on le laisse. Son père lui renvoya un rictus, claqua le bout de sa cane au sol et se releva. Les deux femmes quittèrent la pièce à sa suite, après avoir salué Elliot d'un signe.

Elliot ferma les yeux en inspirant profondément, il avait besoin de cogiter quelques minutes avant de se jeter dans l'agitation. D'un côté, il y avait le mystère Sephenn. De l'autre, les bouleversements drastiques qui ébranlaient la civilisation vampirique. Les deux avaient leur importance et leur urgence, la question était de savoir comment s'organiser pour les mener de front. La révolution ne présentait que peu de complexité, les vampires les moins civilisés obéissaient au plus fort, pour cela, il suffira pour lui de leur montrer la tête de Kyshaxa. Quant aux vampires plus civilisés, il faudra user de discours éclairés ; connaître exactement les nobles membres de l'opposition, et ceux qui acceptaient le retour de l'exilé, l'aiderait à se positionner justement. Ceci n'avait rien de compliqué pour lui, la seule inconnue était l'homme mystère.

Des pas se rapprochèrent de la porte, accompagnés d'un claquement sec. Depuis combien de temps son père nécessitait le soutient d'une cane ?

Une petite pause encore, pour élaborer son idée fugace. Le rôle d'exécutant n'avait jamais convenu à Elliot, pas davantage que la routine. Quel que soit l'emploi qu'il avait endossé, il se l'était approprié pour y prendre ses aises, avant de le moduler à sa sauce. Quand cela n'était plus possible, il en cherchait un autre, plus en adéquation.

La porte se rouvrit, mettant fin à sa courte méditation.

– Ta mère souhaite que tu vois quelqu'un avant toute autre action.

Il tourna les talons et l'invita à l'accompagner. Intrigué Elliot le suivi, intérieurement ravi d'entendre cet homme si fier lui lui donner du « ta mère ». Il clopina avec fougue jusqu'à une porte qu'Elliot connaissait bien.

– C'est la chambre de Tatian, commenta-t-il avec perplexité.

Son père lui fit un rictus pincé en ouvrant la porte. Elliot glissa son regard vers le lit et frissonna en voyant le corps allongé sous la couette. C'était un vampire au visage maigre et aux longs cheveux noirs éparpillés sur l'oreiller. Sa respiration à peine perceptible, dans cette pièce silencieuse, était lente, comme celle d'un sommeil profond.

– Je le croyais mort.

Ces mots, chuchotés, sonnèrent comme un grincement, dans l'ambiance mortellement paisible.

– Il l'est pour le monde.

Dylan lui-même n'osait hausser la voix.

(suite du chapitre dans la partie 2)

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Cléo Didée ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0