15 - Infiltration lupine 2

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La nuit touchait à sa fin, l'adrénaline procurée par cette escarmouche chuterait bientôt pour laisser la fatigue reprendre son empire. La jeune fille avait à peine dormi et les deux hommes ne devaient pas être beaucoup plus reposés, sauf peut-être pour Orchio. Pour que la traque soit efficace, il leur faudrait bien vite faire une halte. Cependant, cette option était inenvisageable pour Luna, tant qu'elle ne serait pas certaine que la ravisseuse ne prenait pas de la distance.

Ils débouchèrent sur une série de champs, dont la plupart étaient en jachère. La jeune fille leva la tête, la partie forestière qu'ils quittaient occupait un passage plus étroit entre le tunnel d'entrée et les multiples chambres souterraines. Ici, la voûte s'élevait si haut qu'elle offrait l'illusion d'une nuit étoilée avec des paillettes dans les parois. Les sortes de miroirs, petits à une telle distance, transmettaient des réseaux lumineux provenant d'elle ne savait où.

L'air était moins humide qu'elle l'imaginait et une brise s'élevait par intermittence. Quelques lumières jaunâtres dessinèrent la présence d'une ville à une dizaine de champs d'eux.

Sous les flammes dansantes, elle ressemblait à une grosse bête difforme, tant l'infrastructure ne donnait aucune harmonie à l'ensemble. La piste menait vers l'amas architectural, ce qui était une donnée compliquée à traiter, car il faudrait distinguer l'odeur de la ravisseuse et de Rodyle, au milieu de cet entassement de personnes.

Orchio s'arrêta devant eux et reprit forme humaine.

– Nous devrons probablement entrer dans la ville. Va falloir passer inaperçus… Toi, l'humain, ôte tes lunettes et fillette, cache tes oreilles trop longues. Évitez, enfin, d'avoir l'air de tout regarder.

Cacher ses oreilles n'avait rien de compliqué pour Luna, elle le faisait presque tous les jours depuis sa petite enfance. Le métissage des dons inhérents aux deux espèces se manifestait chez elle par une faible maîtrise de la somarythmie. Suffisante, toutefois, pour modifier le cartilage et la chair de son lobe d'oreille, pour le condenser en une forme plus ronde. Elle se maudit d'être partie en pyjama, soit sans bandeau pour faciliter le camouflage.

Ses oreilles bien rondes, Luna invita le pîjakil à reprendre sa route. Il fit quelques pas et buta sur le lycan.

– Tu n'oublies pas quelque chose, demoiselle ?

Luna caressa machinalement le bout de ses oreilles, tout en léchant ses canines, pour vérifier la justesse de leurs tailles et ne comprit pas son oubli.

– Aucun vampire, pur souche, ne parvient à monter un pîjakil.

L'animal grogna en réponse, qu'il approuvât ou réprouvât. L'affirmation d'Orchio était d'une évidence telle, que Luna ne comprenait pas comment elle l'avait omise.

– Pourra-t-il nous attendre sans se faire prendre ? demanda Manaa, très rapidement retourné au sol.

Luna s'interrogea également sur le teint mat de l'inspecteur. Elle exprima sa question en descendant.

– Bien pensé, approuva l'inspecteur.

– Les vampires se mélangent suffisamment avec des humains pour que la couleur de peau de Manaa attire moins l'attention que son odeur, raisonna le lycan. Tant que tu ne découvres pas tes petites canines et n'émets pas d'hormones de terreur.

– Rien de bien compliqué en somme, plaisanta à moitié l'inspecteur.

Autant demander à une souris d'être confiante au milieu de chats. Néanmoins l'entrainement quasi militaire de l'humain lui conférait une certaine aisance, malgré le danger de la situation. Luna caressa la fourrure épaisse et chaude du pîjakil en lui expliquant ses consignes, à grands renfort de sensations – tâche plus complexe qu'il n'y paraissait. L'animal comprit finalement et retourna se dissimuler sous le couvert de la forêt. Son départ délaissa l'adolescente au silence mental, le lycanthrope se fermait à la télépathie et l'humain n'y était pas assez sensible pour offrir une vraie connexion.

En réaction, Luna lança son esprit à la recherche de ses frères. Si celui de Sephenn lui demeurait inaccessible, elle parvint à sentir celui de Rodyle. Des émotions en vrac, une confusion mêlée de semi-conscience ; le garçon n'était pas en état de formuler un discours cohérent, ni d'en comprendre un, mais c'était déjà infiniment rassurant de le percevoir en vie et en relativement bonne santé.

Malgré tout, ses pensées étaient brouillées et avilies de cauchemars, fruits de l'alchimie étrange que le cerveau faisait de la réalité. À défaut de parvenir à les démêler, Luna leur imposa l'image de sa présence, non loin, à laquelle elle incrusta des émotions chaleureuses et paisibles. Elle espéra que cela suffirait à apaiser son frère. Les ondes télépathiques souffraient de la distance. Plus proche, l'adolescente aurait pu chasser ses mauvais rêves. Toutefois, ce qui était un désavantage pouvait avoir son utilité. En effet, ainsi, Luna pouvait estimer l'éloignement qui les séparait.

Elle se retourna vers les deux hommes qui l'attendaient ; ses deux compagnons imprévus, inespérés même. À eux deux, ils faisaient remonter l'Inexistante dans son estime et, bien qu'elle ne l'avouât pas, lui étaient d'une aide et d'un soutien précieux. La fière métis bomba le torse et leva le menton, avant de s'attaquer à la route de ses grandes enjambées.

Parvenus aux portes d’entrées de la cité, ils durent se rabattre rapidement sur le côté, pour éviter un carrosse tracté par deux grands lézards aux écailles brunes et rouges. Plutôt que les faire ralentir, le conducteur fit claquer son fouet, en s’extasiant à gorge déployée de la vitesse procurée, debout sur son siège, sans se soucier des risques de chutes. Une femme se tenait assise sur le rebord d’une des fenêtres, les jambes à l’intérieur et se tenant au toit, tout aussi hilare que son compagnon.

Luna les regarda passer un peu effarée, son trouble s’amplifia lorsqu’elle fit quelques pas, traversant la porte grande ouverte sans que personne ne se soucie de les arrêter. Un amoncellement de vampires de toutes sortes, aux tenues bigarrées, grouillait dans les artères ; et ça se poussait, se renversait, se bagarrait, se tripotait et s’embrassait dans un chaos éprouvant. L’adolescente se colla instinctivement à Orchio en resserrant les pans de sa veste pour masquer sa poitrine, aussi peu fournie était-elle.

Le lycanthrope l’enveloppa du bras, il dégageait une forte odeur de sang séché et de fourrure, mais c’était bien plus agréable que les relents d’urine et de corps en décomposition qui s’élevaient tout autour. Il se baissa vers elle et murmura.

– Tu es en contact télépathique avec ton frère ?

– Oui, mais il est encore sonné pour l’instant.

– Son odeur est encore forte. Elle est passée par cette ruelle, ne trainons pas.

Pour y accéder, il fallait encore parcourir deux centaines de mètres dans l’avenue – très similaire à un bordel à ciel ouvert – ce qui rendait Luna très mal-à-l’aise et se raccrochait à son protecteur. Contrairement à sa crainte, ce fut Manaa qui attira, le premier, le regard d’un hédoniste. Ils eurent à peine fait deux pas qu’un vampire sauta amicalement contre l’humain, en le faisant trébucher, et vint lui caresser le menton en l’étudiant.

– Inutile de te presser, petit mignon. Viens donc prendre du plaisir avec nous.

Sortait de derrière son imposante carrure, une femme voluptueuse, fort maquillée et coiffée d’une masse impressionnante de bouclettes. Elle couvait l’inspecteur du même regard carnassier – ou de désir, ce qui revenait au même – que son confrère et vint à son tour lui chatouiller la gorge en s’approchant sensuellement. Luna pouvait voir les rouages du cerveau de Manaa s’agiter à toute vitesse pour se sortir de cette invitation forcée avant que l’un de ses deux amants potentiels ne sentent son odeur humaine. L’adolescente porta la main à sa garde, incapable de trouver d’autres idées que le combat, l’esprit vidé par l’affolement.

– Pas de chance les gars, le petit est réservé.

Les deux vampires tournèrent leurs regards vers le lycanthrope, qui se pencha vers eux avec assurance.

– Pas mal, hein ? Mais mon maître veut le garder frais, pour son usage personnel.

– Et qui est ce maître ? s’enquit le mâle avec de la frustration dans la voix.

Luna se posait la même question, tout comme Manaa, mais aucun des deux n’osait intervenir quand, visiblement, Orchio avait une idée. Il farfouilla dans une poche intérieure et sortit sa main pour la montrer. Une subtile senteur épicée accompagnait son geste, il dévoila enfin une petite plaque d’os finement ciselé, dont la jeune fille ne parvint à discerner le dessin. Les vampires plissèrent les yeux pour l’étudier, humèrent la pièce et s’écartèrent aussitôt de l’humain.

– J’ignorais que Sire Sethore était de retour dans les territoires, minauda la femelle.

– Je n’ai pas dit que le maître était dans la ville, seulement qu’il s’octroie la virginité de celui-là. En attendant, nous devons vous laisser.

Acheva-t-il en poussant et tirant Luna et Manaa loin des deux vampires, avant que l’un ne réalise qu’il était un lycanthrope et ne discute sa présence. L’humain avait un peu pâli et transpirait, cependant, il gardait un bon contrôle de son corps et fut rapidement à la ruelle.

– Reprenez-vous tous les deux, vous allez les attirer à sentir la peur comme ça.

– Ça va aller, je suis surtout surpris.

– Mouais.

Orchio tourna ensuite son regard vers Luna qui n’avait pas lâché la garde de son épée.

– Tu comptes faire quoi avec ça, au milieu de tous ces pochetrons ?

Elle haussa les épaules et relâcha la tension de ses bras, consciente qu’il avait raison. Orchio soupira, puis reprit.

– Je vais aller explorer un peu tout seul, c’est sans doute plus prudent. De toute façon, nous ne pourrons pas combattre en pleine ville, de nuit. Donc vous deux, vous vous cachez derrière ce que vous voulez, vous ne faites pas de bruits et vous m’attendez. Pendant que nous serons séparés, je te laisserais me relier par télépathie, fillette. Préviens-moi si ton frère se réveille.

Considérant qu’il n’avait pas besoin de confirmation, le lycan se glissa de l’autre côté de la ruelle, pour poursuivre la piste que lui seul flairait. Luna rageait intérieurement de se voir renvoyer son incapacité à contrôler ses émotions. Combattre ne lui faisait pas peur, en revanche, la pensée de ce qu’un vampire pourrait lui faire, s’il lui mettait la main dessus, lui glaçait le sang. Bien qu’élevée sans secret sur les relations sexuelles, et ayant commencé à assouvir sa curiosité à force de discussions avec ses amies et son entourage, l’adolescente était encore trop immature pour accepter physiquement ce genre de relation. Mimer l’aisance, ne serait-ce que pour éviter le viol, était au-dessus de ses forces pour l’instant.

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