16 - Dans la ruelle 1

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Luna alla s’adosser au mur de pierre, recouvert de stuc, les jambes flageolantes et la tête un peu enveloppée de coton. Manaa s’avisa de son malaise et vint près d’elle.

– Est-ce que ça va ?

Elle hocha la tête, des larmes de nervosité prêtes à perler à ses yeux. L’inspecteur lui mit la main sur le front.

– Je n’y vois pas clair, mais je trouve ta peau un peu froide. Ça doit faire beaucoup d’émotions pour toi, j’ai du sucre si tu te sens mal.

Contrairement à l’humain, Luna percevait avec assez de clarté ce qui l’entourait et le front de Manaa était encore couvert de perles de sueurs, tandis que son teint mat s’était éclairci. Malgré ces signes de nervosité et de fatigue, son expérience et sa résistance lui offraient un recouvrement rapide de sa stupeur. La jeune fille ne voulut d’abord pas de son aide, qui lui semblait la rendre plus dépendante. Puis, sentant son corps tanguer, convint qu’avaler quelque chose lui ferait le plus grand bien.

Manaa la soutint, pour l’emmener derrière un amoncellement de bric-à-brac laissé à l’abandon et l’y assis, avant de chercher à manger dans une poche de son sac-housse. Il en sortit une petite boîte en fer-blanc ornée d’une marque célèbre de sucre de canne, qu’il ouvrit avec précaution. Luna se servit d’un carré d’une main tremblotante et le croqua avidement.

Sa salive rare s’attaquait déjà aux premiers grains, répandant sur sa langue une liqueur sucrée fort appréciable. Elle se sentit à regretter un peu qu’il ne soit pas mêlé de la saveur ferreuse du sang et la pulsation régulière du pouls de l’inspecteur se fit insistante. Elle se força à avaler la denrée et se concentra sur ses doigts afin de se contrôler.

Ignorant totalement son envie passagère, Manaa lui tendit une bouteille d’eau qu’elle accepta volontiers.

– Merci, souffla-t-elle une fois sa soif étanchée.

Au bout d’une minute ou deux, l'effet escompté arriva et elle se sentit de nouveau lucide et stable. Son estomac gargouilla un peu de protestation, face à l’espoir que lui avait offert le sucre, et Luna repensa aux cadavres plus tôt. Elle aurait sans doute mieux fait de suivre l’exemple du pîjakil et de se nourrir, survivre impliquait de le faire au dépend des autres, parfois. Malgré sa tentative d’auto-persuasion, elle peinait à l’accepter.

Son regard tenta de dévier ses pensées en observant les objets à l’abandon les entourant, des bris, des bibelots tordus, des objets d’usage courant hors d’usage, le tout entremêlé de tissus tachés et déchirés. Rien de bien folichon. Elle revint vers son compagnon d’attente et le vit refermer la tirette de sa poche, elle eut le temps d’y distinguer encore un sachet fermé.

– Vous êtes équipés pour un pique-nique, dis-donc ! s’exclama-t-elle à mi-voix.

Ce qui le fit rire en silence.

– Pas du tout, c’est ma réserve de survie. Du sucre, de l’eau, des biscuits et des tranches de viande séchée. C’est parfait quand je ne trouve rien d’autre à manger.

Luna se nota mentalement de suivre son exemple une prochaine fois. Elle sentit une vague de confusion provenir de son lien télépathique avec Rodyle et reporta aussitôt son attention sur son frère. Il s’était réveillé dans un lieu inconnu, les membres liés et le corps endolori, étouffé d’odeurs âcres. La distance qui les séparait avait cessé de croître et elle était assez proche, désormais, pour lui envoyer des émotions et influer sur les siennes. Elle agit, de fait, pour l’aider à clarifier ses souvenirs et apaiser ses pulsions. Ainsi calmé, le garçon renonça à s’agiter d’une juste colère et fit mine de dormir encore, même lorsqu’il se prit un coup de pied. Lorsqu’il fut certain que son mensonge n’était pas découvert, il observa ce qu’il pouvait les yeux mi-clos.

Il était dans une petite pièce close, sans source de lumière interne, allongé sur le côté à même un plancher de bois brute. Par d’ornement à portée de vue, juste une chaise, une table et une paire de bottes.

Luna soupira de soulagement. Pour l’heure, ils avaient le temps de le localiser. Elle espérait qu’ils aient également le loisir d’établir une stratégie pour le sauver en limitant les risques.

L’agitation dans l’artère se modifia, des cris d’alerte remplacèrent des rires de détente, des sons de courses s’élevèrent en place de bruissement de corps et une tension se forma dans l’air. L’oreille experte de la métis capta nettement les noms Sephenn et Elliot.

Elle fit signe à Manaa, qui s’était redressé, de rester sur place tandis qu’elle s’approchait de l’angle pour écouter ce qui s’y disait. L’inspecteur la laissa avancer, la main droite glissée sous sa veste.

Il y avait là un voyageur qui courait d’un attroupement à un autre pour transmettre ses informations, celles-ci étaient relayées avec hâte comme une trainée de poudre. Luna avisa une bande d’adolescents de son âge, elle rassembla son assurance et les interpela.

– Qu’est-ce qu'il se passe ?

Les jeunes lui répondirent, sans même imaginer qu’elle puisse être une intruse et tant qu’elle ne ferait pas de gaffe, cela se poursuivra.

– Les oubliettes du Champ de Hanneau ont été violée, le bâtard a disparu, répondit une fille menue aux grands yeux carmins.

Un adolescent costaud qui courait à côté, s’arrêta pour intervenir :

– Il paraît que c’est le fait du traitre Elliot. Il est toujours dans la nature.

– Vraiment, fit un jeune homme à la barbiche blonde du groupe. Sans se faire prendre ? Il est donc aussi doué que les légendes le disent !

Le plus costaud rougi et lui empoigna le col.

– Sous-entendrais-tu que cette vermine est plus habile que nos Esprits Rouges ? Tu es pour les souilleurs de sang ?

– Loin de là, tempéra Barbichette en levant les mains. J’apprécie les prouesses par elles-mêmes. Maintenant lâche-moi.

L’agresseur ne l’entendait pas de cette oreille et découvrit ses dents. Le reste du groupe réagit aussitôt en l’agrippant, leurs crocs tout aussi menaçants. Face à ce désavantage flagrant, il relâcha sa prise et ferma les lèvres.

– Quoiqu’il en soit, dit-il pour se donner contenance, l’ordre a circulé d’être vigilant. Moi et mes compagnons sommes persuadés qu’il a reçu de l’aide au sein des clans.

– Tu veux parler de cette fameuse rébellion ? Il faudrait déjà prouver qu’elle existe, railla une autre fille au moins aussi solide que lui.

Le costaud redressa le menton, de l’air hautain de ceux qui savent, et reprit sa course, sous les rires moqueurs de la bande.

Luna était restée à l’entrée de la ruelle, très intéressée, autant par les informations glanées, que par ce groupe de jeunes de son âge et leurs attitudes qui faisaient échos en elle. Comme elle aurait aimer se mêler à eux pour partager leurs discussions et leurs rires. La conscience douloureuse de sa nature, dépréciée ici, la retint de tout effort d’intégration et la garda méfiante, en retrait. Elle allait rebrousser chemin, au fond ravie de savoir que son père avait réussi à libérer Sephenn, quand une autre dispute éclata dans l’avenue.

Une forte matrone, à la voix puissante, donnait de la voix sur un homme au moins aussi nourri et braillard :

– Comment oses-tu insulter les De La Lune ! beugla la matrone

– Y a pas d’insulte, juste les faits, renchérit le gaillard. Regarde l’Elliot, c’en était un et pas des moindres. Devait même devenir maître et l’est allé s’encanailler avec une bouffeuse de salade !

– Les meilleures familles ont tous des tares, Sire Dylan, demeuré un proche du maître, est fidèle et au-delà de tout soupçon.

– Tu parles ! C’est lui qu’a éduqué Elliot, les chiens font pas des chats.

– Il n’a pas tort, s’immisça un passant, comment expliquer que que le bâtard ait été envoyé aux jeux, quand son existence ne lui valait que la torture ? C’est certainement un sympathisant qui l’aura arrêté.

– J’ai entendu dire que c’était Sire Dylan, lui-même, qui a procédé à la condamnation, rajouta un quatrième.

La suite se perdit dans un brouhaha animé et coléreux. Luna estima qu’elle ne pourrait en savoir davantage simplement en écoutant et jugea dangereux de rester sur place. Elle sentit qu’on s’approchait d’elle et se retourna pour voir la fille aux grands yeux carmins. Elle lui posa la main sur l’épaule dans un geste amical.

– Il est préférable de ne pas rester ici, veux-tu venir avec nous ?

Ebahie par cette proposition sincère Luna, eut peine à refuser, elle jaugea les attitudes des pairs de l’adolescente et constata que certains les regardaient en patientant. Aucuns ne manifestaient d’expression roublarde ou d’idées derrière la tête. Qu’en serait-il s’ils savaient ?

– C’est aimable d’avoir proposé, mais j’attends quelqu’un, et je ne peux m’éloigner.

La fille acquiesça tout en scrutant le visage.

– De quelle région viens-tu ? De la province, non ?

Le cerveau de Luna chauffa rapidement pour trouver une réponse sécuritaire.

– Je viens de la Ragguî.

– Oh ! Vraiment ? Tu y es née ?

Luna hocha la tête, un peu embêtée. La fille était bien sympathique, mais si elle devait lui répondre, elle arriverait bien vite à faire une erreur. Bon déjà, ne surtout pas dire qu’elle connaissait le juge Bore, son oncle lui avait appris que son nom était connu des vampires – justement de part son lien avec Elliot.

– Queralène, si tu veux bavarder, rentre dans la ruelle, mais ne reste pas là ! lança Barbichette.

De fait, Luna et la vampiresse furent bousculées par un individu, projeté par un autre. Les amis de Queralène retirèrent le vampire et les aidèrent à se relever, avant de les entrainer dans la ruelle en riant à moitié. Manaa s’était relevé et avait détendu sa posture, sa main gauche négligemment posée sur la ceinture – Luna le savait – à quelques centimètres de son arme de poing. Aussi sympathiques que soient les jeunes vampires pour l’instant, ils pouvaient à tout moment changer d’attitude en découvrant un humain parmi eux. La métis les remercia, tout en s’empressant d’avertir le lycan de la situation, puis revint vers son frère toujours captif.

(suite du chapitre dans la partie 2)

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