16 - Dans la ruelle 2

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Une main vint la secouer gentiment.

– Tu rêves éveillée ? s’amusa Barbichette.

– Navrée, j’étais dans mes pensée, confirma Luna, en vérifiant craintivement que son esprit n’était pas trop ouvert, afin que les vampires ne la perçoivent pas malgré elle. Que disais-tu ?

Elle avait naturellement employé le tutoiement, en réponse à celui de l’adolescent, sans même réfléchir aux us hiérarchiques ; ils ne s’en formalisa pas, prouvant qu’il s’adressait à elle comme une égale. Tous les membres du groupe n’étaient pas entrés avec eux. Il restait Barbichette, qui dépassait difficilement Luna par la tête et semblait un poil plus âgé, la dénommée Queralène et ses grands yeux, un garçon un peu plus petit, à la tignasse noire, coiffée d’une négligence sophistiquée, et la force de la nature faite femme qui, elle, dépassait la métis.

– Puisque nous voilà tous dans cette venelle, nous pouvons la remonter en devisant. Nous te laisserons au bout si tu dois y rester. Qu’en dis-tu ?

– Que cela me va.

– Parfait.

Barbichette lui mit la main dans le dos d’un geste amical et l’invita, sans en avoir l’air, à avancer d’une faible poussée pour s’éloigner du tumulte derrière eux.

– J’ai l’honneur d’être Tathlyn Wyvrn, cousin au troisième degré de la famille De La Lune, fit il en se rengorgeant, sans paraître hautain.

La plupart des grandes familles vampires pouvaient se dire cousines de la plus illustre, à un certain degré. Le troisième devait signifier que cela remontait aux arrières-grands-parents d’Elliot, ou quelque chose dans le goût. Luna fit mine d’être impressionnée, en s’amusant sous cape d’être une De La Lune par son père.

– Ne te préoccupe pas de flatter Tathlyn, dit la menue, si son père a bien fréquenté Elliot De La Lune avant son bannissement, lui-même ne fréquente que les gens de notre rang.

Barbichette – ou Tathlyn – confirma en riant, sans s’offusquer de la pique.

– Pour ma part, je suis issue de la famille Sang Rouge et mon prénom est Queralène. Elle là-bas, dit-elle en désignant l’adolescente forte, se nomme Syrian Pluie d’Argent et lui, elle désigna l’autre garçon, est mon cousin Nadjahi Sang Rouge.

– Enchantée de vous rencontrer, fit Luna. Je m’appelle Luna…

Elle hésita sur le nom à prendre. Ni Bore, ni De La Lune, mais alors lequel ? Finalement, elle piocha dans ceux de ses amies du lycée, qui ne détonnerait pas.

– Després.

– Et lui ?

Ils arrivaient maintenant à la hauteur de l’inspecteur, qui s’était tenu sagement coi et en retrait jusqu’à présent, ne quittant personne de sa surveillance. Entendant qu’on le désignait, il répondit du tac-au-tac.

– Arthur Jouvet.

Etonnée de ce nom, Luna l’interrogea mentalement. Il frissonna avant de répondre.

Le nom de jeune fille de ma mère, j’imagine que ça ne prêtera pas à préjudice.

Les vampires le regardèrent avec un pointe de curiosité, face à un nom inconnu et peu ressemblant aux leurs. Cela en resta là et Tathlyn et Queralène reportèrent leur attention sur Luna. quand Syrian et Nadjahi poursuivaient leur discussion personnelle plus loin. Aucun ne perçut l’humain sous la veste vampirique et les débris.

– Tu viens avec nous ? demanda Tathlyn. Suis-je bête, tu attends quelqu’un, n’est-ce pas ? Dois-tu rester précisément dans cette ruelle ?

– Oui, quoique nous pouvons bien avancer plus loin, par sécurité.

Dans l’avenue, l’agitation avait cru jusqu’à devenir une rixe incontrôlable et folle, Luna appréciait de s’en éloigner de peur d’être impliquée. Les autres adolescents plaisantaient, comme si de rien n’était, tout en avançant paisiblement vers l’autre bout de la ruelle. De nouveau, Luna eut envie de les fréquenter, elle se prit à espérer qu’ils l’acceptent telle qu’elle était. En attendant, ils lui offraient une occasion d’échanger sans prêter à conséquence, sans danger et elle avait tant à leur demander. Mais que dire sans se trahir ? Sans paraître étrange ? Et s’ils voulaient en savoir plus sur elle en retour, que pourrait-elle raconter ?

La réponse fit son chemin dans son esprit et jaillit avec évidence. Son père.

– Dites, le jeune de tout à l'heure a mentionné un Elliot. Vous pouvez me dire qui c’est ?

Quatre paires d’yeux écarquillés d’ébahissements lui firent face.

– Ne me dis pas que tu n’as jamais entendu parler de lui ? s’exclama Syrian de sa forte voix.

« Aïe la bourde, rattrapons ! »

– Ce Elliot-ci ?

Luna réfléchissait à plein régime, tout en parlant, en étant attentive au choix des mots.

– Je voulais dire, m’en parler davantage, je ne connais pas grand chose de son histoire. Il s’est mis avec une elfe et a été banni, c’est ça ?

Regard posé et attitude plus détendue qu’elle ne l’était réellement. Luna espérait que son rattrapage serait cohérent à leurs yeux. Le retour à la normal des regards qui la fixaient – et au désintérêt de la part de Syrian et Nadjahi – la rassura. En parlant de regard, celui de Tathlyn s’illumina et il se mit à parler avec enthousiasme.

– Ce qui compte est qui il était avant ! Son talent de la somarythmie était tel qu’il parvint à maîtriser le semi-vol à à peine plus de dix ans ! Et qu’il fait partie de ceux capable de condenser leur énergie vitale hors de leur corps, pour lui donner forme.

Ça, Luna était bien placé pour le savoir. Ce qui l’intéressait n’était pas tant la teneur des propos du jeune vampire, mais la manière dont il l’exprimait. Pour l’instant, elle constatait avec étonnement que Tathlyn parlait avec entrain, et peut-être même une pointe d’admiration dans la voix. Il parlait bien de son père, censé être haï par l’ensemble des vampires d’Arranë, n’est-ce pas ?

– Il ne maîtrise guère de magie et n’en pas l’utilité, puisqu’il parvint à terrasser son premier mange-écume à quatorze ans, ce qui lui valut d’être chargé de chasser ces créatures de par tout le territoire.

Ce qui incidemment lui permit de rencontrer maman, rajouta mentalement Luna.

– Tu as l’air de bien le connaître, s’étonna-t-elle.

– Ça non ! Je ne l’ai jamais rencontré, comment aurais-je pu ? Il a été banni bien avant ma naissance. Mon père l’a fréquenté autrefois et me l’a raconté, acheva-t-il en se rengorgeant de fierté. Selon lui, Elliot n’était pas seulement physiquement fort et habile somarythmeur, il avait également une personnalité charismatique qui inspirait la confiance et le respect. Il était de ceux qui semblaient apte à achever tout ce qu’ils entreprennent, et gardait en considération les apports des autres, pour exploiter leurs dons au mieux. Mon père disait qu’à ses côtés il ne se sentait jamais incapable.

À la fois passionnant et amusant. Tathlyn commença à raconter des mésaventures que son père lui avait contés, Luna se serait fait une joie d’écouter, si elle n’avait senti un appel du côté de son lien avec Orchio. Il avait repéré le lieu dans lequel Rodyle était captif et venait les rejoindre. Elle retourna du côté de son frère, qui feignait toujours le sommeil, et revint aux adolescents vampires. Barbichette relatait une aventure dans des cavernes et fut interrompu par Syrian.

– Tu as l’intention de nous faire le récit de l’enfance de ton père ?

– Je m’en arrêterais là, convint l’orateur sans embarras. Ai-je répondu à ta demande Luna ?

– Oui, je t’en remercie. Je suis surprise de rencontrer un vampire qui puisse m’en dire autant de bien !

Tathlyn s’inclina avec grâce.

– Tu as eu la chance de rencontrer le rejeton d’un de ses anciens amis.

– Ton père n’est pas dégoûté par son mariage ?

– Ça lui a fait un choc quand il l’a appris, comme bien d’autres personnes, mais, le temps passant, il regrette surtout la personne qu’il était. Je pense qu’il le voyait comme un guide et qu’il considérait chacun de ses actes comme bons, puisque venants de lui. Bref, il l’idolâtrait et j’admets qu’il n’est pas toujours objectif en parlant de lui.

Tout au long de la discussion, ils étaient arrivés au bout de la ruelle. Elle donnait à cet endroit sur des rues plus modestes, comparés à l’avenue, mais tout aussi engorgées de logis insalubres en matériaux de récupération, installés en pure anarchie. Ici, les discussions au sujet des dernières nouvelles n’avaient pas dégénéré en pugilat.

Syrian et Nadjahi s’étaient mis à taquiner Tathlyn au sujet de la passion de son père pour Elliot. Luna les laissa faire, n’ayant plus vraiment le temps de bavarder avec eux. Le retour du lycanthrope marquerait le retour à la mission de sauvetage. Manaa était resté dans son coin, la main faussement détendue, toujours prête à approcher la crosse de son arme. Aussi sympathiques que soient les jeunes vampires, ni lui, ni Luna n’oubliaient qu’ils pouvaient changer d’attitude à l’instant même où ils repèreraient un humain parmi eux.

De nouveau, la main de Queralène vint se poser sur le bras de Luna. Toute petite et menue, elle arrivait aux épaules de la grande métis.

– Et toi, quelle est ton histoire ? demanda-t-elle aussi naturellement que si elle lui avait demandé son nom.

Sa question, innocente et sincère, plongea Luna dans un grand embarras, puisqu’elle ne pouvait décemment pas lui répondre avec la même honnêteté.

– Elle est longue et ne peut être résumée ici, biaisa-t-elle.

Tout en parlant, elle eut la sensation de les trahir un peu, alors que Tathlyn s’était bien plus révélé, et chercha un bout de confidence à leur dévoiler.

– Pour parler rapidement, je suis là pour rechercher quelqu’un, celui que j’attends est parti en éclaireur dans la cité qu’il connaît mieux que moi.

– Tu as raison, avec les habitations des parasites, il est aisé de se perdre.

– Et se perdre parmi les campements est néfaste pour la santé, commenta Nadjahi. Tante Esha racontait l’histoire d’un de ses serviteurs qui s’est retrouvé dans une embuche. Il s’en est sorti avec un grand manque de sang et des bouts de chairs en moins.

– Et une douleur au postérieur ? ricana Syrian.

– Je ne sais pas, mère prétendait que ces vermines préféraient forniquer avec les bêtes.

Déjà choquée d’apprendre que les rues étaient mal famées même pour les locaux, Luna grimaça à l’entente de la dernière affirmation. Heureusement, les adolescents partageaient son manque de goût pour la zoophilie et ne réagirent pas à sa réaction extrême.

– Ah ! Parler d’Elliot m’a échauffé les sangs ! s’écria Tathlyn. Son évasion annonce de l’activité et j’ai hâte de savoir la réaction de mon père. Combien de temps resteras-tu à Coldauteuil Luna ?

– Je l’ignore, mais je ne resterais sans doute pas longtemps.

L’adolescent parut déçu.

– C’est regrettable. Si tu venais à repasser, viens donc au manoir Wyvrn, je serais ravi de t’y accueillir.

– Tu peux aussi passer au manoir Sang Rouge de Rivar, s’empressa d’ajouter Queralène. Bien sûr, précise que tu viens de notre part, sinon on ne te laissera pas entrer.

Luna fit la promesse qu’elle n’y manquerait pas, doutant de pouvoir la tenir, et salua les quatre jeunes qui s’en allaient.

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