18 - Un allié de circonstance 2
Un fracas accompagna l'arrivée du lycan sous forme lupine. Il les dépassa pour se jeter au cou d'une subalterne de l'Aspirant, qui était passée par la fenêtre pour les surprendre. Elle se prépara à le recevoir et, au denier moment, il reprit forme humaine pour s'accroupir entre ses jambes. Un coup vif et elle chuta, du sang s'écoulant de son bas-ventre.
– Manaa est prévenu ?
Ils émergeaient de la porte d'entrée sur cette question, Arthur Manaa avait ouvert une porte-fenêtre de la maison aux colonnades et passé la lanière de son arme autour du cou, la housse à l'épaule.
– Qu'est-ce qu'il ? commença à s'étonner Orchio, avant de voir une silhouette décharnée se former entre les rideaux. Merde, mon sort de sommeil n'était pas assez puissant. Sur les xenours !
Luna ne réfléchit pas et lança Rodyle sur le plus proche, avant de l'enfourcher derrière lui. Juste atterri, l'inspecteur pâlit en les voyant faire et se résigna. Il se hissa sur un autre avec appréhension. Orchio de son côté prononçait des incantations, sans doute destinées à bloquer l'entrée.
Hélas, ils se confrontèrent vite à un problème de taille : si les lézards géants s'étaient laissés monter, ils refusaient d'avancer sous leur contrainte. Se rappelant les effets de la télépathie sur le pîjakil, Luna se précipita dans leurs esprits. Ceux-ci étaient si différents qu'elle ne comprit rien aux émotions qui y résidaient. Prise par l'urgence, elle envoya une décharge ressemblant à un coup d'étriller. Cela fit son effet : les créatures bondirent en avant et se lancèrent dans une course effrénée, sous un cri de surprise peu glorieux de Manaa.
Malgré le brusque départ, tous trois parvinrent à s'agripper à leurs montures et se virent entrainer dans l'allée, sans parvenir à les contrôler.
– Ton frère va bien ? s'enquit tout de même l'inspecteur.
– Oui, oui, répondit Rodyle. Vous tirez bien, Monsieur !
– Merci. Maintenant Luna, sais-tu diriger ces bêtes ?
– Non ! J'essaie !
Aidée par Rodyle, Luna finit par imposer sa volonté sur les xenours et entreprit de traverser les rues pour quitter la ville. Elle ne savait pas exactement qu'elle direction prendre ensuite, pour l'heure, s'éloigner de cet amas de vampires menaçant était sa priorité.
– Retrouver papa ? proposa Rodyle.
– J'aimerais, oui. Essaie de le localiser par la pensée.
La résistance des xenours rendait leur contrôle pénible et épuisant, d'autant plus qu'elle dirigeait également celui de Manaa, qui n'avait aucun rudiment d'équitation.
La poursuite se signala par des exclamations de voix ; deux vampires de l'hôtel privé maniaient la course des ténèbres et coursaient le loup. C'était la ravisseuse de Rodyle et un subordonné de l'Aspirant.
– On essaie de les semer ou je tire ? interrogea Manaa.
– Tirez toujours.
Arthur Manaa marmonna un « plus facile à dire qu'à faire, m'enfin. » et quelque secondes plus tard, il reprit.
– Sans silencieux sur mon pistolet, je vais attirer davantage d'attention sur nous.
Concentrés sur leur course, dont la moindre erreur pouvait être fatale, leurs poursuivants avaient cessé leurs appels. Le seul bruit qui résonnait sur leur passage était les piétinements de ces divers pattes et pieds, ainsi que, occasionnellement, de la collision avec quelques murs improvisés trainant sur le passage. Quelques jurons s'élevèrent au loin, proférés par des infortunés, réveillés par l'agitation.
Un vent fort charria une odeur de pourriture des cabanes improvisées, ralentissant brusquement leur course. Déstabilisée, Luna relâcha brièvement la tension sur l'esprit de leurs montures, qui se rebellèrent aussitôt et jetèrent leurs passagers dans un sursaut enragé. L'adolescente se reçut sur son omoplate blessée et se raidit de douleur quelques secondes. Rodyle se précipita pour rattraper le xenour. Lorsqu'elle put se redresser, elle vit les bêtes prises de spasmes violents sur le sol.
La poigne solide d'Orchio la remit sur pied, avant de la placer derrière lui pour faire face aux vampires, eux-même ralentis par la bourrasque.
– Un pas de plus et je tire.
Le ton bas et assuré de Manaa, ajouté à sa position menaçante lui valurent la méfiance des deux chasseurs. Loin d'être stupides, leurs regards témoignaient qu'ils associaient le pistolet – arme inconnue pour eux – et les coups de tonnerre qui avaient emportés certains des leurs.
– Où croyez-vous aller comme ça, vermines ? se lança la femme. Vous êtes en plein cœur du territoire, vous ne pourrez vous échapper.
Pour renforcer ses propos, des voix et bruits de pas accouraient vers eux par les rues aux alentours et des bruissements signalaient le réveil des occupants des cabanes alentours. S'ils ne s'en allaient pas aussitôt, ils seraient cernés.
Malgré tout le respect que Luna pouvait avoir pour ses deux compagnons, la survie de son frère primait à ses yeux. La vie lui avait enseignée que les habitants de la Rasîl ne leur faciliteraient jamais la vie, toutes exceptions comprises, et qu'elle ne pouvait compter que sur sa famille. Les deux hommes appartenaient à une branche de l'Inexistante, leur disparition serait l'objet d'une enquête puis d'une revendication. Aucun organisme ne ferait de même pour les métis.
Cette état des choses en tête, l'adolescente imprima une poussée dans le dos de son frère pour l'inviter à la suivre et se mit à courir, prête à ouvrir la voie s'il le fallait. À défaut de parvenir à effectuer la course des ténèbres, elle avait une bonne allonge, un corps entrainé et savait assez renforcer la musculature de ses jambes pour accélérer sa course. Il en allait de même pour Rodyle.
– Manaa, suis-les !
Le bruit des pas de l'humain signalèrent qu'il avait obtempéré.
Pour l'heure, les quelques olibrius quittant leurs domiciles d'infortune étaient trop hébétés pour réagir à leur passage, l'un ou l'autre tenta, au plus, de les alpaguer en vain.
Une goutte d'eau vint s'écraser sur le visage de la fugitive.
La rue s'ouvrait sur une place occupée par un rassemblement, Luna n'eut guère le temps de les étudier, car quelques uns s'engageaient dans la voie pour déterminer la cause du chahut. Il leur fallut un peu de temps pour réaliser qui ils étaient ; l'adolescente pointa sa lame en avant tout en déviant vers la droite.
– Souillures ! s'écria une voix provenant de ses côtés.
Un coup de feu lui répondit, suivi d'un râle et d'un son de chute.
Luna ne s'en préoccupa pas, plutôt concentrée sur les individus qui lui faisaient face et ceux, plus nombreux, par derrière qu'il faudrait contourner avant qu'ils se mettent en tête de les saisir.
Personne ne se mit réellement sur leur route. L'arrivant le plus proche d'eux, une matrone entre deux âge, fit bien un geste pour les faire ralentir, mais sans vraie conviction.
D'autres gouttes s'étaient jointes à la première, formant une bruine désagréable. L'eau provenait de la voûte terrestre au-dessus d'eux, qui se mettait à suinter les temps de grosse pluie.
Ce fut une interjection qui détourna l'obstination concentrée de l'adolescente, parmi le brouhaha de réactions de l'assemblée et des autres arrivants. Son nom prononcé par une voix quelque peu familière.
Elle ralentit, afin de repérer l'origine de cet appel et reconnut la tête blonde à barbichette de Tathlyn, qui émergeait d'un agrégat de vampires dans la vingtaine. Il exprimait, en accourant vers elle, un mélange de joie à la revoir et de confusion.
Luna pouvait opter pour la fuite, le dédaigner et parier sur l'effet de surprise pour quitter la ville. Elle pouvait tout autant choisir de s'arrêter pour lui prêter attention et courir le risque d'être rattrapée. Elle n'avait que quelques fractions de secondes pour faire son choix, ce qui était insuffisant pour prendre une décision élaborée.
– Nous nous retrouvons !
Elle s'était arrêtée. L'envie de voir un visage ami l'avait emporté. Mais était-il vraiment un ami ?
– Peux-tu me dire ce qu'il se passe ?
Rodyle tira sur le bras de sa sœur, elle tenta de s'en dégager.
– Qu'est-ce que tu fiches, grogna-t-il mentalement.
– Son père connaissait papa, laisse moi lui parler.
Elle redressa la tête pour répondre et croisa le regard éberlué du jeune homme.
– Des oreilles d'elfes.
Oui, des oreilles d'elfes.
– Si tu comprends ce que cela signifie, referme ta bouche et dis-moi si je peux me fier à tes compagnons et toi.
Tathlyn frissonna d'excitation, jeta un coup d'œil vers leurs poursuivants et lui fit signe de le suivre.
– Allons chez moi, avec le déclenchement de la révolution, la ville va devenir agitée, vous serez plus en sécurité.
– Nous voulons plutôt quitter la ville, protesta Orchio en arrivant.
– Trop tard, répliqua l'adolescent, les sentinelles ne laisseront bientôt plus personne quitter les Territoires. Venez vite.
Luna et Rodyle ne laissèrent pas la décision à leurs protecteurs. Ils profitèrent de l'ouverture que forçait Tathlyn dans la foule et coururent s'enfoncer dans des ruelles étroites, entre des débris du ghetto. L'avantage du parcours se révéla lorsque les chevaucheurs de xenours durent démonter. En effet, les détours que leur imposa l'adolescent rendaient caduques toute tentative d'anticiper leur réapparition.
Pour peu qu'ils n'aient pas pu voir la tête de leur guide, ils ne pouvaient non plus les attendre à son domicile. Manaa ponctuait leur échappée de coups de pistolets isolés. Les grognements qui les accompagnaient confirmaient qu'ils touchèrent leurs cibles plus d'une fois, hélas, il fallait compter avec la capacité de régénération des vampires.
Ils traversèrent un enclos de poules de petites tailles, qui perdirent leurs plumes à protester, et escaladèrent une grille ouvragée pour entrer dans un petit parc.
– Courage, nous y sommes presque.
Agréablement boisé d'arbres tortueux aux feuilles duveteuses, le parc se serrait autour d'un étang rempli de poissons plus alimentaires que décoratifs. Ils l'enjambèrent par le pont de bois et grimpèrent la grille opposée. Si Rodyle parvenait à les franchir d'un bond, faisant de ses jambes des petits ressorts, Arthur fatiguait. Orchio attrapa sa housse en fronçant le nez pour l'alléger sur la fin du trajet.
– Ça pue, râla-t-il.
Ils longèrent un muret de buis dense et haut, dont le parfum tranchait avec celui des poules. La version chtonienne dégageait le même fumet entêtant que leurs cousines junsîliennes.
Sur ce terrain plus dégagé, déserté par la foule, et moins envahi de baraques de fortunes, les deux poursuivants reprenaient du terrain. Alors que Luna s'apprêtait à le faire remarquer à Tathlyn, le vampire poussa une porte de bois sculptée de motifs géométriques.
– Entrez vite, les incita-t-il.
Une fois que ce fut fait, il tapota un bouton ajouté contre le montant. Un infime frissonnement parcourut l'air avant de disparaître. Il fit signe qu'il contrôlait la situation à un garde posté derrière le portail.
– Vous êtes devant la maison des Wyrvn, annonça Tathlyn à travers une petite fenêtre, aux poursuivants rouges de colère. Votre agressivité n'y est pas admise.
– Tu retiens des ennemis du clan ! s'énerva l'un d'entre eux.
– Vous règlerez ce problème avec mon père, assura le jeune vampire et en souriant. Je vous prierais de libérer notre portail.
Il ferma la fenêtre et expliqua très succinctement l'identité de ses invités au garde. Le vampire étudia lourdement les quatre fugitifs et haussa les épaules.
La maison Wyrvn ressemblait à l'hôtel particulier dans lequel Rodyle avait été retenu prisonnier, en plus ornementé et fleuri. Des plantes nocturnes, particulièrement odorantes, peut-être pour masquer l'air lourd de la ville.
En maître de maisonnée, ravi de ses invités, Tahlyn leur fit le tour du propriétaire avant de leur attribuer une grande chambre.
– Excusez l'étroitesse de notre maison, elle fut prévue pour accueillir une famille et non un quartier. Avec les troubles, nous devrons nous réunir plus serrés et vous devrez partager la pièce avec d'autres. En attendant, je vais ordonner qu'on vous chauffe un bain.
– À la bonne heure, soupira Luna et s'asseyant sur le lit.
– Et ton père rentre quand ? interrogea Orchio avec suspicion.
– Lorsque l'organisation de la révolution le libérera, assura le vampire d'un ton désinvolte. Ma mère, re revanche, vous demandera dès la fin de votre toilette.
– On peut manger, aussi ? protesta Rodyle. Je meurs de faim !
– Tout à fait, je vais veiller à cela.
Manaa leva la main pour attirer son attention.
– Y aura-t-il quelque chose de mangeable pour un humain ?
Tahlyn le dévisagea avec surprise :
– Honte à moi, je ne m'en étais pas aperçu ! Que mange un humain ?
– De tout, répondit le tireur d'élite, sauf du sang ou de la viande crue.
Bien qu'aimant le tartare ou le carpaccio, il préféra s'en passer. Au cas où.
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