21 : Prison de métal, prison de coton 1
Les reflets argentés de la lune dansaient avec volupté sur un rideau d'eau s'écoulant devant la fenêtre naturelle de la caverne. Sephenn laissait cette mouvance sucrée le fasciner. Il appréciait l'état hypnotique dans lequel sa contemplation le plongeait. Il était assis en tailleur, à quelques pas de l'ouverture dans la paroi rocheuse, tournant le dos au court tunnel qui débouchait sur la cavité ; dédaignant de ce fait le mobilier ascétique qui l'équipait.
Un restant de conscience en lui chercha à lancer son esprit à la recherche d'autres, comme il le faisait si naturellement autrefois. De nouveau, des parois invisibles cotonneuses l'emprisonnaient dans sa propre tête, créant une angoisse encore pire que la cage suspendue. Les souvenirs de son évasion défilaient en images confuses sur le rideau d'eau.
La veille, à l'aube, Sephenn s'était réveillé avec la nuque raide et la sensation d'être vide. La déflagration d'énergie magique du dernier affrontement avait été magistrale, hélas, elle avait eu un contrecoup non négligeable. La joie de sa provocation s'était rapidement effacée pour laisser place à l'ennui. Il avait alors eu tout le temps nécessaire pour repenser à la voix et sa promesse.
Celle-ci ne l'avait pas laissé ruminer ses réflexions plus de quelques heures. Lorsque la dalle de pierre s'ébranla, Sephenn s'imagina revoir le lunatique Niisrath. Il fut surpris de constater qu'il n'y avait que le gardien et un autre jeune homme, tout menu, aux cheveux verts et aux oreilles de mevale, mais définitivement pas la silhouette efféminée et rêveuse de l'héritier Des Lunes. Le gardien entreprit de faire descendre la cage de Sephenn dans les mêmes secousses. Plus étrange encore, il ouvrit la cage pour le laisser sortir. L'adolescent s'était glissé en dehors sans se laisser prier, en remarquant au passage le regard vide du sorma. L’inconnu lui sourit.
– Merci de ta patience. Partons maintenant.
Il l'avait pris par la main et mené à travers les couloir. Sephenn n'avait pas manqué de s'étonner de l'absence de gardes, en plus de la réaction du gardien.
– Il ne se souviendra de rien. Quant aux gardes, ils ne croiseront pas notre route, je t'en assure.
Sephenn peinait à se faire une idée précise du garçon ; il était télépathe, ressemblait à un mevale, évoluait dans le territoire vampire sans crainte et parvenait à hypnotiser le gardien.
De son apparence se dégageait une aura imprécise, instillant en l'adolescent l'idée d'une illusion, ajoutant encore à son trouble. La fatigue aidant, il ne parvint à déterminer aucune hypothèse concluante ni satisfaisante.
Le garçon le fit passer par une trappe cachée dans un recoin du bâtiment, puis, avant de quitter le passage secret, il lui mit les mains sur les tempes en lui souriant doucement.
Sephenn ne se souvenait pas clairement de la suite.
Il se releva lentement et avança, pas à pas, vers la chute d'eau. Il voulait voir de nouveau ce qui se déroulait au-delà. L'eau lui cascada sur le crâne et les épaules, le revigorant. De l'autre côté, la chute d'eau ricochait sur une saillie avant de dégringoler une vingtaine de mètres plus bas, dans un amas d'excroissance rocheuse qui s'élevait d'un lac.
L'air était encore gorgé d'humidité de la dernière pluie et la brise charriait inlassablement son troupeau de nuages sous les étoiles. Pour l'heure, aucun d'eux ne venait masquer totalement la clarté de l'astre nocturne qui caressait de ses rayons doux la peau du métis.
Le sol glissant était suffisamment stable pour permettre à Sephenn de s'y tenir, il s'agrippa à la paroi à sa droite pour se pencher et regarder le paysage.
Sa mémoire lui revint lors de la traversée du couloir étriqué et sombre qui menait à la caverne secrète. Il n'avait gardé aucun souvenir de l'accès au tunnel, et encore moins du parcours qu'ils avaient réalisés pour en arriver là, créant une certaine claustrophobie. Déjà, le reflet doré qui dansant sur la paroi en face de lui l'avait séduit.
Le garçon l'avait conduit en le tenant par la main jusqu'à sa demeure d'ascète. Il le libéra enfin lorsqu'il fut dans le carcan habité, dont partaient deux tunnels, celui duquel étaient arrivés Sephenn et son sauveur, et un autre, bien plus court, qui débouchait sur l'ouverture masquée par la cascade. Le soleil, filtré par l'eau, donnait cette teinte dorée si particulière et réchauffante à la caverne. Il ne s'interrogea pas de la présence de l'astre céleste en sous-sol.
– Bienvenue dans mon logis, annonça le garçon. Ici, tu seras en sécurité.
Sa voix était plus aiguë que lorsqu'il lui parlait en pensée, elle avait le même relent de fausseté que son apparence.
– Où sommes-nous exactement ? Comment sommes-nous arrivés là ?
– Nous sommes dans le Mont Archemune, c'est là que demeure le Maître De La Lune depuis des générations. En vérité ce n'est qu'une grande colline qui s'achève par une falaise au nord, du côté du lac. En plus de la demeure, elle accueille une multitude de petites cavités de la taille de celle-ci ou plus petites, dont la plupart est connue et exploitée des vampires. Biens sûr, ajouta-t-il avec dédain, ils n'ont jamais trouvé mon refuge.
– D'accord, mais comment sommes-nous arrivés là ? Sans nous faire prendre j'entends.
– J'ai connaissance des passages secrets qui se fraient à travers la roche. Tu défailles de sommeil, fais un somme, nous causerons ensuite.
Sephenn ne pouvait le contredire sur ce point. Il ne crachait ni sur la cuve en bois qu'il voyait dans un coin – et le bon bain qu'elle promettait, ni sur le lit, équipé d'un matelas et d'un duvet, contre le mur. Il était partagé entre ses interrogations et son besoin de repos, sa tête dodelinante décida à sa place ; il se dévêtit pour s'effondrer sur la couche, privé même de l'énergie de se débarbouiller.
Le lac s'étendait sur une vaste distance en longueur, plus étroite en largeur. L'extrémité ouest se perdait derrière une avancée de terre, hérissée de bâtisses, semblant former une baie avec la colline trouée, l'autre disparaissait hors de vue du garçon, vers l'est. Le mystère de la présence des astres célestes s'expliquait par une faille dans la voûte rocheuse, axée d'est en ouest, permettant directement au soleil et à la lune de briller dans le gouffre.
De la position de Sephenn, la façade rocheuse ressemblait à une falaise, plus ou moins abrupte selon les portions. Impossible pour lui d'en voir davantage. À vrai dire, il ne pouvait même pas regarder ce qui s'élevait au-dessus, par crainte de glisser et tomber dans les pics rocheux fracassées. Il ne se sentait pas de risquer la désescalade avec son corps endolori. Pas plus que l'escalade sur les côtés.
Une petite bise lui rafraîchissait agréablement le visage et lui portait des fragrances de liberté. Sous l'odeur d'eau, il s'amusait à discerner celles de la forêt de l'autre côté, et d'autres plus difficiles à reconnaître. Il crut distinguer des relents de nourriture, ce qui raviva le vide de son estomac. Le sang but lors des combats de la nuit précédente paraissait loin.
Dans cette lunette de monde ouvert, Sephenn tenta de lancer de nouveau son esprit, en vain.
(suite du chapitre dans la partie 2)
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