Sous bois...
La chienne, truffe à ras le sol, avançait au petit trot entraînant dans sa course Adrien qui avait bien du mal à la dévier de sa trajectoire quand elle s’engageait sous les ronciers. Derrière, Arlette tentait de suivre en évitant les fourrés épineux tout en pestant après son mari dont les initiatives pudibondes étaient à l’origine de cette invraisemblable promenade au pas de course dans cette forêt inhospitalière, à la recherche d’un macchabée dont elle portait un des plus grands os. Encore heureux – pensa-t-elle – que ses escarpins soient à talon plat et que le sol ne soit pas détrempé par les pluies printanières cela aurait fait de cette randonnée forcée, une épreuve aussi harassante que salissante…
Cloé se mit à japper de plus en plus fort, signe que l’on arrivait au bon endroit… Ils étaient parvenus dans une clairière, zone d’abattage de grumes. La bassette gueularde venait de s’arrêter auprès d’un tas de bois disposé en stères et se mit à gratter, avec frénésie, l’humus à proximité…
- Mais ce n’est pas ici que l’on a trouvé le fémur s’exclama Adrien, c’était en plein sous-bois dans un espace bien plus ombragé et touffu.
- En es-tu sûr rétorqua Arlette essoufflée… en forêt, tous les coins et recoins se ressemblent…
- C’est possible mais là, je ne reconnais pas l’endroit où Cloé a trouvé le squelette dont tu tiens le fémur, ce n’était pas dans une clairière et il n’y avait aucun tas de bois stérés comme ici…
La chienne qui creusait à la base de la première série de stères, avait dégagé un bon volume de terre. Poussant des jappements étouffés ponctués de petits cris aiguës, elle voulait absolument s’engager par-dessous le tas. Adrien qui la tenait toujours en laisse, redoutait que les tronçons de bois stérés se déstabilisent et roulent sur Cloé. Il la tira vigoureusement pour la ramener à son épouse.
- Pose ton os et tiens la chienne, je vais déplacer les tronçons de bois qui risquent de s’effondrer… Ayant posé sa veste à terre puis retroussé ses manches de chemise, Adrien ne ménagea pas ses efforts pour déplacer tous les éléments du premier stère. Il reprit Cloé pour qu’elle poursuive son déterrage à la place maintenant dégagée…
Au bout d’une dizaine de minutes elle avait suffisamment déblayé de terre pour qu’apparaissent les ossements d’un autre squelette humain dont on apercevait le crâne bien blanchi, les clavicules et quelques côtes… Pour Adrien, ça ne faisait aucun doute cette dépouille était bien distincte de celle trouvée précédemment, à un tout autre endroit, et devait certainement disposer, de ses deux fémurs.
Sous le regard horrifié d’Arlette à qui il redonna la chienne en laisse, cette dernière ayant saisit le fémur à terre, Adrien se mit à gratter la terre à l’aide d’une branche tentant d’agrandir la fosse creusée par la chienne. Quelques instants plus tard, il avait la preuve qu’ils étaient en présence d’un nouveau cadavre, celui-ci possédant bien ses deux fémurs…
- Arlette, Je ne sais pas sur quel terrain de désolation nous sommes tombés mais il devient urgent de laisser cela en l’état, et d’aller illico prévenir les autorités enquêtrices qui auront fort à faire ici.
- Qu’est-ce qu’on fait du premier fémur trouvé ? demanda Arlette blême comme albâtre.
- Laisse le dans la gueule de la chienne, on le ramène comme preuve, car j’ai idée qu’on va avoir du mal à se faire entendre des flics quand on va leur faire part de cette sinistre découverte … Retour à la voiture… Notre prochain arrêt s’effectuera à l’hôtel de police de Dreux …
Il y eut certainement quelque automobiliste et ses passagers qui n’oublieraient jamais cette vision d’un couple sorti précipitamment du bois, la mine défaite, la femme tenant en laisse un basset normand artésien ayant dans sa gueule un os d’au moins 45 cm de long, s’apprêtant à remonter dans une grande voiture grise garée en bordure de la route départementale 928 que traverse la forêt d’Anet…
Annotations
Versions