33 : Joyce & Marco
Les bords de la Viosne
Puiseux-Pontoise (95)
Fin janvier 2011
Le deuxième jour
08:54
Groggy par ce qu'il venait de vivre, l'ex-couple errait main dans la main le long de la Viosne, enrubanné dans un brouillard aussi réel que fantomatique. Le rouquin brisa en premier le silence qui meublait leur sphère personnelle, en se tournant face à Joyce.
— Qui t'a prévenue ? Je ne savais pas que tu étais sur Paris...
— C’est Philéas qui m’a appelée. Je viens tous les mois pour mon job, présenter mes traductions aux auteurs francophones pour savoir si ça leur convient.
— Pourquoi ne m'en as-tu jamais rien dit ? On aurait pu...
La jeune femme, emmitouflée dans une luxueuse parka trois quarts en nubuck chocolaté et coiffée d’une capeline assortie, posa un doigt sur la bouche de celui qui fut son mari.
— Tu avais ta vie, moi la mienne. Je n'avais pas l'intention de m'immiscer entre Katia, Youri et toi.
Marc essuya une larme sur sa joue.
— Comment fais-tu, darling ? Comment fais-tu pour continuer malgré tout ça ?
— J'ai changé de décor ; je ne pouvais plus être dans cette ville qui a été le théâtre de nos pires épreuves. Tu devrais en faire autant. Tout plaquer pour tout recommencer. Ailleurs. Pense à ton fils...
— Je ne peux pas, Joyce ! J'en suis incapable... J'ai déjà failli à la promesse que je m'étais faite : venger Jenny !
— Ce que tu as accompli aujourd'hui est infiniment plus mature. Même sous l'empire de la colère, tu as réussi à te contenir en étant fidèle à ce que tu as toujours défendu. Tu es un flic intègre, que tu le veuilles ou non.
— Pas tant que ça, darling. Tu ne connais pas toutes mes dérives...
— Et je m'en balance ! Moi aussi j'ai eu ma période d'anxiolytiques et d'alcool pour ne pas flancher. Qu'est-ce que tu crois ? A chacun sa dope pour tenir ... Je vois bien que t'es au bord du gouffre, et qu'une seule personne peut t'empêcher de sauter : Youri, your lovely boy (9). Il est ta seule chance, ton seul exutoire. Si tu restes ici, enfermé dans ta solitude à la con et dans ce putain de boulot qui nous a détruit, tu y laisseras ta peau.
Oettinger plongea sa pogne dans la poche de son manteau à la recherche de son paquet de Dunhill. Il s'alluma une clope et poursuivit.
— Tu vas repartir ?
— Après l'enterrement de Katia oui.
— Comment sais-tu pour Katia ?
— Ils l'ont dit à la radio... Un communiqué de ton boss.
— Revon, le taulier ?
— Lui-même...
L'inspecteur inspira un grand coup avant de reprendre, le regard empli de tristesse noyé dans celui de la jolie blonde.
— Tu ne voudrais pas rester ?
— No, oldy, I can't live here anymore, even if I still love you... (10)
Marc ignora cette déclaration d’amour à peine voilée.
— Et tu loges où en attendant ? Je peux toujours te faire une place dans mon appart', si ça te dit...
— Non, merci. Un ami m'héberge déjà.
— Un ami ? Quel ami ? Je le connais ?
— Wilfried.
— Quoi ? s'emporta le rouquin. T'es maquée avec Wil, cet arriviste qui a les dents qui rayent le parquet ?
— On n'est pas ensemble, Marco ! Il vit avec une minette bien plus jeune et jolie que moi ; il m’offre son hospitalité, c'est tout.
— Mon œil, ouais ! C'est un vrai prédateur de la gent féminine, je l’ai vu à l'œuvre...
— Ne salis pas le peu de beaux souvenirs communs qui subsistent entre nous, oldy, je n'ai aimé que toi. J'ai juste été incapable de gérer l'absence de Jenny au sein de notre couple.
La jeune femme caressa le visage de son ex-mari, mais il la repoussa.
— Va retrouver ton bellâtre et fous-moi la paix ! Dégage ! Ouais dégage...
A contrecœur, Joyce abandonna Marc à ses pensées, celles qui l'entraînaient irrémédiablement vers sa fille. Elle n'avait pas encore six ans lorsqu'elle fut enlevée, séquestrée, violée puis tuée par Joseph Cash. Elle était radieuse, enjouée. Une gamine qui n'aspirait qu'à grandir dans la chaleur d'un foyer aimant.
(9) : ton adorable garçon
(10) : Non, vieux, je ne peux plus vivre ici, même si je t’aime toujours...
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