55 : Melody & Alex
Un préfabriqué de chantier
dans un lotissement
de maisons individuelles en construction
Joinville-le-Pont (94)
Fin janvier 2011
Le troisième jour
9:35
Attachés au groupe électrogène, Melody et Alex se faisaient face. Avec sa parka souillée d'urine et des traces noirâtres diluées sur ses joues, l'aspirante-mannequin n'avait plus rien d'une top-modèle. Pourtant, le jeune homme enchaîné à elle la couvait d'un regard amoureux. Profitant d'une pause cigarette de leurs garde-chiourmes, l'adolescent engagea maladroitement la conversation pour rassurer son amie.
— Comment te sens-tu ?
— A ton avis ? Je veux rentrer chez moi, Alex. Je veux pas rester là...
— On va venir nous chercher, Mel, t'inquiète pas.
— Mais qui ? Qui va venir nous chercher ici, dans ce coin paumé, au milieu de nulle part ? Personne ne sait qu'on est là ! Samir a essayé de me sauver, et il en est mort. Mort, tu comprends ?
Quasi hystérique et défigurée par la peur, l'asian-girl tremblait de tout son être. Alex approcha sa main du visage de sa bien-aimée et la caressa avec une infinie douceur, profitant du peu de liberté de mouvement que leur laissaient leurs liens.
— Je ne les laisserai pas te faire du mal, je veux que personne te fasse de mal, jamais…
Derrière son rideau de larmes, Melody sourit timidement à ce geste tendre qui l'apaisa momentanément.
— T'es gentil, seulement, vois ce qu'ils t'ont fait quand t'as voulu me protéger !
Elle caressa à son tour la plaie de son héros, à demi masquée par une mèche de cheveux encrassée de sang séché. Alex grimaça.
— C'est douloureux ?
— Un peu...
— J'ai oublié de te remercier pour... Pour tout à l'heure. Sans toi, je...
— Mel, je donnerais ma vie pour toi. Ils peuvent faire de moi ce qu'ils veulent, je m'en fiche. Mais ils ne te toucheront pas tant que je serai là.
C'était une vraie déclaration d'amour. Plus belle que celles déclamées dans les romances rose-bonbon qu'elle lisait le soir, allongée sur son lit d'adolescente. Malgré le décor aussi insolite qu'anti-glamour, malgré une situation qui l'était toute autant, la jeune femme, d'ordinaire désinvolte et si sûre d'elle, se laissa embarquer par cet élan de romantisme qu'avait eu pour elle son chevalier-servant. Était-ce la confusion des sentiments qu'elle éprouvait à son égard qui lui provoquait pareil trouble ? Était-ce à cause de cette émotion qu'il avait fait naître au creux de son cœur qu'elle se surprit elle-même à poser ses lèvres sur les siennes ? Ce baiser à l'étrange saveur, son amoureux transi le lui rendit plus passionnément encore. Leur langue et leur bouche s'épousèrent longuement avant de se séparer brutalement, comme si l'incandescence de ce contact si intense les avait brûlés. Plongés l'un dans l'autre, ils se tutoyaient des yeux, des doigts, fiévreux de cette soudaine étreinte inattendue.
— Qu'est-ce qu'ils vont faire de nous ? s'enquit Melody.
— Ça, je n'en sais rien du tout. Mais ma mère est flic. Elle va nous sortir de là, je te le promets...
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