Chapitre 15 ~ Un allié de taille

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  Lorsque Charlie et Robbie montèrent au grenier ce soir-là, après moult précautions étant donné l’état d’énervement ambiant suite à la disparition de Max, Jamie était réveillé.

  Robbie n’avait soufflé mot de son expédition de l’après-midi mais Charlie l’avait trouvé tendu, éteint. Chose étrange, il n’avait pas prévu d’y retourner cette nuit ; ses yeux bleus semblaient voilés malgré les maigres sourires qu’il lui avait adressés. Elle espérait obtenir des réponses maintenant qu’ils étaient dans la bulle relativement rassurante du grenier. La fin de journée de Charlie avait été quant à elle d’une banalité presque déplacée étant donné les derniers évènements. Elle s’était sentie inutile, assise dans la classe de Grant à ressasser ses pensées sans prêter la moindre attention au discours de la vieille femme. Comme prisonnière dans les fils du temps sans pouvoir en stopper la course infernale.

  Jamie était penché sur le livre que Robbie avait offert à Charlie il y a quelques jours – la rouquine avait l’impression que c’était il y a une éternité. La pomme et le pain avait disparu, et sur l’épaule de l’adolescent était perchée une souris blanche dont les yeux brillaient d’intelligence. Le bruit de la trappe arracha son aîné aux pages manuscrites.

- Salut, vous deux.

  Aucun des deux ne lui répondit cependant. Tout deux contemplaient le rongeur sur l’épaule d’un Jamie impassible qui avait bien meilleure mine que la veille au soir. Robbie avait la bouche entrouverte et Charlie fronçait le nez. Non pas de dégoût – elle n’avait pas particulièrement peur des souris – mais parce qu’elle avait l’impression d’avoir déjà vu le petit animal. Or, excepté les rats peuplant l’Isoloir et parfois les sanitaires, il n’y avait pas de souris à Greywall. Encore moins blanche.

- Dites-moi que je rêve… entendit-elle murmurer à sa gauche.

  Jamie ne leur laissa cependant pas le temps de savourer leur surprise.

- Intéressant ce manuscrit. C’est un témoignage précieux de notre peuple.

- Je ne te le fais pas dire…

  Robbie poussa un long soupir et se laissa tomber au sol. Il tendit une feuille de papier à Charlie, qui le rejoignit et s’assit à ses côtés. La feuille était raturée sur presque toute sa surface, recouverte de lettres et d’une suite de chiffres. Cinq lignes de textes étaient soigneusement recopiées sur le bas de la page.

C’EST TON HISTOIRE

GREYWALL DANGER

TROUVE LES AUTRES

JE T’AIME

TU ES EXCEPTIONNEL.

  Charlie relut les mots plusieurs fois. Les deux premières phrases lui contractaient la poitrine ; les deux dernières lui donnaient le sentiment d’être une intruse dans les derniers mots que Marjorie Hunter avait adressés à son fils. La jeune fille déglutit et inspira profondément.

- Les autres ? C’est supposé être qui ?

- Minute Charlie. J’en suis encore à digérer la première ligne.

  Son ton était désinvolte mais il était pâle et ses traits fatigués. Il se passa les mains sur le visage, dans les cheveux avant de revenir sur son visage, comme s’il voulait chasser le brouillard de sa tête. Ses certitudes volaient en éclat. Celles de Charlie aussi évidemment. Mais tandis qu’elle n’avait connu que Greywall et les rêves éveillés que lui prodiguaient ses livres, Robbie, lui, avait vécu véritablement. Il avait eu une mère, un père, une vie bien rangée avant que la tragédie ne frappe une première fois. L’adolescent avait survécu, et s’il n’avait pas accepté la situation il avait appris à vivre avec. Et voilà que cet équilibre précaire se révélait n’être que fumée et chimère.

- Robbie, tu es tout blanc, fit remarquer Jamie.

  Il s’était redressé dans le fauteuil, les coudes sur les genoux. La souris toujours sur l’épaule. Le duo était presque comique.

  Un léger ricanement franchit les lèvres du concerné, rien de plus. Pas de répliques sarcastiques et orgueilleuses dont il avait le secret. Charlie le poussa gentiment de l’épaule avec un sourire ; il lui répondit de même.

- Tu le savais, pas vrai ? questionna-t-il le rouquin. La première fois que tu m’as vu, tu le savais.

  Jamie se contenta d’hocher la tête. Il vint s’assoir avec eux au sol. La petite souris descendit de son épaule et alla se poster au centre de leur cercle avant de s’approcher de la jeune fille tout museau tendu. Il reniflait avec application l’intérieur de sa poche. Charlie en sortit le bout de pain rassis et la pomme ratatinée et les tendit à Jamie après en avoir donné un morceau à leur nouveau compagnon.

- Désolée, on n’a pas réussi à trouver autre chose en cuisine.

- C’est parfait.

- Tu ne fais pas les présentations ? intervint Charlie.

- Un orphelin a disparu aujourd’hui, c’est ça ?

  Charlie regarda Robbie avec étonnement.

- Tu lui as dit ?

- Non, il ronflait encore quand je suis monté tout à l’heure après… mon escapade.

- Tu ne m’as toujours pas dit ce qu’il s’était passé d’ailleurs. Et ne me dis pas rien, Hunter. Tu as le visage plus décomposé que Le Bossu quand on lui met une savonnette sous le nez !

  Robbie pouffa sous le regard mi-amusé mi-éberlué du grand frère.

- Elle était pas mal, celle-là, commenta-t-il à mi-voix avant d’enchaîner. Disons que j’ai possiblement échappé à un monstre sanguinaire dans les caves. Je suis pas resté assez longtemps pour savoir si j’avais halluciné le Minotaure ou non.

  Charlie sentit son sang se glacer. Ce qu’ils avaient entendu dans la cuisine se trouvait bel et bien sous l’orphelinat.

- Idiot ! Je t’avais dit que c’était une mauvaise idée.

  Elle ponctua ses mots d’une tape sur le bras.

- Il va bien falloir qu’on sorte d’ici. Et sauf si tu veux faire la bise à Grant en passant, c’est le seul moyen qu’on a. Sans compter que la sorcière peut revenir d’un moment à l’autre…

- Robbie a raison, renchérit Jamie. Et même si j’ignore ce qu’est un Minotaure, tu n’as pas halluciné ; il n’y avait pas que toi là-dessous.

- Très rassurant, ironisa Robbie.

  La souris blanche avait terminé son bout de pain ; elle poussa le genou de Robbie du bout du museau comme si elle acquiesçait. Charlie trouva ça curieux, et assez amusant.

- Dis, Jamie ? Elle vient d’où cette souris ? C’est la première fois que j’en vois une blanche à Greywall.

- J’en ai vu une comme ça dans l’Isoloir cet après-midi.

  Jamie sourit en répondant :

- Avec laquelle tu as échangé quelques mots si je ne m’abuse.

- Mais comment tu … Non, non, non, ajouta-t-il en voyant l’expression du rouquin. Tu ne me feras pas croire que c’est la souris qui te l’a dit. Non. C’est trop.

- « Me regarde pas comme ça. Et un conseil, va pas là-dedans », cita-t-il.

  Ladite souris retourna se percher sur l’épaule de l’adolescent. Charlie lui trouva une lueur moqueuse dans le regard.

- Tu parles aux souris toi maintenant ?

- Pas n’importe quelle souris, Charlie. C’est Max.

  La boutade de la jeune fille à l’égard de Robbie s’évanouit ; elle sentit sa mâchoire se décrocher.

- Quoi ?

  Jamie, le plus sérieusement du monde, pointa l’index sur le rongeur et répéta :

- C’est Max.

- Max. Jamie, c’est une souris.

- Les membres de notre peuple ont la capacité de changer de forme corporelle. Certains le maîtrisent mieux que d’autres et le font presque sur commande, mais c’est devenu rare. La plupart du temps ça arrive après une émotion forte, comme un mécanisme de défense.

- Attends, attends. Max est une Âme ? Comme toi ?

- Comme nous. Tu arrives à admettre sans trop de difficultés qu’une étoile prenne forme humaine, mais pas qu’un « humain » devienne une souris ? sourit son frère.

  Charlie se garda de répondre. La souris – Max – se tourna vers Jamie, le fixa un instant puis regarda de nouveau la rouquine.

- Tu te souviens du jour où Nolan a fait tomber son bol au milieu du réfectoire ? Il avait la grippe et il tremblait de fièvre. Tu étais juste derrière lui et Max. Tu as donné ton bol plein à Max et ramassé le bol vide de Nolan. Crumpek a cru que c’était toi, et tu as été envoyée à l’Isoloir à la place de Nolan. Max n’a même pas eu le temps de t’en empêcher. Tu étais toute petite à l’époque, à peu près huit ans, mais tu l’as regardé d’un air très grave et tu lui as dit : « Il ne doit pas avoir froid. »

  Charlie se souvenait parfaitement de cet épisode. En voyant le porridge au sol et la pâleur de Nolan ce jour-là, elle savait que si Crumpek l’envoyait à l’Isoloir pour lui faire payer sa maladresse, il serait encore plus malade. Elle n’avait pas réfléchi.

- C’est pas possible, souffla-t-elle.

- Comment vous… comment il arrive à te parler ? Pourquoi Charlie et moi on n’entend rien ? enchaîna Robbie.

- Il m’envoie ses pensées en quelque sorte.

- Comme quand tu nous as montré tes souvenirs ?

- C’est ça, oui, en moins fort. Ce sont plus des images, des idées. C’était loin d’être clair au début, mais ça lui vient de plus en plus facilement. Je ne suis pas certain de savoir vraiment pourquoi vous ne l’entendez pas, mais ça doit venir de votre enveloppe humaine ; vous avez passé tellement de temps ici, sous cette forme, sans connaître votre véritable nature que celle-ci reste étouffée tout en dessous. Votre côté humain a pris le pas sur votre nature d’Âmes. La transformation récente a permis à Max de prendre conscience d’un coup de sa nature, il est plus sensible.

- Il t’a dit pourquoi il s’est … « transformé » ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

  La question de Robbie souleva l’image du lit saccagé découvert le matin même ; Charlie réprima un frisson. Jamie entreprit de leur raconter ce que Max lui avait transmis : l’enlèvement en pleine nuit, qui avait ressemblé à un cauchemar inaudible. L’obscurité, l’humidité, l’odeur putride qui lui envahissait les narines. La silhouette de la directrice, son visage déformé par la haine et l’avidité, les mots monstrueux chuchotés à son oreille tel un horrible secret. La peur, très vite submergée par sa colère en découvrant le corps de Nolan abandonné dans la poussière. Du moins, ce qu’il en restait ; de son ami ne subsistait une enveloppe creuse, une figure de cire grotesque. Puis sa fuite dans le dédale des caves, au raz du sol. Entre les deux, il ne gardait comme souvenir qu’une vague sensation d’engourdissement. Sa sensibilité s’était presque réveillée, et tandis qu’il courait, échappant de peu au pied de Crumpek, il se guida à la lumière qu’il pouvait sentir dans sa tête et sa poitrine, trouva Robbie, puis enfin Jamie.

- Elle voulait le … le manger ?

  Ce fut une nouvelle fois Robbie qui rompit le silence ; Charlie essuya rageusement la larme qui avait débordé jusque sous son menton.

- Ce n’est pas vraiment comme ça que je définirais la chose.

- Définir la chose ? Elle voulait l’aspirer de l’intérieur comme on siffle sa noix de coco ! Comment t’appelles ça ?!

  Jamie fronça les sourcils sous l’expression et s’apprêta à répondre lorsque Charlie bondit sur ses pieds, incapable de se contenir davantage.

- Personne n’est jamais parti, lança-t-elle à la ronde, personne. Nolan était censé être en apprentissage dans la ville voisine. Il était assez vieux « pour subvenir lui-même à sa misérable existence ». Mais…

  Elle ne put finir. Ses yeux se remplirent à nouveau de larmes, son visage crispé par la rage.

- Pourquoi ?

  C’est son frère qu’elle regardait en crachant sa question, consciente qu’il n’était en rien responsable du massacre occasionné mais étant incapable de retenir sa haine. Elle bouillonnait dans sa poitrine, au creux de son ventre, se répandant dans ses veines comme un poison.

- Si je me base sur ce que je sais, le livre de Marjorie Hunter et ce que Max a vécu, je dirai qu’elle cherche à se nourrir de notre énergie la plus pure, à s’approprier le pouvoir même des Âmes, celui de pouvoir changer de corps et qui a assuré la survie de notre peuple.

- Rien que ça, t’es sûr ? Il y a combien d’Âmes perdues parmi les pauvres gosses de cette baraque ?

- Aucune idée, Robbie. De là où j’étais, je ne distinguais que Charlie, à l’instar des lumières que vous autres appelez étoiles. Pour le reste, je n’en sais pas plus que vous.

- Récapitulons un peu ; l’histoire de mon enfance n’est pas qu’une simple histoire, les Brûleurs et les Âmes existent. Premier point. Toi – il désigna Jamie – tu es une Âme, fraîchement tombée du ciel on ne sait comment pour retrouver ta sœur, Charlie ici présente, Âme également. Deuxième point. Max, disparut ce matin, s’est en fait retrouvé retenu par la Sorcière de service dans les caves dans le but, vous me pardonnerez l’expression, de lui siphonner son âme. Il échappe aux griffes de Crumpek en se changeant en souris, remonte à l’abri ici et laisse la mégère hurler de rage en dessous. Troisième point.

- N’oublie pas de préciser que t’as failli servir de casse-croûte aussi en passant, lança la rouquine qui s’était adossée à une étagère, la mine sombre.

  En voyant son expression, qui lui rappela désagréablement l’échange de son premier matin à Greywall, Robbie préféra ne pas répondre. Charlie devina, malgré la désinvolture affichée, qu’il avait parfaitement conscience de ce à quoi il avait échappé.

- Ce qui nous amène au quatrième point, et pas des moindres : Crumpek.

  Là, Robbie perdit quelque peu de sa superbe ; il semblait exténué. Pourtant, la lueur dans ses yeux faisait écho à la fureur de Charlie. Quand ils se regardèrent, ils savaient qu’ils s’étaient compris sur la nature monstrueuse de cette femme – si on pouvait la désigner de cette façon.

- C’est l’une d’entre eux, pas vrai ? Un Brûleur.

  Robbie soupira, se tourna vers Jamie, qui répondit à sa sœur par l’affirmative.

- C’est plus que probable oui. Bien que son comportement reste affreusement cruel, même pour les membres de son clan.

- Ils ont exterminé un monde, dans le seul but d’exterminer le peuple qui y vivait. Ce sont des pourritures un point c’est tout. Rien d’étonnant à ce qu’elle assassine et torture des enfants pour son bon plaisir.

  Robbie eut un rire bref et sans joie avant de demander à Charlie :

- Tu penses toujours qu’il peut y avoir de « bons » Brûleurs ?

  La rouquine accueillit la remarque comme un coup de poing dans l’estomac. Elle se souvenait parfaitement de ce qu’elle avait dit la veille au soir, avant qu’ils ne découvrent le code. Avant que Jamie n’arrive. Avant que tout ne vole en éclat, hors de leur contrôle. La sensation d’être seuls au monde et en sécurité lui manquait cruellement ; même le grenier ne parvenait plus à l’apaiser. Elle haussa les épaules et détourna la tête. Elle avait l’impression que des semaines étaient passées depuis la veille ; mille ans s’étaient écoulés depuis l’arrivée de Robbie.

  Charlie ne savait pas où allait déboucher toute cette histoire. Ce qu’elle savait en revanche, c’est qu’elle ne laisserait pas Crumpek faire du mal à qui que ce soit d’autre. Quand elle pensait à tous les orphelins reposant dans les sous-sols, victimes du monstre, pleins d’espoir d’une vie meilleure et qui n’avaient trouvé finalement que tourments et mort, seuls, terrifiés, son sang bouillait dans ses veines.

- Il y a un truc qui cloche.

  Les deux garçons, arrachés à leurs propres pensées, se tournèrent vers elle.

- On ne sait pas combien d’Âmes résident à Greywall. Quant à elle, elle ne … s’occupe que des orphelins les plus âgés, ceux qui sont en âge de partir. Pourquoi elle attend autant ? Et comment elle fait pour les reconnaître ?

- Aucune idée, reconnut Jamie.

- Vous voulez mon avis ? Je pense qu’elle se fiche de ce qu’elle tue. Les monstres n’ont pas besoin d’excuses. Ce que je ne m’explique pas, c’est son lien avec moi.

  Le ton de Robbie était devenu murmurant sur les derniers mots. Pourquoi lui et pas un autre ? Qu’est-ce que Crumpek lui voulait vraiment ? Charlie se le demandait aussi et n’avait aucune réponse à lui offrir.

- Savoir ce qu’elle veut, pourquoi elle le fait ou pour qui ne va pas nous avancer, exposa Jamie. Ce qu’il faut faire, c’est quitter cet endroit. L’évasion de Max nous donne un léger sursis. Avant que Crumpek, comme vous l’appelez, ne rapplique. On peut préparer le départ.

  Charlie revint s’assoir près des garçons.

- Qu’est-ce que tu proposes ?

- La taille actuelle de Max est un avantage ; il passera plus inaperçu que Robbie dans les caves. On ne remarquera pas son absence non plus, donc aucune raison de se méfier.

- Tu veux renvoyer Max là-dessous ? Après tout ça ? interrompit Charlie, des accents d’indignation dans la voix.

- À vrai dire, c’est son idée.

- Dis-moi que c’est une blague, répliqua-t-elle, à l’intention de la petite souris qui semblait si fragile sur l’épaule de son frère.

  C’était de la folie, pure et simple. Depuis le début, l’idée des souterrains la rebutait. Savoir que la directrice y déambulait également en maître lui donnait envie de vomir. Son être entier refusait d’y descendre.

- Je sais ce que tu penses, dit Robbie comme en réponse à ses pensées. Mais c’est notre seule chance.

- Non, vous ne comprenez rien. Crumpek est là-dessous. À la surface comme sous terre, on a aucune chance. Comment tu comptes échapper à sa vigilance ? Elle doit en plus être folle de rage, donc ça pue pour nous.

- Quand Max aura trouvé le bon chemin, on attend qu’elle remonte et on file sans se retourner. On a l’effet de surprise avec nous.

  Charlie contemplait son frère, sourcils froncés par la réflexion. Elle devait reconnaître que l’idée n’était pas mauvaise ; mais ils auraient de la chance s’ils arrivaient à passer sous le nez de la mégère et à quitter l’enceinte de Greywall sans qu’elle ne le remarque. Et ensuite ? Crumpek leur ferait gentiment signe de la main et retournerait vaquer à ses affaires ? Improbable. Et même si c’était le cas, cela signifiait la laisser continuer de régner en maître sur Greywall, avec tout ce que cela impliquait…

- C’est qui « on » ? demanda-t-elle brusquement.

- Quoi ?

- Par « on file sans se retourner » et « on a l’effet de surprise avec nous », tu entends qui ?

  Jamie regarda sa sœur, puis Robbie, décontenancé.

- Charlie… commença Robbie.

  Au ton de sa voix, elle sut qu’il l’avait comprise.

- Vous ne comptez quand même pas abandonner tous les autres ici avec elle ? Pas après ce qu’on sait maintenant ?

- J’aimerais faire qu’on puisse faire autrement, mais comment tu veux qu’on s’y prenne ? On ne peut décemment pas se traîner tout Greywall dans les tunnels, c’est de la folie.

- Quand bien même on arriverait à partir à quatre, tu arriverais à vivre sachant ce qu’elle leur fait ? Moi pas.

- Et qu’est-ce que tu proposes Charlie ? les coupa Jamie.

  Les yeux gris stellaires s’affrontèrent un instant, aussi têtu l’un que l’autre.

- Tu veux l’affronter de front ? souffla finalement le rouquin, abasourdi.

- Exactement.

- Tu es folle ?

- Pas plus que toi. Je ne m’enfuirai pas en laissant les autres payer ensuite. C’est hors de question.

  Son ton était catégorique ; elle ne laisserait personne la convaincre d’agir autrement. Elle ne laisserait personne en arrière, pas si elle le pouvait. Elle se détourna de Jamie pour accrocher le regard de Robbie. Son expression était incertaine. Ses iris glacées fouillèrent celles de Charlie ; doute, résignation, peur passèrent tour à tour, un maelström d’émotions reflétant celles de la jeune fille.

- Ce n’est pas vraiment ce que j’avais prévu, soupira-t-il, mais une révolte lui clouerait peut-être le bec.

- Vous êtes complètement inconscients.

  La voix de Jamie était presque atone. Il reprit :

- C’est bien ça votre problème à vous, les Âmes terrestres. Les humains ont déteint sur vous. Vous vous croyez invincibles. La vérité c’est qu’on ne peut rien contre eux. L’histoire l’a déjà prouvé.

  Charlie s’approcha de son frère, s’accroupit près de lui, posa une main sur son bras.

- Ça, ils sont pas obligés de le savoir, chuchota-t-elle d’une voix douce.

- Max descendra pour chercher la sortie des tunnels. On a besoin d’une porte de secours. Je t’ai déjà perdue une fois à cause de ce conflit idiot, hors de question que je te laisse partir une seconde fois. On est une famille.

  La jeune fille sentit ses yeux lui piquer aux mots de son frère.

- Si ça tourne mal, on déguerpit.

  Charlie s’apprêtait à protester mais Robbie la devança.

- On déguerpit si ça tourne mal. On s’arrangera pour qu’elle ne fasse plus de mal à personne, d’une manière ou d’une autre. Même si on doit traîner tout le monde dans la cave et démolir cette baraque en partant. Ça te va ?

- Ça me va, répondit-elle.

  Charlie avait conscience qu’elle s’embarquait, et avec elle ses compagnons, dans une voie sans issue. Elle n’était plus dans un de ces livres dans lesquels les héros finissent toujours par triompher ; et même si ces derniers n’emportaient pas la victoire, cela ne restait qu’une histoire. Ici, comme avait dit Robbie un soir calme qui semblait remonter à une éternité, il n’y avait aucune couverture à rabattre sur les pages pour se protéger. Qu’elle le veuille ou non, elle ne pourrait pas tout contrôler.

- Bien, ne reste plus qu’à élaborer notre plan génial pour vaincre la sorcière des poussières. Des idées ?

  Ils décidèrent d’un commun accord de prendre quelques heures de repos avant de préparer les détails de leur plan. Max avait besoin de reprendre des forces pour sa future exploration des caves. Jamie ne protesta pas non plus même si son visage trahissait son sentiment par rapport à la tournure des évènements ; son corps ne s’était pas encore totalement remis de sa transition. Charlie pressa le bras de son frère avant d’entraîner Robbie à sa suite vers la trappe du grenier. Tandis qu’ils descendaient, ils gardèrent le silence, leurs épaules se frôlant pendant leur marche. Ils n’avaient pas besoin de mots pour savoir qu’ils pensaient la même chose, seuls dans la nuit au milieu des couloirs froid de l’orphelinat. Peu importe comment se déroulerait la confrontation avec Crumpek ; que ce soit elle ou eux qui l’emporte à la fin, ceci était leurs derniers instants dans l’enceinte de Greywall. Et pour l’instant, l’après n’existait pas.

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